Lorsque l’administration Kennedy voulait imposer à la NASA la sélection d’un astronaute afro-américain

La déségrégation fut l’un des combats majeurs du président John F. Kennedy et de son frère Robert…

Pour les années 1959 (sélection du premier groupe d’astronautes) et 1962 (sélection du deuxième groupe d’astronautes), aucun candidat afro-américain ne figure sur les listes des pilotes d’essai soumis à la NASA…

Whitney Young (1921-1971) le très influent directeur de la National Urban League, une organisation militant pour les droits civiques des afro-américains, n’avait-il pas demandé publiquement : « Pourquoi n’avons nous pas un astronaute noir ? » (Why don’t we have a Negro astronaut ?)

Pour la sélection du troisième groupe d’astronautes en 1963, Robert Kennedy procureur général (l’équivalent de notre ministre de la justice), et frère cadet du Président John Kennedy, appelle personnellement Charles Berry (médecin chef à la NASA), ainsi que Donald Slayton (chef du bureau des astronautes), qui font partie du comité de sélection, pour leur signifier : « Nous voulons être certains qu’il y aura un astronaute afro-américain lors du prochain recrutement. » Charles Berry lui répond que la NASA dispose déjà de la liste des « finalistes » sur laquelle effectivement il doit y avoir deux candidats afro-américains mais qu’il ne peut pas garantir que l’un d’eux soit sélectionné. Robert Kennedy lui rétorque alors : « Vous ne me comprenez pas. J’ai dit que nous voulons, et vous ferez en sorte qu’il en soit ainsi, qu’il y ait un astronaute afro-américain. »

Le comité de sélection étudia les dossiers, utilisant le système de notation qui avait fait ses preuves, classant les candidats en leur octroyant des points selon leur nombre d’heures de vol, les types d’appareils sur lesquels ils ont volé, leur expérience au combat, leurs diplômes, les recommandations de leurs supérieurs etc.  Lors de cette évaluation totalement objective, le classement du meilleur pilote afro-américain, le capitaine Edward Dwight, figurait loin derrière les 35 candidats sélectionnés pour subir les tests médicaux à la base aérienne Brooks à partir du 31 juillet, et les interviews à Houston dès le 2 septembre… Cette année là, la NASA a reçu 271 candidatures, 71 militaires, de l’Air Force (USAF), la Navy (USN), le Corps des Marines (USMC), et 200 candidatures civiles.

14 pilotes, tous blancs, composeront le troisième groupe d’astronautes, dont l’identité sera divulguée le 17 octobre 1963. (7 USAF – 4 USN – 2 USMC – 1 civil ex-USAF – Edwin Aldrin, William Anders, Charles Bassett, Alan Bean, Eugene Cernan, Roger Chaffee, Michael Collins, Walter Cunningham, Donn Eisele, Theodore Freeman, Richard Gordon, Russell Schweickart, David Scott, Clifton Williams.)

L’assassinat du Président Kennedy 5 semaines plus tard, mettra un terme à l’ingérence de son administration dans le processus de sélection des astronautes.

Il convient de préciser que le capitaine Edward Dwight de l’US Air Force avait au préalable été imposé par l’administration Kennedy pour être sélectionné au sein de l’ARPS [Aerospace Research Pilot School – Le nouveau nom de la Test Pilot School depuis le 12 octobre 1961. Le 1er juillet 1972 l’ARPS reprend la dénomination de U.S. Air Force Test Pilot School.] en septembre 1962 au grand dam de Charles Yeager, le commandant de la base, qui évoque cette ingérence et ses conséquences dans son autobiographie publiée en 1986… « Dwight était un bon pilote, mais pas un grand pilote. » Lors de la phase 2 de sa formation à la « Space School » Dwight se retrouve notamment avec Theodore Freeman, James Irwin, David Scott… Son histoire fut très médiatisée en son temps, ce qui déplut fortement à l’US Air Force…

Edward Dwight et Charles « Chuck » Yeager.

Ed Dwight victime de discriminations au plus haut niveau, en instance de divorce, finit par quitter l’armée de l’air en 1966. Au milieu des années 1970, il change complètement de cursus pour devenir un sculpteur de renom… Né le 9 septembre 1933, il a eu 85 ans cette année. Il retrace son histoire dans un livre : « Soaring On The Wings Of A Dream: The Untold Story of America’s First Black Astronaut Candidate ».

Son site internet (en anglais) : https://www.eddwight.com/about

En définitive, le premier astronaute « de couleur » est Robert Henry Lawrence Jr (1935-1967). Sélectionné en 1967 comme astronaute par l’US Air Force pour son projet de station spatiale MOL (Manned Orbiting Laboratory), il décède le 8 décembre 1967 dans le crash de son F-104, il avait 32 ans.

Guion Blufford (né en 1942) est le premier afro-américain dans l’espace, sélectionné dans le groupe 8 de la NASA en 1978, il effectue 4 vols à bord de la navette spatiale entre 1983 et 1992.

Le premier astronaute noir dans l’espace s’appelle Arnaldo Tamayo Méndez (né en 1942), un cubain de descendance africaine, il effectue son vol spatial à bord de Soyouz 38 du 18 au 26 septembre 1980.

