Le bruit des moteurs de la Saturn V

Saturn V – Date recorded: 1969-07-16 SciencePhotoLibrary

Le décollage d’une Saturn V générait l’un des bruits (ou plutôt une onde de choc) les plus puissants au monde, qu’il soit naturel ou généré par l’Homme, d’après les études du Lamont Geological Observatory [désormais Lamont-Doherty Earth Observatory (LDEO)] qui est un laboratoire de recherche en sciences de la Terre de l’université Columbia situé à Palisades, dans l’État de New York.

Le physicien William Donn (1918-1987) a calculé en 1967 que seule une explosion nucléaire génère un « bruit » d’origine humaine plus puissant. 

Quant aux bruits naturels ce sont l’éruption du Tambora en 1815 qui a généré un « bruit » estimé à 320 dB SPL (Sound Pression Level ou Niveau de Pression Acoustique), et l’explosion de Tunguska survenue en Sibérie le 30 juin 1908, à 310 dB SPL, qui surclassent celui de la Saturn V. Parmi les phénomènes naturels terrestres référencés dans l’époque Historique.

Le « bruit » de la navette spatiale au décollage était de 190 dB SPL au niveau des moteurs. Au-delà de 194 dB SPL (dans l’atmosphère terrestre au niveau de la mer, dont la pression moyenne est de 101 325 Pa) on ne parle plus de pression acoustique mais d’onde de choc !

Au niveau des moteurs F1 le bruit maximal mesuré est de 211 dB SPL pour la version du F1 générant une poussée de 709 tonnes (6,95 MN) au niveau de la mer.

Le bruit enregistré lors des premiers tests statiques sur le banc d’essai B1/B2 de la Mississippi Test Facility (Centre Spatial Stennis depuis 1988) est de 204 dB SPL (première version du F1 de 690 tonnes de poussée (6,77 MN) ce qui constitue encore un record à ce jour !

La NASA indique également une valeur de 91 dB à 9 384 mètres (5,8 miles) du pas de tir (Centre Spatial Kennedy), ce qui donnerait 182 dB au niveau des moteurs, puisque le nombre de décibels décroit avec la distance, ainsi chaque fois que l’on double la distance en champ libre (sans obstacle) on retire 6 dB (Dans une atmosphère homogène isentropique). 182 dB est une valeur théorique qu’il faudrait pouvoir corréler avec la pression atmosphérique, la vitesse et le sens du vent, la température, le degré d’hygrométrie etc., à l’instant où la mesure a été enregistrée.

Ainsi par exemple les sons se propagent plus loin par temps humide que par temps sec. Qui plus est, cette mesure a été obtenue avec le Sound Suppression System, qui déverse plus de 3 000 litres d’eau par seconde sur le pas de tir pour atténuer l’onde de choc.

Des sources externes à la NASA indiquent même la valeur de 220 dB SPL… Pour l’instant je garde la valeur maximale NASA de 211 dB SPL. Je rappelle que lorsque le niveau de bruit augmente de 3 décibels, la dose de bruit double !

Toutes les vibrations générées ne sont bien évidemment pas perceptibles par l’oreille humaine qui n’est sensible en moyenne qu’à des fréquences comprises entre 20 Hz (fréquence la plus grave) et 20 000 Hz (fréquence la plus aiguë).

A titre d’exemple, une onde de choc équivalente à 220 dB SPL ( soit 2 000 000 Pa ou 10 000 000 000 W) entraînerait une hausse de température qui ferait fondre le béton et enflammerait de l’herbe à environ 1,5 km de distance. Aussi, lors du décollage il est impératif d’atténuer ces ondes sonores en inondant continuellement le pas de tir avec d’énormes quantités d’eau ; la « réverbération » de ces dernières détruirait la base du lanceur, 190 000 litres d’eau étaient déversés sur le pas de tir chaque minute. (Contre 3 400 000 litres par minute pour la navette, 18 fois plus, car la charge utile et les astronautes étaient plus proches du sol et l’engin beaucoup plus « trapu »).

