La famille Glenn aborde un sujet tabou : la mort

Le 21 décembre 1961, après le report de son vol pour le mois de janvier 1962, John Glenn, qui n’a passé que 8 jours avec sa femme et ses enfants au cours des trois derniers mois, retourne chez lui à Arlington, en Virginie.

David, Annie, John et Carolyn Glenn.

Il n’y aura donc pas de mission orbitale américaine en 1961, au grand dam des américains et de leur fierté. Ils auraient tant aimé effectuer un vol orbital, la même année que Youri Gagarine.

John Glenn essaye tant bien que mal de reprendre une vie normale, avec les préparatifs de Noël, les visites à la famille et aux amis…

Il y a néanmoins, au sein de la famille, une insidieuse tension. Personne ne peut s’empêcher de penser qu’ils passent peut-être leur dernier Noël ensemble.

A 14 ans, Carolyn « Lyn », la fille de John Glenn, est la seule à en parler ouvertement.

Ainsi le 29 novembre 1961, lorsque la sélection de son père pour le premier vol orbital américain est publiquement annoncé, n’avait-elle pas déclaré : « C’est formidable… Si seulement il en revient ! »

Ce sentiment, la peur de la mort, est quelque chose qu’Annie connait parfaitement depuis longtemps. « Le vol orbital », explique-t-elle à un journaliste, « est juste une nouvelle étape du programme ». Après un silence, elle ajoute toutefois : « Ce n’est pas exactement cela. Il s’agit d’un événement majeur dans notre existence, et je suis anxieuse. »

Les sept astronautes fraichement sélectionnés l’avaient évoqué entre eux, statistiquement parlant, il était inévitable que l’un deux mourrait avant le fin du programme Mercury. Le 28 mai 1959, à l’occasion d’une réunion à huis-clos avec le Comittee on Science and Astronautics, James G. Fullton (1 mars 1903 – 6 octobre 1971), membre républicain de la Chambre des Représentants pour la Pennsylvanie, demanda aux astronautes s’ils considéraient que le programme Mercury était tellement important pour la défense nationale, qu’ils étaient prêt à risquer leur vie pour lui ; tous répondirent « Oui monsieur. »

Juste après Noël, les Glenn sont partis quelques jours à Great Falls Park. Lors d’une soirée au coin du feu, Lyn demande à son père de but en blanc s’il va survivre à son vol.

John Glenn avait ramené des maquettes à la maison, leur avait expliqué sa mission dans les moindres détails, mais n’avait jamais réellement abordé la question du risque encouru, excepté pour le minimiser.

John Glenn répond à ses enfants et son épouse qu’il pense revenir vivant, mais si d’aventure ce n’est pas le cas, si quelque chose lui arrivait, ils ne devront pas en vouloir à Dieu, à la NASA, ou à quelqu’un d’autre.

« C’est mon choix, et je ne le fais pas seulement parce que j’en ai envie, mais également car je pense que l’exploration de l’espace est quelque chose d’important pour le pays, même si cela doit me coûter la vie. »

« J’ai été tellement abasourdie que je n’ai pas su quoi répondre » avoua Lyn. « Personne n’a su quoi dire ».

Après un long silence, ils se sont tous pris dans les bras en se serrant très fort.

La famille Glenn radieuse.

John Glenn doit choisir un nom pour sa capsule

Pour le premier vol suborbital américain, Alan Shepard avait baptisé sa capsule Freedom 7, Virgil Grissom, pour le deuxième, avait choisi un nom inspiré par la forme de la capsule et l’un des symboles de l’Amérique ; Liberty Bell 7. (Shepard avait ajouté 7 car il s’agissait de la septième capsule fabriquée. La presse quant à elle avait déduit que le chiffre sept était lié au nombre d’astronautes. L’idée étant excellente, tous les astronautes Mercury ajouterons un 7 en l’honneur des « sept premiers », affichant ainsi leur esprit de corps et d’équipe.)

