Wernher von Braun s’exprime sur le cas Oppenheimer

Le vendredi 14 mars 1958, à partir de 10:15, Wernher von Braun est auditionné dans la salle 429 de la Chambre des Représentants, par le Comité sur l’Education et le Travail (House of Representatives – Subcommittee of Special Education and Subcommittee on General Education, Committee on Education and Labor.)

Il s’agit de trouver des solutions, pour notamment, augmenter l’engouement des jeunes pour les carrières scientifiques. Wernher von Braun est alors directeur du développement et des opérations à l’Army Ballistic Missile Agency au Redstone Arsenal, basé à Huntsville en Alabama.

Après la claque Spoutnik, les Etats-Unis ont pris conscience des lacunes de leur système éducatif.

La séance est présidée par Carl Atwood Elliott (20 décembre 1913 – 9 janvier 1999) qui représente le 7e district de l’Alabama.

Les travaux de cette commission, aboutiront au vote du National Defense Education Act, le 2 septembre 1958. Plus d’un milliard de dollars (10,5 milliards en monnaie constante) seront injectés dans l’enseignement scientifique, des bourses et des prêts à taux très réduits seront mis en place, etc..

Un peu avant la fin de l’entretien, le représentant démocrate du 4è district du New Jersey, Frank Thompson Jr. (26 juillet 1918 – 22 juillet 1989) et Wernher von Braun ont cet échange :

M. THOMPSON. Dans mon district du Congrès se trouve l’Institute of Advanced Study de Princeton… Le Dr Oppenheimer y habite et Einstein y habitait. Ne trouvez-vous pas qu’il est quelque peu tragique qu’en raison de considérations ou de pensées politiques, le pays ait été privé des services du Dr Oppenheimer ?

M. VON BRAUN. Tout à fait. Tout à fait. Je pense notamment aux circonstances dans lesquelles il a été éconduit. En réalité, cela a très gravement nui à la communauté scientifique.

M. THOMPSON. Ne pensez-vous pas que cela a affecté la liberté de pensée des scientifiques partout aux États-Unis ?

M. VON BRAUN. Oui Monsieur.

M. THOMPSON. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Je pense que c’est un scandale.

M. VON BRAUN. Je ne suis pas en mesure de commenter de quelque manière que ce soit les aspects sécuritaires de cette affaire, et je dirais, la manière dont toute cette affaire a été gérée. Je ne sais pas. D’autres pays… Je pense que les Britanniques l’auraient anobli.

Les commentaires de Wernher von Braun concernant Robert Oppenheimer seront repris par le New York Times du 15 mars.

Oppenheimer-von-braun

Rappelons brièvement qu’en juin 1954 juste avant la fin du maccarthysme, Julius Robert Oppenheimer (22 avril 1904 – 18 février 1967) soupçonné d’avoir des sympathies communistes, voire par certains, d’être un espion à la solde des soviétiques, est privé de son habilitation secret défense, à la suite d’une « audition de sécurité », qui n’est qu’une parodie.

En réalité, une vengeance politique orchestrée par Lewis Strauss (31 janvier 1896 – 21 janvier 1974). Une partie des minutes ont été tenues secrètes jusqu’en 2014. Lui, le loyal et brillantissime directeur scientifique du projet Manhattan, le père de la bombe atomique, est désormais considéré comme une menace pour la sécurité des Etats-Unis. Albert Einstein dégoûté par les agissements de l’AEC (Atomic Energy Commission) fera ce bon mot :  » Désormais AEC devra faire référence à Atomic Extermination Conspiracy ».

Robert Oppenheimer sera partiellement réhabilité par le président démocrate John F. Kennedy, qui a décidé de lui remettre le prestigieux prix Enrico Fermi.

Le 16 décembre 2022, la secrétaire américaine à l’Énergie, Jennifer Granholm, annule la décision vieille de 68 ans de révoquer l’habilitation de sécurité de Robert Oppenheimer et avoue que cette dernière a été prise à l’occasion d’une procédure qui a violé les propres règlements de la Commission de l’Energie Atomique des Etats-Unis.( AEC’s 1950 « Security Clearance Procedures. »).

Wernher von Braun ou la passion des astres

La mère de Wernher von Braun, Emmy, née von Quistorp, (3 novembre 1886 – 27 décembre 1959), était extrêmement cultivée, elle parlait cinq langues. Férue d’ornithologie et surtout d’astronomie, elle va vouloir initier ses enfants à l’observation des astres.