Frederick Gregory (né en 1941) est le premier astronaute afro-américain commandant de mission ; STS-33 du 22 au 28 novembre 1989. [Il dirigea « intérimèrement » la NASA (Acting Administrator) du 11 février 2005, après le départ de Sean O’Keefe (né en 1956), jusqu’au 14 avril 2005, lorsque Michael Griffin (né en 1949) est nommé à la tête de l’agence spatiale.

Lorsqu’un astronaute retrouve sa combinaison spatiale sur eBay

L’astronaute Clayton Anderson (né le 23 février 1959) a passé 147 jours à bord de la Station Spatiale Internationale (ISS) en 2007, exactement du 10 juin au 4 novembre, lors de l’Expédition 15. C’est la navette Atlantis (Mission STS-117) qui l’y emmène, et c’est Discovery (STS-120) qui le ramène sur Terre.

Les américains ayant annulé leur projet CRV (Crew Return Vehicle), un vaisseau spatial dédié spécifiquement pour l’évacuation des résidents de la Station Spatiale Internationale en cas d’urgence, c’est une capsule Soyouz TMA, continuellement amarrée à la station (par périodes de six mois) qui fait office de chaloupe de sauvetage. En ce moment il y a six personnes à bord de la station, il y donc deux Soyouz amarrés. Pour pouvoir l’utiliser, la NASA a signé un contrat avec Roscosmos, l’agence spatiale russe qui comprend notamment l’entrainement des astronautes, dont des stages de survie propres aux conditions d’atterrissage de la capsule… Et bien évidemment la fourniture d’une combinaison de secours, actuellement la Sokol KV-2,  qui est fabriquée par la société NPP Zvezda, la seule qui permette de voler à bord de Soyouz.

En 2007 un siège sur Soyouz est facturé 21,8 millions de dollars. Puis, avec l’arrêt du programme navette spatiale (dernier vol en juillet 2011) et les retards du Commercial Crew Program qui doit permettre aux américains de se rendre sur l’ISS par leurs propres moyens, via les sociétés privées SpaceX et Boeing, les prix n’ont cessé de flamber, et l’on atteint désormais la somme faramineuse de 81 millions de dollars par vol ! Même en tenant compte de l’inflation, puisque 21,8 millions de dollars en 2007 sont l’équivalent de 26,5 millions en 2018 ! Depuis 2006 la NASA aura versé 3,36 milliards de dollars à la Russie, rien que pour envoyer ses astronautes sur l’ISS et les ramener sur Terre.

Pendant que Clayton Anderson s’entraîne à la Cité des Etoiles, à Moscou, quelqu’un lui propose, moyennant la somme de 10 000 dollars américains, de récupérer sa combinaison après la mission, et de la lui envoyer directement chez lui. Alors peu au fait des us et coutumes russes, il prend cette « offre » pour une boutade…

Clayton Anderson a enfilé sa combinaison Sokol (Faucon en russe) à bord de l’ISS. Derrière lui en haut le russe Oleg Kotov et en-bas à droite le commandant russe de la mission, Fyodor Yurchikhin. Photo NASA.

Des années plus tard, après sa mission dans l’ISS, Anderson apprend que bon nombre de ses collègues ont conservé leurs gants en guise de souvenir. Lorsque les russes apprennent cela, ils exigent, auprès de la NASA, le retour de tous les gants « escamotés »… L’agence spatiale américaine négocie un compromis ; un prêt « temporaire ».  Il faut savoir que ces gants sont fabriqués sur mesure, deux paires de gants sont confectionnés pour chaque combinaison, et ont une date de péremption, ils ne peuvent donc pas resservir. Qui plus est, il ne faut pas oublier que la NASA a payé le prix fort pour cet équipement !

Anderson aimerait bien récupérer ses gants pour les donner au Strategic Air Command and Aerospace Museum, un musée qui se trouve désormais près de la ville où il a grandi, Ashland au Nebraska. Les démarches de la NASA, et les siennes, restent vaines, niet  répondent les russes.

En janvier 2013 il démissionne de la NASA, après y avoir travaillé pendant 30 ans, dont les 15 derniers comme astronaute.

En 2015, alors qu’il a perdu tout espoir, un collègue lui envoie un courriel avec un lien, qui l’emmène sur le site d’enchères américain eBay. Stupéfait, puis dégoûté, il constate que ses gants sont en vente, ce sont bien ses initiales : KA (en alphabet cyrillique Clayton s’écrit avec un K).

Le pseudo du vendeur est Maxim, il vend la paire de gants 4 000 dollars en « achat immédiat ». Après en avoir discuté avec sa femme, de peur de ne pas remporter l’enchère, il décide de les acheter sur le champ. En dépit de ses craintes et réticences la transaction se déroule parfaitement, puisqu’il reçoit son colis quelques jours plus tard ; les gants sont en parfait état. C’est ainsi que ledit musée compta un élément de plus dans son pavillon dédié à l’espace.