Pour le premier vol orbital américain, John Glenn avait choisi d’associer ses enfants John David « Dave », 16 ans, (né le 13 décembre 1945) et Carolyn Ann « Lyn », 14 ans, (née 19 mars 1947) dans le choix du nom de sa capsule. Il tenait absolument à impliquer ses enfants dans son vol spatial.

Il leur demanda de réfléchir à des noms, en tenant compte du fait que le monde entier allait suivre ce vol, il fallait donc en choisir un qui incarnerait les Etats-Unis, et leur état d’esprit vis à vis du reste du monde.

A l’aide d’un dictionnaire analogique, ils recopièrent toute une liste de noms dans un cahier, après une âpre sélection ils en retinrent quelques-uns tels que Columbia, Endeavour, America, Magellan, We, Hope, Harmony, Kindness.

En tête de liste figurait Friendship. John Glenn trouva le choix parfait. Comme le père attentionné qu’il était, il ne manqua pas de leur rappeler à nouveau, combien il était fier d’eux.

Annie, Lyn, John et Dave. 1961
Il ne reste plus qu’à peindre le nom sur la capsule.
Ce qui fut fait par l’artiste Cecelia Bibby.

L’engouement pour le vol de John Glenn

Lorsque le mardi 20 février 1962 à 9 h 47 (heure de Floride) la fusée Atlas de John Glenn est mise à feu, toutes les télévisions et radios américaines retransmettent l’événement.

C’est la première tentative de vol orbital d’un américain.

Les trois chaînes de télévision commencent « le direct » à 6 h 30, pendant les onze heures et demi suivantes, on ne parlera que du vol de John Glenn à la télé.

A New-York quelque 10 000 voyageurs de la gare ferroviaire Grand Central Terminal sortent des trains pour regarder le décollage sur un écran géant (3,35 x 4,26 mètres) installé par CBS dans la mezzanine centrale. Des millions d’écoliers et d’étudiants à travers le pays font de même.

Dans la ville de Dover dans l’Ohio (état dont John Glenn est natif) des entreprises ferment momentanément leurs portes afin que les employés puissent regarder la télévision ou écouter la radio.

A Trenton, dans le New-Jersey, un braqueur de banque qui vient de dérober quelque 9 000 dollars s’arrête dans un bar pour boire un verre, la police l’appréhende alors qu’il regarde le vol de Glenn à la télé.

A Grand Rapids dans le Michigan, un tribunal est en train de statuer sur le cas d’un vol de téléviseur, lorsque le juge suggère que l’on allume le poste de télévision en question, la pièce à conviction, pour suivre le lancement, ce qui fut fait.

A Detroit les chargés de clientèle de la Michigan Bell Telephone Company demandent à leur responsable s’il n’y a pas eu un problème technique sur le réseau car il n’y a plus d’appels d’abonnés pour signaler des dysfonctionnements…

A Salt Lake City, des clients emportent des transistors avec eux dans les restaurants pour écouter les nouvelles…Dans un café, qui avait un poste de télévision, l’un des serveurs a rapporté que les clients étaient massés devant l’écran comme envoûtés…

L’équipe de Baseball des New-York Mets alors à l’entrainement fut autorisée par son entraîneur, le légendaire Charles Dillon « Casey » Stengel, peu connu pour ses entorses aux règles, à l’interrompre pour suivre le décollage.

Au Cap, le public a les larmes aux yeux et beaucoup de commentateurs également, alors que la fusée de John Glenn prend de la vitesse… « Go, baby, go ! »

Plus de 40 millions de foyers américains suivront le vol à la télévision (audience calculée par la A.C. Nielsen Company), les Etats-Unis comptaient alors quelque 184 millions d’habitants et il y avait 60 millions de téléviseurs en service dans le pays !

Le premier vol spatial de John Glenn a duré 4 heures, 55 minutes et 23 secondes au total, du décollage à l’amerrissage.

En tout et pour tout, ce sont plus de 135 millions d’américains (73,3%) qui suivront, en tout ou partie, le vol de John Glenn à la télévision.

Le Président John F. Kennedy, le Vice President Lyndon B. Johnson et des membres du Congrès suivent le lancement de John Glenn à la télévision.