C’est ainsi qu’à l’occasion de la confirmation (Eglise Luthérienne) de Wernher, elle offre à son fils, qui selon les propres dires de sa mère « absorbe les connaissances comme une éponge sèche », un cadeau plutôt original pour un tel événement, une lunette astronomique. Il avait 13 ans.

Emmy von Braun confiera en 1948 : « Le cadeau idéal, il a dépassé toutes nos espérances. »


Trois ans plus tard, à l’âge de seize ans, Wernher von Braun qui fréquente alors le lycée Hermann Lietz sur l’île de Spiekeroog, écrit un essai sur l’astronomie qu’il intitule : « De l’histoire de l’astronomie » (Aus der Geschichte der Astronomie) dans lequel il cite notamment Camille Flammarion (26 février 1842 – 3 juin 1925), décédé trois ans plus tôt ; « … le plus grand astronome français, qui a déclaré que l’astronomie est aussi ancienne que l’humanité. Il avait raison.»

Lorsqu’il évoque les planètes, il s’attarde sur Mars, et notamment ses « canali » découverts par Giovanni Schiaparelli (14 mars 1835 – 4 juillet 1910) dont Percival Lowell (13 mars 1855 – 13 novembre 1916) pense à tort qu’il s’agit de canaux artificiels creusés par des êtres intelligents.

Mars, restera toute sa vie sa planète préférée.

En même temps il réussit à convaincre le proviseur du lycée d’acquérir un petit télescope d’environ 10 cm de diamètre. Pour l’abriter, le jeune lycéen mettra sur pied une équipe pour construire un petit observatoire. Les volontaires passeront l’essentiel de leur temps libre à réaliser ce projet.


Quelque 25 ans plus tard, à l’automne 1954, alors que von Braun est directeur du développement des missiles au Redstone Arsenal à Huntsville en Alabama, un lycéen de seize ans, Samuel F. Pruitt qui souhaite créer un club d’astronomie le contacte pour lui demander de l’aide.

Von Braun est enthousiaste. Promouvoir l’astronomie et la culture scientifique, quoi de plus exaltant ?

Jusque-là, l’initiative de Samuel Pruitt et de quelques camarades était restée sans écho.

Avec Wernher von Braun, Ernst Stuhlinger* (19 décembre 1913 – 25 mai 2008), Wilhelm Angele* (8 février 1905 – 22 août 1996), Conrad Swanson, Spencer Isbel, George Ferrell et bien d’autres, tout va changer.

Ils vont voir les choses en grand.

Il faut, pour donner l’exemple, mettre la main à la poche, 100 dollars pour Wernher von Braun (soit plus de 1 000 dollars en monnaie constante), les personnes présentes vont donner au total 800 dollars pour l’achat d’un télescope.

Ils vont ensuite récolter plus de 3 000 dollars de dons en espèces (31 000 dollars en monnaie constante) auprès des habitants de Huntsville, et au final quelque 8 000 dollars en matériaux divers, (bois, parpaings, ciment, etc.) offerts par des entreprises locales (83 000 dollars en monnaie constante).

Les premières réunions se tiennent au domicile de Martin Schilling* (1 octobre 1911 – 30 avril 2000). Le 4 avril 1955 un comité directeur provisoire est mis en place avec Wernher von Braun comme président.

Les statuts de l’association sont rédigés, et en décembre 1955 est fondée la « Rocket City Astronomical Association » qui élit ses premières instances dirigeantes officielles :

Président : Wernher von Braun

Vice-Président : B. Spencer Isbell

Secrétaire général : Robert Bradspies

Secrétaire administratif : George Ferrell

Trésorier : Erwin W. Priddy

Directeurs : Ernst Stuhlinger, Wilhelm Angele, Gerhard Heller, Conrad D. Swanson.

Wernher von Braun restera le président de l’association jusqu’en 1968.

Un club d’astronomie doit se doter d’un télescope digne de ce nom. Grâce à ses nombreuses relations, Wernher von Braun va trouver un télescope de 40 cm de diamètres pour 600 dollars chez un revendeur de Californie, Rex Bohannan.  Un très beau cadeau en réalité, car le miroir à lui seul vaut 2 000 dollars…

Pour abriter un tel télescope, il faut un observatoire, pour le construire il faut trouver un terrain…

Un petit vol en avion, dans un Piper loué par Ernst Stuhlinger et Théodore Paludan, au-dessus du Monte Sano, à dix kilomètres au nord-est de Huntsville, va leur permettre de repérer le site idéal, un terrain de 5 hectares à 493 m d’altitude, qui fait partie du Monte Sano State Park, un parc d’état de 120 hectares géré par le Alabama Department of Conservation and Natural Resources dont le siège se trouve à Montgomery, la capitale de l’Alabama. Le directeur, James Segrest, leur louera le terrain pour 1 dollar symbolique. Le bail de 25 ans est renouvelable à la discrétion de l’association. A ce jour le bail a été renouvelé trois fois.

