Le Congrès des Etats-Unis rend hommage à Wernher von Braun

Le mercredi 7 juin 1972, deux résolutions (Concurrent Résolution) du Sénat et de la Chambre des Représentants, sont présentées, pour rendre hommage à Wernher von Braun qui, le 26 mai, vient de démissionner de ses fonctions d’Administrateur Associé en charge de la planification à la NASA.

Le Sénateur Républicain de la Pennsylvanie Hugh Scott (1900-1994) a déposé la résolution S.R. 84, simultanément avec la H.R. 628 du Représentant Républicain de ce même état, John Irving Whalley (1902-1980).

« Exprimant la gratitude et les remerciements de la nation à l’occasion de la démission de Wernher von Braun de ses fonctions à la NASA. Le Comité de la Science et de l’Astronautique a été informé de ces résolutions. »

Le texte lu devant les sénateurs :

Considérant le fait que le développement du programme spatial national a amené la science et la technologie à des niveaux jamais atteints jusque là, que ce fut une source d’inspiration, de stimulation intellectuelle, et a développé un sens de l’aventure, non seulement pour le peuple des Etats-Unis, mais pour le monde entier ; et

Attendu que les réalisations du programme spatial sont en grande partie le résultat direct des contributions apportées au cours des années par le docteur Wernher von Braun, dont la stature comme génie spatial du XXe siècle et architecte en chef de la prochaine étape de l’exploration de l’espace, a déjà commencé à se muer en légende; et

Attendu que le départ du docteur von Braun de la NASA, effectif à la fin du mois de juin 1972, nous donne une excellente opportunité pour lui exprimer publiquement notre gratitude pour tout ce qu’il a fait pour le programme spatial et reconnaître également ses contributions dans les autres domaines liés à l’espace :

En conséquence, il est décidé par la présente résolution (parallèlement à celle de la Chambre des Représentants) ; Que le Congrès des États-Unis, de sa part, et au nom du peuple américain, exprime au docteur Wernher von Braun sa gratitude et sa reconnaissance, pour ses remarquables réalisations et contributions au programme spatial, et pour ce que ces dernières ont apporté et apporteront encore à l’humanité.

Une leçon inoubliable pour Wernher von Braun

Alors qu’il était étudiant à l’Institut de Technologie de Berlin-Charlottenburg (1930-1932) Wernher von Braun eut l’occasion de se confronter aux exigences et à la dextérité que requiert la fabrication industrielle. Ce faisant, il a reçu une leçon que jamais il n’oubliera.

Afin de lui inculquer les aspects techniques liés à l’usinage, à l’ajustage, au polissage etc. d’une pièce, il effectua un stage pratique de plusieurs semaines dans une usine produisant des locomotives. L’entreprise Borsig est alors l’une des plus grandes fabriques de machines du monde.

L’atelier était rempli de machines outils plus perfectionnées les unes que les autres.  Wernher von Braun est ravi, il se présente au contremaître, un homme bourru, moustachu, au regard sévère, qui porte un tablier très sale.

Lui tendant un bloc de fer de la taille d’un ballon de handball, il lui demande de le façonner en un cube parfait.

Chacun des angles doit être parfaitement droit, chaque face égale, et sans aucune aspérité, il doit être parfaitement poli. Puis, il lui désigne… l’étau qu’il devra utiliser…

C’est un peu contrarié que von Braun se dirige vers l’établi et se met au travail. Quelques jours plus tard il montre le résultat de ses efforts au contremaitre. Ce dernier mesure les angles, ils ne sont pas droits. Continuez à limer lui ordonne le contremaitre. Deux semaines plus tard von Braun soumet à nouveau le fruit de son travail. Toujours imparfait, il doit se remettre à la tâche. Orgueilleux von Braun redouble d’efforts, le bloc de métal a bien diminué de volume. Cinq semaines se sont écoulées…

« Je lui ai finalement remis le produit de mon effort absolu » se rappelle von Braun. « Le cube était un peu plus gros qu’une noix ». Regardant par-dessus ses lunettes poussiéreuses, le contremaitre mesure chaque angle, chaque côté. Le cœur de von Braun bat la chamade. Finalement la récompense suprême : « Gut ! Ja Gut ! C’est exactemant ce que j’attendais. »

A 18 ans, l’étudiant Wernher von Braun vient d’apprendre l’auto-discipline et la perfection dans ce genre de « petits travaux » manuels.

Pas de Médaille Présidentielle de la Liberté pour Wernher von Braun

En 1976, le président américain Gérald Ford (1913-2006) et son administration, sous la houlette du Conseil des distinctions honorifiques du service civil (Distinguished Civilian Service Awards Board), envisagent d’attribuer à Wernher von Braun, dont le cancer est en phase terminale, la plus haute distinction civile américaine, la Médaille Présidentielle de la Liberté (Presidential Medal of Freedom).

Mais l’un des conseillers du président, le directeur de la communication, David Gergen (1942- ) est contre. A 34 ans, son raisonnement est le suivant : « Désolé, mais je ne peux pas accepter l’idée, de donner la médaille de la Liberté à un ancien nazi, dont les V2 ont été lancés sur plus de 3 000 villes britanniques et belges. »

On passera sur les horribles confusions de Gergen, « …3 000 villes… », les amalgames sur le terme « nazi »,  et rendre responsable un inventeur, de l’utilisation de son invention. A-t-on accusé Robert Oppenheimer d’avoir tué 150 000 civils à Hiroshima et Nagasaki ? Et que dire de Samuel Colt, Oliver Winchester, Alfred Nobel, Arthur Galston, Louis Fieser, Mikhaïl Kalachnikov etc. ? Sont-ils des criminels ?

En définitive, Gerald Ford, qui est le seul président des Etats-Unis à ne pas avoir été élu à ce poste, il remplace Richard Nixon (dont il était le vice-président) obligé de démissionner le 9 août 1974 pour éviter sa destitution suite à l’affaire du Watergate, qui  sera battu aux présidentielles de 1976 par Jimmy Carter, octroie tout de même à Wernher von Braun, la Médaille Nationale de la Science (National Medal of Science).

Pourtant « l’apport » décisif de Wernher von Braun colle parfaitement avec le cadre d’attribution de la Médaille Présidentielle de la Liberté, qui est décernée à toute personne quelle que soit sa nationalité et qui a fait : « une contribution particulièrement méritante pour la sécurité ou les intérêts nationaux des États-Unis, la paix du monde, la culture, ou d’autres actions significatives dans le domaine public ou privé. »

Gerald Ford (à g.) et David Gergen