Le New-York Times évoque le missile V2

Le missile V2. Le lundi 22 août 1944, le journaliste spécialisé dans les questions militaires et correspondant de guerre, Hanson Weightman Baldwin (1903-1991) publie dans le New York Times, un article sur le missile V2, intitulé : « The V2 Rocket Bomb » dont vous trouverez ma traduction ci-après.

Lancement d’un missile V2. Bundesarchiv, Bild 141-1879 / CC-BY-SA 3.0

Un article paru 17 jours avant la première attaque par missile balistique de l’Histoire, intervenue le 8 septembre 1944, avec comme cible, Paris !

Un article qui révèle nombre d’idées fausses sur cette arme révolutionnaire.

Le Missile V2 par G. H. Davis –  Illustrated London News Ltd

Tous les pays ayant bénéficié du transfert de technologie lié au missile V2 (USA, URSS, France, Angleterre…) utiliseront ce dernier à des fins militaires, (pour concevoir de nouveaux missiles), bien avant de l’utiliser pour des applications civiles.

Ainsi, la fusée Redstone qui envoya Alan Shepard pour un vol suborbital, l’Atlas qui permit à John Glenn d’effectuer 3 orbites autour de la Terre ou la fusée « Vostok » du premier Homme dans l’espace, Youri Gagarine, ne sont que des missiles balistiques reconvertis !

Les premiers lanceurs 100 % civils (uniquement conçus pour les vols habités), ceux de la classe Saturn, furent développés pour le programme Apollo sous la direction de…  Wernher von Braun !  Belle revanche !

La bombe-fusée V2 

La menace de son utilisation, annoncée depuis longtemps, soulèverait de nombreux problèmes de taille pour les allemands.

La fusée géante que les allemands appellent V2, car il s’agit de leur deuxième arme de représailles, devrait bientôt entrer en scène et jouer un rôle dans la guerre.

La fusée ne doit pas être confondue avec la bombe volante équipée d’un moteur à réaction déjà utilisée contre la ville de Londres.

La fusée – une gigantesque adaptation des fusées du 4 juillet – n’a pas encore été utilisée, mais la propagande allemande nous promet son déploiement depuis longtemps et cette arme est prise très au sérieux par les autorités alliées.

J’ai personnellement vu un site de lancement de fusées à moitié construit en France dans le Cotentin en juillet dernier, la construction extrêmement massive ressemblait à un barrage miniature.

Le tunnel qui permet d’acheminer les fusées sur l’aire de lancement, long de plusieurs trentaines de mètres et profondément enterré est protégé par du béton armé d’une épaisseur de 7 à 10 mètres. Les tunnels destinés au stockage des fusées et les centrales électriques sont également à l’épreuve des bombes.

Le site était de toute évidence érigé pour le lancement d’énormes engins et construit de la même manière que les abris pour sous-marins : pour résister aux bombardements les plus violents. Le site de Cherbourg est l’une des bases de lancement des fusées – les autres sont toutes aussi massives et ne diffèrent que par certains détails – construites jusqu’à présent par l’ennemi.

L’une est entre nos mains, les autres sont disséminées de Calais à Abbeville. Toutes ne sont pas terminées, et toutes ont été intensément bombardées à de nombreuses reprises au cours des derniers mois avec les bombes de 5 tonnes des Britanniques (NdT : bombe sismique dite Tallboy – A partir de mars 1945 une version 10 tonnes sera mise en service : la Grand Slam, surnommée Ten Ton Tess) qui permettent de percer les blindages, à tel point que les travaux de construction ont été grandement retardés voire arrêtés, et que de gros dégâts ont été occasionnés à ces installations.

Qui plus est, les problèmes liés au lancement de la fusée géante V2 ne sont en aucun cas la seule difficulté rencontrée par l’ennemi. La fusée est si énorme que son transport par rail nécessite probablement des wagons plats. 

La fabrication, l’assemblage, le stockage et le transport devraient immanquablement poser beaucoup de problèmes aux Allemands, nos bombardements ayant sans le moindre doute retardé le déploiement de ces fusées bien au-delà du « jour J » initialement prévu.

Il ne fait aucun doute que les allemands disposent d’une telle arme, qu’ils comptent bien l’utiliser, et seront en mesure de le faire si la guerre dure assez longtemps.

Bien que rien d’officiel n’ait été divulgué, il semblerait que, contrairement à l’avion sans pilote, la fusée ne se déplace pas à l’horizontale, mais suit une trajectoire parabolique, tel un mortier lancé par un obusier. Contrairement à un obus, la fusée n’est pas accélérée par un canon, mais emporte son propre carburant, qu’elle consomme au fur et à mesure de sa progression parabolique à travers l’espace.  

Un échafaudage ou catapulte, se déplaçant sur des rails, est utilisé pour projeter la fusée dans l’espace.

Le combustible, probablement une sorte de poudre se consumant rapidement, est éjecté par des tubes ou des moteurs à réaction situés au niveau de la base de la fusée ; la pression ainsi créée par la combustion propulse la fusée dans l’air jusqu’à la stratosphère, lorsque la trajectoire de la fusée atteint son apogée, peut-être entre 10 000 ou 20 000 mètres elle bascule vers le bas, et, stabilisée par son empennage, tombe, telle une bombe, en une trajectoire curviligne jusqu’à la cible.

La fusée géante à longue portée, telle que conçue par les allemands est de toute évidence une arme peu précise pour atteindre des objectifs précis, l’ennemi n’ayant plus le contrôle de l’engin après son lancement. Mais, comme la bombe volante V1, la fusée doit être assez précise pour frapper Londres, ou des villes dont la superficie est bien moindre. 

On suppose que la V2 peut emporter dans son ogive l’équivalent d’au moins 5 tonnes d’explosifs – grosso modo l’équivalent, en poids, de la plus grosse bombe de fabrication anglaise. Mais il est possible que l’ogive soit bien plus grande que ça, certains estiment que la charge, qui explose au moment du contact avec le sol, pourrait atteindre 20 tonnes, et la masse totale de l’engin, y compris le carburant, 50 tonnes.

Ces chiffres sont probablement exagérés, mais il est très vraisemblable que la V2 est une arme de taille considérable, dont l’effet détonant, comme celui d’une bombe de 5 tonnes, devrait être très destructeur et de grande ampleur.

L’efficacité de la fusée géante, si elle est utilisée, dépendra du nombre d’exemplaires que les allemands seront capables de lancer. De nombreuses bombes de 5 tonnes ont été larguées sur les villes allemandes en un seul raid, et pourtant les allemands se battent toujours âprement.

Si elle est mise en service, la V2, à moins qu’elle ne soit une arme au potentiel encore insoupçonné, ne fera pas gagner la guerre aux allemands, ni même la prolongera. Et à moins qu’elle ne soit utilisée rapidement, il se pourrait bien qu’ils ne puissent jamais s’en servir, dans la mesure où la guerre devrait se dérouler sous peu sur le sol allemand.