Il faut défricher (plus de 300 arbres devront être coupés), construire une voie d’accès, faire des fondations, creuser des tranchées pour le système d’évacuation des eaux, construire une bâtisse, etc.

Personne ne compte ses heures, les mercredis soir et les week-ends. Wernher von Braun est l’un des plus actifs.

La partie la plus technique fut la construction du dôme rotatif de 9 mètres de diamètre conçu par Wilhelm Angele et Gerhard Heller* (24 janvier 1914 – 1 octobre 1972). La coupole à rotation électrique sera assemblée dans un des hangars du Redstone Arsenal, après l’aval du général John Bruce Medaris (12 mai 1902 – 11 juillet 1990), emballé lui-aussi par le projet.

Le dôme sera transporté sur les lieux par un camion de l’armée, et posé sur l’édifice par une grue de l’armée.

C’est un camion et une grue de l’armée qui achemine et pose le dôme sur la bâtisse.
Le dôme est posé. Wernher von Braun est en bermuda et chaussettes bariolées (5ème en partant de la gauche). Ernst Stuhlinger est à l’extrême droite.

Le 6 septembre 1956 les travaux ne sont pas terminés, mais suffisamment avancés pour que soit organisée la première observation. Elle concernera la planète Mars. L’occasion est trop belle, il y a 17 ans qu’elle n’avait pas été aussi proche de la Terre. La prochaine occurrence ne se reproduira que dans 15 ans.

Ernst Stuhlinger et Wernher von Braun. 1956

Le 26 juin 1957 l’association publie une revue trimestrielle « Space Journal » d’une cinquantaine de pages, dont le premier numéro est dédié à Hermann Oberth* (25 juin 1894 – 28 décembre 1989), nommé membre honoraire de l’association. Le deuxième numéro paraîtra deux semaines après Spoutnik 1. Le dernier numéro paraît en décembre 1959. Au total, seuls 7 numéros seront produits.

Hermann Oberth consulte le premier exemplaire de Space Journal qui lui est consacré, à l’occasion d’un dîner donné en son honneur. Debouts de g. à d. : Gordon D. Willhite, Yewell Lybrand, Harold Price, George A. Ferrell, David L. Christensen, Lew Cimijotti. Assis de g. à d. : Ralph E. Jennings, James L. Daniels, B. Spencer Isbel, Hermann Oberth, Wernher von Braun, Ernst Stuhlinger. Crédit photo : E.H. Robertson.

L’observatoire de Huntsville est officiellement inauguré en octobre 1958. Il est le plus grand de tout le sud-est des Etats-Unis (13 états).

D’illustres invités viendront observer les astres, dont Elvis Presley, en mai 1959. Suivront le 28 juin 1959 Jack Heberlig membre de l’équipe de Max Faget, Raymond Zedekar du Flight Crew Operations Division, Walter Kapryan, Robert Voas, ainsi que les astronautes Gordon Cooper et Alan Shepard. Ils observeront principalement Jupiter et ses satellites galiléens.

Plus tard, Buzz Aldrin viendra observer la Lune avec von Braun à la recherche de sites d’atterrissage. Ce dernier lui assure que très bientôt un américain y marchera.

Lorsque la mère de Wernher von Braun décède d’un cancer colorectal, le dimanche 27 décembre 1959 (elle est hospitalisée depuis le 3 novembre), il passera une nuit à l’observatoire, seul, à observer le firmament. Sa mère adorée qui l’a toujours soutenu et encouragé dans ses rêves d’espace.

Le 25 mai 1963, Frank Wyle fondateur de Wyle Laboratories, Inc. offre à l’association un projecteur GOTO Model S-2 (depuis 2011 il s’agit d’un Spitz A3P). C’est William Mrazek* (20 octobre 1911 – 8 février 1992) qui s’occupera de la construction du nouveau planétarium. (Wernher von Braun Planetarium) La base du dôme de projection est constituée d’une maquette grandeur nature de l’adapteur inter-étages S-II / S-IVB de la Saturn V. (photo ci-dessous)

Au début des années 70, un télescope avec un miroir de 21 pouces (53,34 cm) entièrement construit par les membres de l’association remplace celui acheté par von Braun. C’est une machine conçue par Wilhelm Angele qui permettra de polir le miroir. (Conrad Swanson Observatory)