Lors du décollage d’ Apollo 4 des sismographes de l’Etat de New-York ont enregistré les vibrations engendrées par la Saturn V, à quelque 1 600 km de distance. Les gaz d’éjection du moteur F1 atteignent la température de 3 200°C et sont éjectés à la vitesse de 2,58 km/s au niveau du sol. Le débit massique de propergol étant de 2,6 tonnes par seconde, la puissance cinétique du jet est de 8,6 gigawatts.

Nous évoquons ici  « l’intensité sonore » réelle, et non pas telle qu’elle est perçue par une oreille humaine. (Pour cela on utilise des tableaux de pondérations physiologiques ; dB(A), dB(B), dB(C), selon la fréquence…).

  • A 20 mètres des moteurs, un observateur serait théoriquement soumis à 177 dB SPL, soit l’équivalent de l’explosion d’environ 500 g de TNT à 5 mètres de distance, une onde de choc de plus de 160 km/h vous heurte, la mort instantanée assurée…
  • A 100 mètres les 163,5 dB SPL vous empêchent de respirer, vos tympans « explosent », vous n’y voyez rien, vos organes internes sont compressés, vous ne pouvez pas déglutir à cause des vibrations…  C’est la mort en quelques minutes.
  • Entre 500 mètres et 1 km, (entre 150 dB et 145 dB SPL), vos tympans sont perforés, votre thorax compressé, vous avez du mal à déglutir, votre vision est brouillée… Vous avez de grandes chances de garder de très graves séquelles d’une telle expérience !
  • A 2 km et ses 137 dB SPL vos oreilles sont toujours gravement endommagées, lorsque l’onde de choc vous atteint, vous avez l’impression d’être plaqué au sol par un joueur de rugby… Hormis vos oreilles, votre corps ne subit pas de dommages permanents.
  • A 5 250 mètres qui est la distance entre le complexe de lancement 39 et le VAB ou le LCC, le bruit est de 128 dB SPL ! C’est comme si vous mettiez votre tête dans une corne de brume de paquebot ou dans l’avertisseur sonore d’un train.
  • A quelque 6 km, où se trouve l’emplacement d’où le public peut voir le décollage, le niveau de bruit s’élève théoriquement encore à 127 dB SPL.   Le premier vol de la Saturn V
Lancement Apollo 12 – Saturn V SA-507

Le lancement où le bruit, ou du moins son ressenti, a été le plus « assourdissant » fut celui d’Apollo 12 en raison d’un plafond très bas, certaines ondes sonores ont été réverbérées ou « rétrodiffusées » par les couches nuageuses de températures différentes. Notamment les infrasons qui peuvent entrer en résonance avec certains organes digestifs, cardio-vasculaires, respiratoires, et les globes oculaires.

Lors des premiers tests des cinq moteurs F1, la NASA a enregistré 160 plaintes de « riverains »…  Il y avait pourtant une « zone tampon acoustique » circulaire de 506 km2.

Le premier test statique du S-IC (S-IC-T) sur le banc B1/B2 a eu lieu le 3 mars 1967 et a duré 15 secondes. Les sons à basse fréquences ont été entendus dans la petite ville de Picayune située à quelque 19 km de là. Une vitre en verre d’un bâtiment abritant une banque a notamment été brisée.

Tout cela pour dire que la NASA a bien évidemment dû tenir compte de ces facteurs, pour déterminer l’emplacement des pas de tir par rapport aux structures et bâtiments du Centre Spatial Kennedy, et surtout la distance à laquelle les médias, les spectateurs, peuvent assister aux lancements d’une Saturn V sans protection particulière ! La valeur retenue pour cette étude est de 210 dB SPL au niveau des moteurs !

210 dB SPL = 632 455,5 Pa = 1 000 000 000 W/m2

Dans la vidéo ci-dessous les ondes de choc successives sont clairement visibles (7 premières secondes). Merci à laserfloyd.

Pour protéger l’intégrité du lanceur, le pas de tir surélevé, en béton renforcé, comporte des tranchées dont les parois sont recouvertes de briques réfractaires, ainsi que des déflecteurs. Un indispensable déluge d’eau permet d’atténuer les ondes de choc. La Saturn V était en outre posée sur la MLP (Mobile Launcher Platform, littéralement plateforme de lancement mobile) à quelque 14 mètres du « sol ».