Les journaux américains commentent les problèmes d’amarrage d’ Apollo 14

« Alors que le monde attend fébrilement l’issue du problème d’amarrage, il y a un fort sentiment de déception à l’idée que tous les efforts, l’entrainement et la préparation pour cette mission Apollo 14, soient mis en péril. »  Dans le New York Times du 1er février 1971.

Le même jour, l’éditorial du Washington Evening Star, qualifie Apollo 14 de mission sous pression.

Les astronautes d’ Apollo 14 de g. à d. : Edgar Mitchell, Alan Shepard, Stuart Roosa

Une mission dont certains aspects, présentent des caractéristiques qui méritent d’être relevées.

Il s’agit de la première mission Apollo, dont l’équipage est composé d’astronautes qui n’ont jamais été en orbite terrestre, et commandée par un vétéran qui cumule un total de 15 minutes dans l’espace [NdT : Shepard est resté 4 minutes et 41 secondes en impesanteur).

La mission Apollo 14 est sous la responsabilité du plus vieil Homme à aller dans l’espace. Du premier américain à avoir volé sur une fusée, et du seul astronaute à avoir réintégré les rotations de vol, après une longue période d’inactivité forcée, due à des problèmes médicaux.

C’est la première mission Apollo, dont le lancement a été reporté en raison de conditions météorologiques.

C’est la première mission qui doit faire face à un incident sérieux dès le premier jour. C’est une mission dont l’issue, de l’avis de beaucoup de personnes haut placées au sein de l’agence spatiale, décidera du futur des vols habités. »

L’intérêt des européens pour Apollo 14

En dépit d’une couverture médiatique importante, presse et télévision, les européens ont considéré la mission Apollo 14, qui s’est déroulée du 31 janvier au 9 février 1971, comme de l‘acquis.

En février 1971, une étude du New York Times révèle que l’intérêt des européens pour le programme spatial américain a diminué, depuis le premier atterrissage sur la Lune d’Apollo 11, et l’odyssée d’Apollo 13. Une exception notable l’Allemagne de l’Ouest.

Dans certains pays, les événements locaux ont éclipsé la troisième visite de l’Homme sur la Lune.

Des sondages en Allemagne de l’Ouest montrent que 64 % des allemands sont pour la continuation des vols spatiaux habités.

Le journal Frankfurter Rundschau dans un éditorial a écrit : « Ce que Shepard et Mitchell ont accompli n’aurait pas pu l’être par un Lunokhod. » (Lunokhod 1 est un véhicule mobile automatique bardé d’instruments scientifiques et photographiques envoyé vers la Lune le 10 novembre 1970 par l’URSS. Il atterrit dans la mer des Pluies le 17 novembre, fonctionnera une dizaine de mois, parcourant une dizaine de kilomètres…)

Les journaux polonais ont traité de la même manière Lunokhod 1 et Apollo 14, mais en soulignant l’exploit technologique du vaisseau automatique.

La presse soviétique, a bien sûr mis en exergue les problèmes rencontrés par Apollo 14, pour suggérer la supériorité des vaisseaux automatiques.

L’homme de la rue soviétique semble être blasé, bien que certains russes aient demandé des renseignements sur les vols lunaires à des occidentaux. Le journal Izvestia suit le vol Apollo 14 avec son correspondant à New-York qui écrit que la canne offert à Alan Shepard en guise de boutade juste avant le lancement, est devenue le vrai symbole de cette mission, puisque les articles font la part belle aux incidents rencontrés, notamment au début de la mission en orbite terrestre, lors du problème d’amarrage du module de service et de commande (CSM) avec le module lunaire (LM), qui permet d’extraire ce dernier du SLA.* Le journal pour les jeunes Komsomolskaya Pravda quant à lui loue l’indéniable bravoure des astronautes.

Au Royaume-Uni, le vol d’ Apollo 14 passe bien après les troubles en Irlande du nord, et la faillite de Rolls-Royce Ltd. Les retransmissions en direct de la mission Apollo 14 ont été bien en deçà de celles dévolues aux missions précédentes.

En Italie, Apollo 14 a partagé la une avec le tremblement de terre de magnitude 4,5 qui a rasé 60% de la ville de Tuscania, et les désordres civils, des émeutes éclatent à nouveau à Reggio de Calabre. Et le 9 février la panne de courant de plus de quatre heures à New-York a été aussi commentée que le retour sur Terre des astronautes. La couverture radio et télévisuelle des médias italiens a été la même mais l’intérêt du public moindre. Le pape Paul VI a qualifié Apollo 14 comme une avancée pour toute l’humanité.

En France l’intérêt du public a décru au fur et à mesure que la mission progressait. Les journaux et la télévision ont réalisé une couverture exhaustive de la mission mais les foules n’ont pas été aussi captivées qu’il y a deux ans.

