Quelles chances de succès pour la mission Apollo 8 ?

Apollo 8, du 21 au 27 décembre 1968, est certainement la mission la plus audacieuse de l’histoire de la conquête de l’espace.

Il s’agit du premier vol habité de la monstrueuse fusée Saturn V, du premier vol habité vers un autre astre, la Lune, de la première fois que des Hommes se libèrent de l’attraction gravitationnelle de la Terre.

L’éloignement maximal de la Terre datait de Gemini 11 avec ses 1 374 km d’altitude, Apollo 8 s’est éloigné de 377 349,39 km de la Terre, soit presque 275 fois plus loin. 

Une mission clef, qui a assurément marqué l’humanité à plus d’un titre.

Une mission à très haut risque. Certains n’avaient-ils pas demandé à la NASA le report de cette mission, pour ne pas gâcher les fêtes de Noël en cas d’issue tragique !

Rappelons qu’à eux trois, les astronautes d’Apollo 8 avaient 11 enfants.

Frank Borman en a deux, Edwin 16 ans et Frederick 14 ans.

James Lovell, quatre, Barbara 14 ans, James III (Jay) 12 ans, Susan 10 ans, et Jeffrey 3 ans.

Et William Anders, cinq, Alan 11 ans, Glen 10 ans, Gayle 8 ans, Gregory 6 ans, et Eric 4 ans. William et Valerie auront un sixième enfant en 1972, Diana… Qui est notamment la déesse de la Lune dans la mythologie romaine.

(De g. à d.) Edwin, Frederick, Frank et Susan Borman.
(De g. à d) Arrière plan : James, Barbara. Au premier plan : Marilyn, Susan, Jeffrey et James Lovell.
(De g. à d.) A l’arrière plan : William, Gregory. Au millieu : Eric, Valerie, Alan. Au premier plan, Gayle et Glen Anders.

George Mueller, (1918-2015) l’administrateur adjoint du Bureau des vols spatiaux habités de la NASA, demande à George Low (1926-1984) directeur du Bureau du programme du vaisseau spatial Apollo et à Samuel Phillips (1921-1990) directeur du programme Apollo, de lui établir la liste de ce qui est absolument essentiel pour assurer la sécurité des astronautes.

Ces derniers lui répondirent qu’il faut que les réserves d’oxygène soient suffisantes, 60 heures d’oxygène à partir du moment où les astronautes doivent quitter l’orbite lunaire. Excepté si le vaisseau spatial est endommagé, le système du contrôle environnemental présente suffisamment de redondances pour pallier toute éventualité.

Qu’au moins une des trois piles à combustible fonctionne.

Et bien sûr que le SPS (Service Propulsion System), ce moteur orientable qui permet notamment l’insertion en orbite lunaire, et la manœuvre inverse permettant le retour vers la Terre, n’ait pas de défaillance.

Ce moteur a été conçu pour fonctionner 750 secondes en continu et peut être rallumé 50 fois. L’historique des tests du SPS révèle que sur 3 200 tentatives d’allumage seulement 4 ont connu des défaillances. Aucune panne ne concerne la configuration « opérationnelle » du SPS qui ne comporte que trois éléments ne présentant pas de redondance, l’injecteur, la chambre de combustion et la tuyère. Certaines valves sont dupliquées en quatre exemplaires…

Lors de la mission Apollo 7, le SPS a été allumé à 8 reprises sans le moindre problème. Il s’agissait bien évidemment d’une condition sine qua non pour que les responsables de la NASA donnent le feu vert à la mission Apollo 8. Si d’aventure le SPS n’avait pas fonctionné du tout, Apollo 8 aurait suivi sa trajectoire de retour libre qui lui permettait de revenir sur Terre.

Aucun SPS n’a jamais eu de défaillance au cours du programme Apollo.

