Jules Verne et le programme Apollo, ou lorsque la fiction devient réalité

Jules Verne

Comme nous allons fêter le 190e anniversaire de naissance de Jules Verne (1828-1905) le 8 février prochain, il était temps de rendre ici hommage à ce génial écrivain, le plus traduit, précurseur de la « science-fiction ».

Lorsque paraît son roman « De la Terre à la Lune : trajet direct en 97 heures et 20 minutes », en 1865, puis la suite, « Autour de la Lune », en 1869, personne ne peut imaginer, à quel point certains aspects de ce voyage extraordinaire sont prémonitoires.

Outre le fait que 103 ans plus tard, en décembre 1968, des Hommes feront effectivement ce voyage vers la Lune, et que sept mois plus tard d’autres feront même mieux, ils y marcheront, il existe toute une série de similitudes avec les missions Apollo, certaines liées à la réflexion scientifique de l’écrivain, d’autres au hasard.

 Les Hommes se sont servis des recherches et des travaux liés à l’amélioration des armes, pendant les guerres, (canons dans le livre, fusées dans la réalité) pour débuter l’exploration de l’espace. Il s’agit de la Guerre de Sécession dans le roman, et de la Deuxième Guerre mondiale dans les faits. Dans les deux cas, les responsables du projet sont des artilleurs.

Ce sont bien les Etats-Unis qui effectueront les premiers des missions lunaires habitées, et à ce jour, un demi-siècle plus tard, nous fêtons cette année le cinquantième anniversaire de la mission Apollo, 8, ils restent les seuls à l’avoir fait.

La première mission circumlunaire date de décembre 1968 (Apollo 8), le premier atterrissage sur la Lune de juillet 1969 (Apollo 11) et le dernier de décembre 1972 (Apollo 17).

 Le wagon-projectile emmène trois personnes, deux américains, Impey Barbicane et le capitaine Nicholl, ainsi qu’un français, Michel Ardan. Le module de commande Apollo est triplace également.

 Le canon qui propulse le vaisseau spatial (anonyme) de Jules Verne s’appelle Columbiad comme d’ailleurs d’autres canons américains à très longue portée qui ont réellement existés (tel le canon M. 1864 de 20 pouces produit en deux exemplaires qui envoyait dans un angle de 25° des obus de 340 kg à 7 300 mètres de distance).

L’indicatif du module de commande d’Apollo 11 est Columbia. Columbia est l’équivalent de notre Marianne en France, l’alter-ego féminin de l’Oncle Sam.

Lors de la conférence de presse du 5 juillet 1969, l’équipage d’Apollo 11 révèle les indicatifs des deux vaisseaux spatiaux. Neil Armstrong explique le choix : « Columbia est le nom choisi par Jules Verne, il y a un siècle, pour un vaisseau spatial imaginaire qui a fait un voyage vers la Lune. »

En réalité, Columbiad est le nom du canon, et non pas du vaisseau spatial, mais peu importe, l’idée vient bien de là. La presse reprend l’allusion, Harry Rosenthal d’Associated Press écrit un article dont le titre est : « Il y a 104 ans Jules Verne prédisait le vol d’Apollo 11 ». Le journaliste de United Press, H.D. Quigg, quant à lui titre : « Le voyage de fiction de Jules Verne va vraiment se réaliser.» Ces articles seront repris par des centaines de journaux aux Etats-Unis.

Il convient de préciser que les premières traductions en anglais de « De la Terre à la Lune », qui datent de 1874 et 1875, ne respectent pas l’oeuvre originale. Il faut attendre 1970, pour qu’une version intégrale, et fidèle à l’original, paraisse enfin. Nul doute que ces nouvelles traductions sont liées au programme lunaire habité américain, et à la formidable anticipation dont a fait preuve Jules Verne.

 Le vaisseau spatial du roman est en aluminium, tout comme le module de commande Apollo. Jules Verne est parfaitement au courant des travaux récents du chimiste français Henri Sainte-Claire Deville (1818-1881) qu’il cite dans le chapitre sept de son roman. Ce dernier publie ses recherches sur la production d’aluminium dans un livre paru en 1859. (« De l’aluminium, ses propriétés, sa fabrication et ses applications ».)