Les espagnols également se sont désintéressés de l’exploration spatiale, comme les hongrois et les yougoslaves. Un responsable estudiantin d’obédience communiste de Zagreb a dit : « Si les américains et les russes avaient la bonne idée de coopérer dans l’espace, au lien d’emmener leur rivalité sur la Lune, peut-être qu’il pourrait y avoir du progrès scientifique sur Terre, et que les nations les plus modestes pourraient être aidées, qu’on leur apporte la connaissance au lieu de les exclure de la science en raison de son coût. »

*SLA = Spacecraft Lunar Module Adapter

 Manœuvre dite de la transposition, de l’amarrage et de l’extraction du LM

Les Arbres de Lune de Stuart Roosa

L’astronaute Stuart Roosa (1933-1994) n’a effectué qu’une seule mission spatiale, comme pilote du module de commande de la mission Apollo 14, qui s’est déroulée du 31 janvier au 9 février 1971. Il reste en orbite lunaire alors que ses deux compagnons Alan Shepard et Edgar Mitchell marchent sur la Lune.

L’annulation des trois dernières missions Apollo l’a assurément empêché de fouler à son tour le sol lunaire. Il fait partie du club très fermé des 24 humains ayant orbité autour de la Lune. Il s’est approché à seulement 15 km de sa surface.

Le nom de Stuart Roosa reste à jamais associé à une magnifique histoire, celle des arbres de Lune.

Smokejumper Stuart Roosa 1953 (Photo : Bill Buck)

En 1951, à l’âge de 17 ans, Stuart Roosa, grand amoureux de la nature, travaille tout l’été dans la forêt St Joe dans l’Idaho au Blister Rust Control, Camp 52, comme pompier, et pour aider à l’éradication de la maladie de la rouille (blister rust) qui affecte les arbres de la famille des Pinacées.

Deux ans plus tard, après deux années à l’université, il devient smoke-jumper ; un pompier parachutiste qui intervient principalement sur les départs de feu en zone isolée.

A l’apparition des premières fumées (smoke) les pompiers sautent (jump) en parachute afin de circonscrire très rapidement l’incendie avant qu’il ne se propage.

Un excellent job d’été puisqu’un smoke jumper saisonnier (85% des effectifs) pouvait gagner à l’époque jusqu’à 1 000 dollars en un été (soit 9 000 USD en dollars constants). Ces unités d’élite, dont les classes durent 4 semaines, et s’apparentent à un stage commando, sont sous la responsabilité de l’agence américaine du Service des Forêts (US Forest Service).

Roosa effectue le saut qui lui permet d’obtenir son brevet le 15 juillet 1953. Lors d’un saut, son parachute s’accroche dans un arbre et il reste suspendu à plus de 30 mètres du sol. Il doit utiliser la corde prévue à cet effet, qui fait partie de l’équipement standard, pour se sortir de ce mauvais pas. Sachant que les « atterrissages » dans les arbres sont plutôt fréquents chez les smokejumpers !

Stuart Roosa était basé dans l’unité de Cave Junction – Siskiyou Smokejumper Base – en Oregon, promotion 1953 (CJ53). Il ne fit qu’une saison. Selon sa fiche de service il effectua trois missions aéroportées. (Klamath Forest en Californie, Umpqua Forest en Oregon et Six Rivers Forest en Californie).

En 1954 Roosa intègre le programme des cadets de l’US Air Force… 10 ans plus tard il est pilote d’essai à Edwards… En avril 1966 il devient astronaute (Groupe 5).

Smoke Jumpers – Stuart Roosa parmi la « Promotion 1953 » (Crédit : United States Forest Service)

Lorsque Edward Cliff (1909-1989), directeur de l’agence du Service des Forêts (US Forest Service) de 1962 à 1972 apprend que Roosa, un ancien smoke jumper, va effectuer une mission vers la Lune, il lui soumet une idée : emporter des graines d’arbres avec lui autour de la Lune.

Avec l’accord enthousiaste de Stuart Roosa, et de la NASA, Stanley Krugman (1932-2013) docteur en biologie végétale spécialisé en génétique, est chargé de la sélection des graines, il est alors responsable de la Forest Genetics Research. 

Le projet scientifique est le suivant : déterminer les effets des radiations et de l’impesanteur sur ces graines.  Des contraintes de poids et de volume ne permirent qu’à quelque 500 graines de faire le voyage. L’origine de chaque graine est parfaitement connue et chacune a sa « jumelle » restée sur Terre.

Le but étant bien évidemment de comparer leur croissance et de constater d’éventuelles mutations !

5 espèces d’arbres sont choisies :

  • Loblolly Pine (Pin à torches : Pinus taeda ),
  • Sycamore (Platane : Platanus occidentalis),
  • Sweetgum (Liquidambar : Altingiaceae Liquidambar),
  • Redwood (Séquoia : Sequoia sempervirens),
  • Douglas Fir (Sapin de Douglas :Pseudotsuga menziesii).

