John Young veut régler ses dettes avant STS-1

Quelques temps avant de se rendre au Centre Spatial Kennedy pour la première mission de la navette spatiale (STS-1), John Young et Joe Allen (astronaute de l’équipe de soutien et l’un des capcoms de la mission STS-1) vont déjeuner à la cafétéria du Centre Spatial Johnson. Young ayant oublié son argent, c’est Allen qui règle la note. Peu après, Young insiste pour le rembourser. Allen s’en amuse en lui disant que ce n’est pas la peine. « Non » lui répond John Young : « On ne vas pas voler sur ces engins (parlant de la navette) lorsque l’on a des dettes. »

Cette remarque, mi-figue mi-raisin, révèle que John Young était trop bien conscient, qu’il allait effectuer la mission spatiale américaine la plus risquée, jamais réalisée depuis le début de la conquête spatiale.

John Young et le syndrome du commandant de mission

L’astronaute John Young n’a pas eu le « syndrome du commandant » lors de la mission Apollo 16, c’est-à-dire l’astronaute dont la fréquence cardiaque est la plus élevée lors du lancement.

Comme le rappelle le Dr Charles A. Berry, alors directeur des sciences de la vie à la NASA (Director of Life Sciences) : « Le commandant a la plus grande responsabilité et a habituellement le pouls le plus rapide.

Or, lors du lancement d’Apollo 16 c’est le pilote du module lunaire, Charles M. Duke, qui a eu le rythme cardiaque le plus rapide, avec 130 battements par minute, vient ensuite celui du pilote du module de commande, Thomas K. Mattingly, avec 115.

C’est John Young, le commandant de la mission, qui effectuait son quatrième vol spatial, et deuxième mission vers la Lune, qui a eu la fréquence cardiaque la plus basse, avec 108 pulsations par minute.

Le record du rythme cardiaque le plus rapide est détenu par Charles Conrad Jr, dont le pouls a atteint 166 battements par minute juste avant le lancement de Gemini 11, le 12 septembre 1966.

Le pouls de John Young lors du décollage de la première mission de la navette spatiale n’a jamais dépassé 85 !

Un RTLS en guise de première mission pour la navette spatiale

Contrairement à tous les vaisseaux spatiaux habités précédents, la navette spatiale n’a jamais été testée sans astronautes à bord (à la différence des soviétiques). Pour ne pas commencer directement avec une mission orbitale, la NASA envisagea un temps (très court) de réaliser un RTLS lors du premier vol.

Le mode RTLS (pour Return To Launch Site – Retour au Site de Lancement) est l’une des quatre options permettant d’interrompre une mission lorsque la navette a décollé et qu’un incident rend la mise en orbite impossible. (Défaillance d’un des trois moteurs SSME (Space Shuttle Main Engine), fuite de carburant, fuite dans le système de refroidissement, dépressurisation de la cabine de pilotage etc.)

Le RTLS est possible, grosso-modo, entre 2 minutes et 4 minutes après le décollage. Avant, la navette n’a pas atteint une altitude suffisante et les SRB (Solid Rocket Booster – fusées d’appoint à combustible solide flanquées de part et d’autre du réservoir extérieur ne sont pas encore larguées (Une fois allumées on ne peut plus les arrêter.) ; après, la navette a pris trop de vitesse (+ de 7 000 km/h) et il ne reste plus assez de carburant pour effectuer le retournement et ralentir l’engin. (Point de non retour – Negative return)

Pour simplifier, une fois les SRB larguées (à T+2 min) vers 50 km d’altitude, la navette continue son ascension jusqu’à environ 120 km d’altitude, puis, l’engin de 500 tonnes, y compris son réservoir extérieur à moitié vide, doit faire un demi tour (à 180°) alors qu’il vole à pratiquement sept fois la vitesse du son, et diminuer sa vitesse grâce aux 3 moteurs SSME (RTLS à trois moteurs) tout en orientant le nez vers sa cible, la Floride. Ce faisant la navette vole en traversant les gaz à 2 700 °C éjectés par les moteurs. Ce qui n’a jamais pu être testé en soufflerie, seulement par ordinateur.

Lorsqu’il reste moins de 2% d’ergols dans le réservoir extérieur, les moteurs SSME sont coupés (MECO – Main Engine Cut Off), l’orbiter doit alors avoir un angle d’attaque de – 4° pour que le réservoir puisse être largué en toute sécurité. Il faut ensuite purger les centaines de kilogrammes de LO2 et LH2 encore présents dans les tuyaux d’admission du MPS (Main Propulsion System). A ce moment là, l’engin a un angle d’attaque de 10°. Il faut alors augmenter cet angle dans les couches plus denses de l’atmosphère. Dans certains cas l’orbiter devra même effectuer un virage en S plus ou moins long pour dissiper un excédent d’énergie cinétique avant de pouvoir atterrir.

La manœuvre en image (Crédit : Mark McCandlish – Traduction : Olivier Couderc)

Comme le précise avec humour, John Young, l’astronaute le plus capé de l’Histoire de la NASA : « Si toutes les manœuvres se déroulent parfaitement, tout ira bien, si tout ne se déroule pas comme prévu, cela ne se passera probablement pas très bien. »

Une telle mission aurait duré environ 25 minutes. Le RTLS a bien évidemment été réalisé, mais seulement en simulateur. « La première personne qui en réalisera un pourra vous dire si ça marche ou pas » remarqua ironiquement John Young qui a opposé une fin de non-recevoir à l’éventualité d’exécuter un RTLS en guise de première mission : « J’ai dit non. Je leur ai dit de ne pas jouer à la roulette russe, parce qu’il se pourrait bien que vous ayez une arme chargée entre les mains.»  En effet, compte tenu de tous les paramètres à maîtriser, même avec les 5 ordinateurs de la navette aux commandes, une telle manœuvre aurait eu bien peu de chance de succès…  Juste avant STS-1 John Young enfonce le clou : « Pour réussir un RTLS il faut une succession de miracles, entrecoupés d’interventions divines ».

La première mission de la navette spatiale sera bien orbitale, et sera qualifiée par les spécialistes comme le vol d’essai le plus audacieux de l’Histoire. En 30 ans d’exploitation de la navette spatiale aucun RTLS n’a jamais été effectué !