 Impey Barbicane l’instigateur du projet, à la fin du chapitre 7 prévoit que « l’argent ne fera pas défaut à notre entreprise, je vous en réponds. » La NASA ne manquera pas d’argent non plus.

Le coût de l’entreprise est de 5 446 675 dollars de l’époque. Jules Verne imagine une souscription internationale, les Etats-Unis fourniront 4 000 000 de dollars et la souscription à l’étranger rapportera 1 446 675 dollars soit 36% de la somme totale. 5 446 675 dollars de 1865 équivalent à 12 milliards en dollars de 1969. Le coût du programme Apollo jusqu’à Apollo 8 est estimé à 14 milliards de dollars de l’époque.

 Le chapitre 11 du roman évoque le choix du site de « lancement », de préférence aux Etats-Unis, et situé au sud du 28e parallèle (28° de latitude Nord), pour viser la Lune dans les meilleures conditions, il faut également une ouverture maritime à l’Est.

Seuls la Floride et le Texas peuvent convenir, une ville en Floride, et onze au Texas, sont envisagées. Au chapitre 13, c’est finalement Tampa qui est choisie, une ville qui existe réellement.

Le site définitif de Stone Hill situé à 99 km au sud de Tampa, au nord de Port-Charlotte, est imaginaire, les coordonnées de l’endroit sont 27° 7’ de latitude Nord et 5° 7’ de longitude Ouest (selon le méridien de Washington D.C.) soit 27° 7′ N, et 82° 9′ O selon le méridien de Greenwich, qui est le seul méridien de référence aujourd’hui. Le méridien de Greenwich ne fut adopté comme standard international qu’en octobre 1884, soit 19 ans après la publication du roman.

Le 24 aout 1961 la NASA annonce le choix de Merritt Island en Floride (Coordonnées 28° 21′ 28″ N, 80° 41′ 05″ O) parmi 8 sites envisagés. A noter : la ville texane de Brownsville fait partie de la liste de la NASA… et de celle de Barbicane…

 Les coordonnées exactes du pas de tir 39A au Centre Spatial Kennedy, d’où furent lancées toutes les missions lunaires habitées (sauf Apollo 10), sont 28° 36′ 30.2″ N et 80° 36′ 15.6″ O. Le site choisi par Jules Verne, Stone Hill, est à 27° 7′ N, et 82° 9′ O ; il n’est donc situé qu’à 224,9 km de distance du site de lancement réel.

 Jules Verne anticipe également les pressions et les manigances politiques dans le choix du site. Ainsi dans la réalité, l’implantation du centre de contrôle des missions au Texas, est l’exemple le plus connu de ces « manœuvres » politiciennes.

 La forme du wagon-projectile ressemble à celui du module de commande et de service du programme Apollo.

 La masse du wagon-projectile à vide est de 8 731 kg, la masse du module de commande et de service à vide est de 11 900 kg.

 Le wagon-projectile comprend quatre hublots (disposés aux points cardinaux) – Le CM Apollo comprend 4 fenêtres de part et d’autre de l’écoutille (qui dispose également d’un hublot). Le module lunaire a 4 fenêtres.

 Les dimensions du wagon-projectile sont de 54 pieds carrés et de dix pieds de hauteur, soit 5 m2, et 3 m de hauteur. Ce qui donne un volume de 15 m3.

Le Module de Commande Apollo avait un volume pressurisé de 10,4 m3 et un espace habitable de 6,2 m3.

La notion d’impesanteur était mal comprise à l’époque, pour Jules Verne les voyageurs ne seront en impesanteur qu’au point de la trajectoire où les champs de gravitation terrestre et lunaire se compensent.

A l’époque on pense que l’espace est rempli d’éther, l’un des quatre éléments évoqués par Empedocle dès le Ve siècle avant J.C..

Les trois passagers du wagon-projectile ne se déplacent que dans deux dimensions (5 m2) alors que les astronautes peuvent se déplacer dans trois dimensions (6,2 m3).

L’intérieur du wagon-projectile.

 Le premier test du canon est effectué avec des animaux, un chat et un écureuil en l’occurrence. Américains, soviétiques et français feront exactement de même. Dans le livre, le félidé est sain et sauf, il a même eu le temps de manger l’écureuil.

