Lorsque Frank Borman demande conseil à Simon Bourgin

Le vendredi 13 décembre 1968, seulement huit jours avant le lancement, Simon Bourgin (1914-2013) répond à Frank Borman qui l’avait contacté quelques jours auparavant pour lui demander de lui venir en aide…

Les trois astronautes ne savaient absolument pas quoi dire pour clôturer la quatrième retransmission télévisée, la deuxième en orbite autour de la Lune, qui aurait lieu la veille de Noël… Une date pour le moins spéciale pour ses concitoyens… Et une bonne partie du monde…

Voici une traduction libre de la première missive que Simon Bourgin envoie à Frank Borman… Simon Bourgin ne fait nulle mention de Joseph Laitin qui est à l’origine (sans jeu de mot) de la lecture des dix premiers versets de la Genèse. Frank Borman lui avait demandé de garder le secret absolu, il ne connaîtra le fin mot de l’histoire qu’après son retour…

« Cher Frank,

J’ai beaucoup réfléchi à ce que tu pourrais dire. Je pense que ce serait une erreur de t’écrire un script ou d‘anticiper ce que tu verras et ressentiras. Ce que tu diras devra être du 100% Frank Borman.

La retransmission télévisée de la veille de Noël devrait basiquement reprendre ce que tu vois et ce que tu ressens et se conclure avec une citation, sur laquelle je reviens plus loin. Il ne faut pas aborder la signification transcendantale de tout ceci, de la veille de Noël ou de la paix sur Terre.

Concernant ce que tu vas voir et ressentir, je pense que ces suggestions vont pouvoir te guider sur ce que tu veux exprimer, mais à nouveau, si et seulement si ton instinct te le dicte.

1- Tout le monde sait à quoi ressemble la Lune vue depuis la Terre, mais pas la Terre vue de la Lune. Décris là brièvement et fait des comparaisons.

2- Compare les émotions que tu as en survolant la Lune avec celles que tu as éprouvées en orbite autour de la Terre. Qu’est ce qui t’interpelle le plus, à propos de la Lune. Je me souviens, lors de notre tournée asiatique tu aimais répéter que si pour les astronomes Mars est la « planète rouge », la Terre baignée d’un bleu magnifique, pourrait être la « planète bleue » pour les voyageurs de l’espace. N’est-ce pas ? De même, si pour les terriens la Lune est un morceau de fromage ou un croissant d’argent, à quoi ressemble la Lune pour un astronaute la survolant de si près.

3- Il faut appréhender la surface lunaire avec le même détachement scientifique, que celui que tu as eu lorsque tu as observé la surface de la Terre depuis son orbite. Décris ce que tu vois.

4- Alors que tu survoles la Lune et observes la Terre distante d’un tiers de million de kilomètre, le fait que cette planète lointaine abrite toutes les choses qui te sont chères a-t-il un retentissement particulier à ce moment précis.

5- En contemplant la Terre lointaine, tu dois prendre conscience qu’à ce moment bien précis chacun de ses 3,5 milliards d’habitants qui sont au courant de ta mission, indépendamment de sa richesse, race, langue, culture, nationalité, sensibilité politique, religion… pense à toi et à tes deux compagnons.

6- En réalité, à quel moment de l’Histoire, la veille de Noël, une si grande partie de l’humanité s’est focalisée sur un événement unique, et peut-être de manière unanime, se trouve spirituellement avec trois Hommes si loin de chez eux.

Après avoir évoqué ces aspects (et j’en garderai quelques-uns en réserve pour la deuxième retransmission lors de la neuvième orbite). [NdT Simon Bourgin fait une petite confusion, la retransmission dont il est question ici concerne bien celle de la neuvième orbite]. La seule chose qui me soit venue à l’esprit, susceptible d’égaler la grandeur de l’événement et de la soirée, est la lecture des premiers versets de la Genèse. Ces versets sont catholiques au sens premier de ce mot, c’est-à-dire universel, qui englobe tout. Ils résonnent parfaitement avec l’universalité et la révérence qui s’impose.

Tu les lirais tout en regardant la Terre. Tu pourrais annoncer la lecture en disant un truc du genre, « j’aimerais maintenant vous lire les premiers versets des saintes écritures. »

1 Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. 2 Or, la terre était alors informe et vide. Les ténèbres couvraient l’abîme, et l’Esprit de Dieu planait au-dessus des eaux. 3 Et Dieu dit alors : Que la lumière soit ! Et la lumière fut. 4 Dieu vit que la lumière était bonne, et il sépara la lumière des ténèbres. 5 Il appela la lumière : « jour » et les ténèbres : « nuit ». Il y eut un soir, puis un matin. Ce fut le premier jour.6 Et Dieu dit : Qu’il y ait une étendue entre les eaux pour les séparer. 7 Dieu fit l’étendue. Il sépara les eaux d’en-dessous de l’étendue des eaux d’au-dessus. Et ce fut ainsi. 8 Dieu appela cette étendue : « ciel ». Il y eut un soir, puis un matin : ce fut le deuxième jour.9 Et Dieu dit : Je veux que les eaux d’au-dessous du ciel se rassemblent en un seul endroit afin que la terre ferme paraisse. Et ce fut ainsi. 10 Dieu appela « terre » la terre ferme, et « mer » l’amas des eaux. Et Dieu vit que c’était bon.

Je terminerais avec, « Bonne nuit, bonne chance, joyeux Noël, et que Dieu vous bénisse tous, vous tous sur cette bonne vieille Terre. » Cette phrase doit clôturer la retransmission. [NdT : Frank Borman conclura exactement avec ces mots.]

Même si cela se rapporte à l’Ancien Testament, alors que Noël concerne le Nouveau Testament, ces mots, devraient, je pense, être les plus pertinents, les plus émouvants, les plus opportuns pour cette occasion. Mais seulement si tu te sens complètement à l’aise en les prononçant.

J’ai le sentiment que tout message direct que tu pourrais formuler en évoquant le réveillon de Noël, les conditions de vie sur Terre, tel que tu les ressens depuis la Lune pourrait s’avérer extrêmement épineux, il serait ardu de ne pas verser dans la prétention ou la condescendance. En revanche ces simples mots lus de la Bible avec émotion et simplicité ne pourront être considérés que comme l’expression sincère d’un être humain à ses semblables, et reflètera l’humilité qui doit s’inscrire dans une telle démarche. Tu pourrais, à ce propos, emmener avec toi une édition de la Bible en format de poche, ou simplement la page idoine.

Appelle-moi lorsque tu recevras la présente, et si cela ne convient pas j’essaierai autre chose.

Tous mes meilleurs vœux Frank.

Bien à toi,

Simon Bourgin »

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Credit: National Air and Space Museum Archives, Image Number NASM-9A14995. Copyright/Owner : Smithsonian Institution

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