Les chances de succès de la mission Apollo 8 ont été maintes fois évoquées :

  • Le quotidien australien The Age en date du 21 décembre 1968 avait « calculé » que les astronautes d’Apollo 8 avaient 1 chance sur 10 de ne pas revenir vivant.
  • Le 18 décembre, Jerry Lederer, le responsable du bureau de la sécurité en vol des vols habités de la NASA expliqua qu’ Apollo 8 comptant 5,6 millions de composants (et 1,5 millions de systèmes), même avec un taux de succès de 99,9 % il restait encore 5 600 éléments qui pouvaient ne pas fonctionner. Toutefois, « Si en 1492 Christophe Colomb ne savait pas où il allait, quelle distance il allait parcourir, ni même où il était allé après son retour, avec Apollo, il n’y aura pas ce genre de problème. »
  • Lors d’une conversation avec son épouse, l’astronaute William Anders évoqua les chances de succès de la mission, « … il y a 33,3 % de chance que la mission soit un succès, 33,3 % de chances que nous revenions sains et saufs sans atteindre la Lune, et 33,3 % de chances que nous ne revenions pas… ». Dans cette éventualité William Anders avait laissé deux messages enregistrés pour ses cinq enfants dont le plus jeune était âgé de quatre ans, le premier devant être lu le jour de Noël, et le second au cas où il s’avérerait qu’ils ne passeraient plus jamais Noël ensemble.
  • Susan Borman était très inquiète, pourtant en tant que femme de pilote d’essai de l’US Air Force, elle avait l’habitude de vivre avec la peur. Un soir, elle demande à Christopher Kraft (1924), alors directeur des opérations en vol, à combien il estime les chances de succès de la mission, ce dernier lui répond 50 : 50 ! Ce qui ne voulait pas dire que les astronautes ont une chance sur deux de mourir, mais qu’il y a 50 % de chance pour que tous les objectifs de la mission soient atteints…En réalité Christopher Kraft et George Low avaient estimé les chances de succès de la mission à 56 %. N’oublions pas que Frank Borman avait fait partie de la commission d’enquête sur l’accident Apollo 1, il était donc parfaitement au courant des problèmes relatifs à la sécurité du CSM. En acceptant la mission il savait exactement ce qu’il faisait. Il avait toutefois promis à Susan qu’il s’agirait de son dernier vol spatial. Il aurait pu marcher sur la Lune, mais déclina l’offre.
  • Dans son journal, à la date du 7 octobre 1968, Nikolaï Kamanine (1908-1982), le directeur du corps des cosmonautes, note que la mission Apollo 8 n’a pas la moindre chance de succès. Son raisonnement est le suivant :  jusqu’à présent il n’y a eu que deux lancements de la Saturne V, le deuxième vol ayant connu pas mal de problèmes ; les américains n’ont jamais envoyé d’astronautes à des vitesses permettant de s’affranchir de l’attraction gravitationnelle de la Terre, et aussi loin de la Terre. L’entreprise est outrancièrement risquée. A la date du 4 décembre 1968, Nikolaï Kamanine écrit que les américains ont mis sur pied la mission Apollo 8, uniquement pour donner un dernier triomphe au président des Etats-Unis Lyndon Johnson, qui a décidé de ne pas se représenter… Il évalue les chances de succès de la mission à 25%. Kamanine prend un peu ses désirs pour la réalité. Si la chronologie de ses entrées dans son journal intime est exacte, cela pose une question : sachant que l’annonce publique de la nouvelle mission Apollo 8 n’ intervient officiellement que le 12 novembre, comment Kamanine savait-il le dès le 7 octobre qu’Apollo 8 allait vers la Lune ?

On ne saura jamais comment les uns et les autres ont calculé ces probabilités… Au final, la mission Apollo 8 fut un succès total…

« Apollo 8 Coming Home » . L’allumage du moteur SPS (Service Propulsion System) permet aux astronautes de quitter l’orbite lunaire et de prendre la direction de la Terre. Magnifique peinture à l’huile de l’immense artiste Robert McCall (1919-2010). Crédit : Smithsonian Institution, National Air and Space Museum.