Les graines sont stockées dans une petite boite que Roosa dispose dans l’un de ses Personal Preference Kit (PPK)*. Il emporte notamment une broche pour sa mère, des pin’s, ses ailes de pilote de chasse, qui eux atterriront sur la Lune…  Les graines feront 34 fois le tour de la Lune (en 2 jours 18 heures et 35 minutes) et resteront au total un peu moins de 9 jours dans l’espace.

Art Greeley le directeur-adjoint de l’US Forest Service et Stuart Roosa, avec à la main la boîte contenant les graines  (Crédit : United States Forest Service)

Au retour, lors du processus de décontamination, la boîte contenant les précieuses graines s’est ouverte et les graines mélangées. La première tentative de faire germer quelques graines par des scientifiques de la NASA à Houston se solde par un échec. Ils en concluent rapidement que les graines sont « mortes ». Apprenant cela Krugman demande qu’on lui renvoie les graines qu’il confie à deux centres de recherche de l’US Forest Service. (La Southern Forest Research Station à Gulfport au Mississippi et la Western Research Station à Placerville en Californie, où il travaille.)

Pratiquement toutes les graines récupérées germèrent et formèrent des plants !

Aujourd’hui, il est impossible de différencier les arbres issus des graines « lunaires » de celles restées sur Terre. Aucune anomalie n’a été décelée.

Lorsque les arbres furent suffisamment développés (4 ans d’âge) ils purent quitter les pépinières de l’US Forest service…

Ainsi le premier Arbre Lunaire, un Sycamore, a été planté au Washington Square Park à Philadelphie le 6 mai 1975, juste à côté de l’Independence Hall où fut signée la Déclaration d’indépendance (1776) et adoptée la Constitution américaine (1787). Stuart Roosa était bien évidemment présent lors de la cérémonie, de même que le Maire de Philadelphie Frank Rizzo. Gérald Ford alors président des Etats-Unis fit parvenir un petit message dans lequel il décrit ces arbres de Lune comme « les symboles vivants de nos spectaculaires réalisations humaines et scientifiques ». Pour plus de symbolique on aurait pu attendre le 4 juillet 1976 pour planter cet arbre, qui est toujours vivant aujourd’hui.

De g. à d. Stuart Roosa, John McGuire (chef de l’US Forest Service), Ernesta Ballard (Directrice de la Société d’Horticulture de Pennsylvanie), et à moitié caché, Woodsy Owl (Woodsy le Hibou) la mascotte de l’US Forest Service. 

En 1976, dans le cadre d’une opération s’inscrivant à l’occasion des célébrations du Bicentenaire des Etats-Unis les plantations et donations d’arbres de Lune ont fait fureur, mais une gestion défaillante fait que, quarante ans plus tard, on ne sait plus où sont passés la plupart de ces arbres…

Krugman et son équipe créèrent par la suite, avec des greffons, des arbres de Lune de seconde génération (Half Moon Trees), puis de troisième génération, qui furent un temps proposés à la vente pour la modique somme de 32 USD par l’association American Forests.

Depuis 1996, le Dr David Williams, qui travaille au Centre Spatial Goddard à Greenbelt, dans le Maryland, qui ignorait tout de l’histoire de ces arbres avant cette date, tente de localiser et de recenser tous les arbres avant, comme il le dit, qu’il ne soit trop tard. A ce jour seulement 89 arbres de première génération ont été retrouvés (dont 27 sont morts) … Nous sommes loin du compte !  Consulter la liste.

Un arbre de Lune de seconde génération de type sycamore a été planté au cimetière d’Arlington le 9 février 2005 (pour le 34 ème anniversaire de l’atterrissage d’Apolllo 14) au cours d’une cérémonie en l’honneur de Stuart Roosa et de tous les astronautes disparus. Cérémonie à laquelle la veuve de Stuart Roosa, Joan (qui décèdera deux ans et demi plus tard, et sera enterrée à Arlington à côté de son mari), et leur quatre enfants, ont participé.

A gauche Arlington National Cemetery le 9 février 2005 – Peu après Rosemary Roosa pose devant l’arbre « de son père » qui  a bien pris.

Comme l’on écrit les enfants de l’école élémentaire Cannelton dans l’Indiana qui ont ravivé le souvenir de ces arbres de Lune en 1996 : « Long live our beautiful Moon trees ! » (Vive nos magnifiques arbres de Lunes)

Car bientôt hélas, ces arbres resteront les seuls êtres vivants au monde à avoir fait le voyage vers la Lune !

*Sur la liste récapitulant les objets emportés à bord d’Apollo 14 (CSM + LM) on dénombre 14 PPK de 227 g chacun dans le module de commande (CM) soit 3,178 kg au total, ainsi que  3 PPK de 408 g chacun dans le module lunaire (LM) soit 1,224 kg au total. Il existe également un PPK de plus grande taille, sans aucune mention de poids, stocké dans le CM !

Anecdote dans l’anecdote : Apollo 14 détient le record de poids des PPK emportés, soit 4,4 kg.