En 1974 lorsque la RCAA (Rocket City Astronomical Association) fondée en 1955 en tant qu’association devient une société, la dénomination est modifiée et devient à l’unanimité, la VBAS (von Braun Astronomical Society)

Au début des années 80, l’association récupère l’un des deux Celestron 16 (miroir de 40,64 cm) achetés par la NASA en 1967 (prix de vente public : 11 000 dollars pièce, soit 92 000 dollars en monnaie constante), qui sera abrité dans un observatoire à toit roulant. (Wilhelm Angele Observatory) qui renferme également le télescope solaire Ernst Stuhlinger terminé en 1994, qui était son projet personnel.

Le Celestron 16

67 ans après sa création, la Wernher von Braun Astronomical Society est toujours aussi dynamique.

Une photo récente du site. (Crédit photo : Alabama States Park)

En 1972, pour le soixantième anniversaire de Wernher von Braun, ses amis lui offrent un Celestron 8. Le légendaire télescope de type Schmidt-Cassegrain d’ouverture ƒ10 d’un diamètre de 8 pouces (20,32 cm) et de 2 032 mm de distance focale.  Ainsi qu’une caméra CCD pour la photographie astronomique. A ce moment-là Wernher von Braun réside à Alexandria à quelque 13 km de Washington. Il se bricolera un petit observatoire dans son jardin.


Wernher von Braun rejoint les étoiles dans les premières heures du jeudi 16 juin 1977, sur sa pierre tombale, sous son nom et ses années de naissance et de décès, figure la mention : « Psalms : 19:1 », l’épitaphe qu’il a choisi.

 Que dit le psaume 19 :1 ?

« Les cieux racontent la gloire de Dieu, et le firmament l’étendue de son œuvre ».


Le premier numéro de SPACE Journal

SpaceJournal_1957-Summer

* Ancien de Peenemünde, membre de la « Rocket Team » de Wernher von Braun aux Etats-Unis.

Quel rapport entre Alex Olmedo et Wernher von Braun ?

L’immense journaliste sportif du New York Times, Arthur Daley (31 juillet 1904 – 3 janvier 1974), s’interroge dans un article fortement polémique, publié le 1er janvier 1959 dans la rubrique Sports of The Times, intitulé A Pyrrhic Victory (Une victoire à la Pyrrhus), pourquoi une Amérique forte de 171 millions d’habitants est incapable de trouver trois joueurs de tennis de nationalité américaine pour affronter l’équipe d’Australie en Coupe Davis.

En effet, l’équipe américaine de 1958 avait recruté Luis Alejandro Rodríguez Olmedo (24 mars 1936 – 9 décembre 2020) de nationalité péruvienne, pour disputer cette quarante-septième Coupe Davis, et notamment le Challenge Round face au tenant du titre, l’Australie, qui s’est déroulé du 29 au 31 décembre 1958 à Brisbane en Australie.

Alex Olmedo a pu représenter les Etats-Unis car il y vivait depuis plus de cinq ans et que son pays d’origine n’avait pas d’équipe de Coupe Davis.

Au final les américains gagnent le Challenge Round de la Coupe Davis 1958 (3-2) grâce à ses deux victoires en simple et sa victoire en double associé à Hamilton « Ham » Richardson (24 août 1933 – 5 novembre 2006).

Dans son article Daley écrit que « ce triomphe indésirable doit faire du tennis américain la risée du monde entier » et conclut par cette phrase : « la coupe devrait être exposée dans un musée Inca du Pérou afin que les fiers péruviens puissent l’admirer. Ce vieux trophée est bien trop terni pour pouvoir passer la douane et entrer aux Etats-Unis. »

En 1959 Alex Olmedo est classé deuxième joueur mondial de tennis amateur après l’australien Neale Fraser. Il est membre du International Tennis Hall of Fame depuis 1987.

Dans son édition du 11 janvier 1959, le New York Times publie certaines des nombreuses réactions des lecteurs, dont celle-ci, envoyée par une certaine madame William B. Dodge de Princeton dans le New-Jersey :

 » Personne ne s’est empressé de nous faire remarquer que [Dr Wernher von Braun] von Braun [qui dirige le programme des missiles de l’armée de terre] n’est pas américain. Pourtant M. Daley nous critique sévèrement pour accepter les talents d’un étranger qui a généreusement adopté notre pays comme deuxième patrie. Quel plus beau compliment pouvons-nous recevoir, que celui d’un étranger fier de représenter les Etats-Unis ? «