Le 18 octobre 1963, la France envoie dans l’espace, lors d’un vol suborbital, Félicette, le seul chat qui ne soit jamais allé dans l’espace. La chatte atteindra l’altitude de 157 km, subira 9,5 g, et restera 5 minutes en impesanteur pour un vol ayant duré 10 minutes et 32 secondes.

 Le trio emmène dans le wagon-projectile deux chiens, un « terre-neuve d’une force prodigieuse », Satellite, et la chienne de chasse du capitaine Nicholl, Diane. Satellite est un nom doublement prémonitoire lorsque l’on sait que le premier être vivant sur orbite est un chien, « Laïka », lancé à bord de Spoutnik 2, et en russe spoutnik signifie notamment satellite.

 Le secrétaire du Baltimore’s Gun Club, J.T. Maston, est volontaire pour faire un test des systèmes de survie du wagon-projectile sur une période de 8 jours. Des astronautes feront également ce genre de test en chambre d’altitude.

 « Un télescope est enfin construit dans les Rocheuses, afin de pouvoir observer au mieux le projectile durant son vol ». De même la NASA construira spécialement des stations de suivi pour pouvoir communiquer avec Apollo.

 « Tous les peuples de la Terre y avaient des représentants ». Des milliers de journalistes seront présents pour suivre la mission Apollo 8 et les suivantes.

 Le tir a lieu en décembre, exactement comme la première mission circumlunaire habitée, Apollo 8. (Cela dit, il y avait une chance sur douze.)

 Le tir est effectué de nuit, le 1er décembre à 22:46:40. La dernière mission lunaire, Apollo XVII est lancée le 7 décembre 1972 à 0 h 33 min 51 s (heure locale), initialement le lancement était prévu à 21 h 53 (mais un problème technique a retardé le lancement de 2 heures et 40 minutes.)

 Le décompte jusqu’à la mise à feu se fait de 1 à 40.  Point de compte à rebours, il faudra attendre 1929 et le film de Fritz Lang « La Femme sur la Lune » pour la première évocation d’un compte à rebours dans le cadre du lancement d’une fusée.

 La description de la mise à feu du canon peut aisément s’appliquer au décollage d’une Saturn V : « Une détonation épouvantable, inouïe, surhumaine, dont rien ne saurait donner une idée, ni les éclats de la foudre, ni le fracas des éruptions, se produisit instantanément. Une immense gerbe de feu jaillit… », et, « La détonation de la Columbiad fut accompagnée d’un véritable tremblement de Terre. La Floride se sentit secouer jusque dans ses entrailles. »

 Impey Barbicane a 40 ans, Michel Ardan 42… James Lovell et Frank Borman avaient 40 ans au moment du vol Apollo 8. Neil Armstrong avait 39 ans et 11 mois, Buzz Aldrin 39 ans et 6 mois, lorsqu’ils ont marché sur la Lune.

 Le voyage « de la Terre à la Lune » dure 97 heures et vingt minutes. Apollo 8 a atteint l’orbite lunaire en 69 heures et 12 minutes, Apollo 11 en 80 heures et 25 minutes.

 Le voyage aller-retour a duré au total 242 heures et 31 minutes. La mission Apollo 8 a duré 147 heures et 1 minute. (Apollo 13 a fait le voyage direct autour de la Lune, sans se mettre en orbite autour d’elle, en 142 heures et 54 minutes.)

 Le wagon-projectile utilise des fusées pour ralentir sa vitesse. La rétrofusée est utilisée pour la première fois en Allemagne sur le planeur DFS 230 C-1 pendant la deuxième guerre mondiale, 80 ans après l’écriture du roman. Dans le cadre des vols spatiaux habités, ce sont des rétrofusées qui permettent à la capsule Vostok de Youri Gagarine, le premier Homme dans l’espace, de revenir sur Terre. 92 ans après la parution d’ « Autour de la Lune ».

Le « projectile de la Columbiad » tombe dans l’océan pacifique (de nuit, 1:17 du matin) et est récupéré (par hasard) par un navire de guerre de la marine des Etats-Unis, le USS Susquehanna.

Les coordonnées du point d’impact sont : 27° 7’ N 118° 39’ O. Le module de commande Apollo 8 touche l’océan à 8° 8′ N 165° 1′ O (à 5 300 km du point d’impact du wagon-projectile) et est récupéré par le porte-avions USS Yorktown (CV-10).

Le module de commande Apollo 11 touche l’océan à 13° 19′ N 169° 9′ O  (à 5 450 km du point d’impact du wagon-projectile) et est récupéré par le porte-avions USS Hornet (CV-12).

La frégate à vapeur USS Susquehanna qui a réellement existée (elle fut mise en service en 1850) porte le nom de la rivière Susquehanna qui se jette dans la baie de Chesapeake… Le USS Yorktown tient son nom de la bataille de Yorktown, une ville de Virginie située à l’entrée de la baie de Chesapeake…

 Les trois explorateurs font un tour des Etats-Unis après leur voyage spatial. Les astronautes américains également, et même une tournée mondiale.


Les hommages à Jules Verne liés à ce roman :

Il existait jusqu’en 1920 dans la ville de Tampa en Floride, un Jules Verne Park qui s’appelle depuis Ballast Point Park…  Le terrain avait été acheté en 1894 par les propriétaires de la première ligne de tramway électrique de Tampa, M. Chester W. Chapin et son épouse Emelia, pour en faire le terminus.

C’est Emelia Chapin qui est chargée de transformer ce lopin de terre de 44 hectares en parc tropical. C’est elle qui a l’idée de le baptiser Jules Verne Park

Il existe aujourd’hui dans ce parc une plaque érigée en 1963 qui rappelle cette jolie histoire. A noter : il existe toujours aujourd’hui dans Ballast Point Park, une rue Jules Verne.

Lors de la dernière retransmission télévisée des astronautes d’Apollo 11 à bord de leur vaisseau spatial Neil Armstrong déclare :

« Bonsoir, c’est le commandant de la mission Apollo 11. Il y a une centaine d’années, Jules Verne a écrit un livre sur un voyage vers la Lune. Son vaisseau spatial, Columbia a décollé de Floride et a atterrit dans l’Océan Pacifique, après avoir effectué un voyage vers la Lune. Il nous semble pertinent de partager avec vous quelques-unes des pensées de l’équipage, alors que la Columbia des temps présents s’apprête à revenir sur Terre demain, dans ce même Océan Pacifique… »

Dans « Autour de la Lune » les trois passagers du wagon-projectile prennent leur premier repas : « Enfin, pour couronner ce repas, Ardan dénicha une fine bouteille de Nuits, qui se trouvait « par hasard » dans le compartiment des provisions.

Les trois amis la burent à l’union de la Terre et de son satellite. » Il se trouve que lors des préparatifs de la mission Apollo XV, David Scott et James Irwin ont baptisé un cratère de la Lune « Saint Georges » et auraient déposé sur ses flancs une étiquette de la cuvée « Terre-Lune 1969 » de Nuits-Saint-Georges.

Une cuvée spéciale en l’honneur de Jules Verne, et du premier atterrissage d’Hommes sur la Lune, dont les astronautes avaient reçu une caisse en cadeau, lors de leur visite château du Clos de Vougeot en mai 1971. Malheureusement il n’existe aucune photo de cette étiquette sur la Lune.

L’histoire la plus émouvante est celle du petit-fils de Jules Verne, Jean Jules Verne (1892-1980), magistrat et écrivain, qui, en assistant au lancement d’Apollo 8 se rappelle les mots de son grand-père : « Je sais que tu verras des hommes aller sur la Lune ».

Jean Jules Verne rencontrera d’ailleurs Frank Borman, le commandant de la mission Apollo 8, le 5 février 1969 à l’Hôtel de Crillon.

Ce dernier lui remettra à l’occasion d’une petite cérémonie, un cadre, avec à droite le dessin représentant la récupération du vaisseau spatial telle qu’ imaginée par son grand-père, qui figure parmi les illustrations du roman, à droite une photo de celle du module de commande Apollo 8 par le porte-avions USS Yorktown, et au centre une lettre d’hommage de la NASA. (Anecdote détaillée ici.)

Tenant le cadre au premier plan de d. à g. Frank Borman, l’épouse de Jean Jules Verne, Andrée Marie, et Jean Jules Verne qui avait alors 77 ans.