Comme le précise le rédacteur indépendant Terry Dunn dans son article publié sur Tested.com intitulé malicieusement From Russia with Gloves : « Après des années de vains efforts, Clay trouva finalement un moyen de récupérer ses gants Sokol pour un musée. Force est de constater une fois de plus que l’argent a été un bien meilleur catalyseur que la diplomatie. »

Clayton Anderson s’interroge alors : « Si ce Maxim a pu avoir mes gants, peut-être qu’il pourra se procurer ma combinaison ? »

Non seulement Maxim a la combinaison, mais également les gants de rechange, les sous-vêtements, les badges, les bottes grises en cuir utilisées lors des déplacements, et même l’étiquette brodée avec son nom… Le prix demandé : 50 000 dollars ! Il se souvient alors, dépité, de la proposition qu’on lui avait faite à la Cité des Etoiles, au Centre d’Entrainement des Cosmonautes Youri Gagarine !

N’ayant pu réunir que la moitié de la somme sur ses propres deniers et l’aide de deux amis, l’achat se fait en deux temps. Avec un premier versement de 20 000 dollars Maxim s’engage à envoyer la combinaison de Russie chez un ami dans le Maryland. Ayant reçu les preuves de l’arrivée du Sokol sur le sol américain, Clayton Anderson continue la levée de fonds. De son côté, le musée organise par le truchement d’une campagne internet un appel à dons, le slogan de cette opération : « Save the Suit ». (Récupérons la combinaison)

En quelques mois la somme nécessaire, soit 73 000 dollars, est collectée,  elle servira pour effectuer le deuxième versement au vendeur, rembourser Clay Anderson et ses amis, et faire l’acquisition d’une vitrine qui permettra de conserver et exposer la combinaison dans les meilleures conditions possibles. La transaction finale se déroule sans anicroche et la combinaison est finalement livrée.

C’est ainsi que le samedi 21 octobre 2017, Clayton Anderson en personne, présente devant un public de plus de 200 personnes, à l’occasion d’une soirée organisée de 17:00 à 20:00, à laquelle quelque 900 personnes assisteront au total, sa chère combinaison Sokol, enfin dans son musée préféré, quelque 10 ans après sa mission dans la Station Spatiale Internationale.

Anderson étant à ce jour le seul astronaute natif du Nebraska, il était normal qu’il tienne absolument à ce que ce soit un musée de ce même état qui accueille sa combinaison Sokol.

Clayton Anderson au Strategic Air Command and Aerospace Museum à côté de sa combinaison Sokol KV-2. Crédit photo : Suzy NELSON – The Ashland Gazette

Une combinaison qu’il n’a porté en définitive qu’une seule fois « en opération », lorsque l’équipage de l’Expédition 15 a dû déplacer le Soyouz TMA-10 vers un autre port d’amarrage pour libérer ce dernier. Dans ce cas précis, le protocole de sécurité prévoit que les trois occupants de l’ISS doivent prendre place dans le Soyouz, car il s’agit d’éviter qu’un astronaute reste seul dans l’ISS au cas où le vaisseau spatial serait dans l’incapacité de s’amarrer à la station. La manœuvre n’a duré que 20 minutes et s’est parfaitement déroulée.

Clayton Anderson dans Soyouz. Photo NASA.

On se demande comment ces articles, qui sont techniquement la propriété de l’état russe, financés par les américains, ont pu se retrouver sur un site d’enchère comme eBay. Ceci dit, tout le monde sait que le spatial russe est gangrené par la corruption, sachant qu’en Russie elle est endémique, le pays se situant à la 131e place sur 176, en 2016, selon Transparency International ! (Le classement se faisant, du moins au plus corrompu. Les Etats-Unis sont à la 18e place et la France à la 23e). Si vous allez sur eBay.com et recherchez des articles « Sokol », la liste est impressionnante !

De la même manière, en 2012 par exemple, la combinaison Sokol de Shannon Lucid (mission sur Mir du 22 mars au 26 septembre 1996) a été vendue aux enchères par la maison Bonhams pour la somme de 28 427 euros… En 2016 celle de Donald Pettit, de l’Expedition 6 (du 25 novembre 2002 au 3 mai 2003), qui a regagné la Terre à bord de Soyouz TMA-1, a été vendue pour la bagatelle de  50 817 euros…

Anecdote dans l’anecdote : Clayton Anderson travaille à la NASA depuis 1983, tout d’abord au sein de la division Mission Planning and Analysis, au Centre Spatial Johnson (…) Il ne devient astronaute qu’en 1998 (Groupe 18) après avoir postulé… 15 fois !

Mes plus chaleureux remerciements à M. Dominique Gaudrier, grand passionné de la conquête de l’espace depuis 1965, et collectionneur émérite, à l’origine de cette anecdote. L’essentiel de cette histoire se trouve ici en anglais. Vous pouvez retrouver les excellentes contributions de « Papy Domi » sur l’excellent Forum de la Conquête Spatiale.

Un journal économique soviétique rapporte de curieuses histoires de Cap Kennedy

Le 25 juin 1972, le journal soviétique spécialisé dans l’économie, Sotsialisticheskaya Industriya, (Industrie Socialiste) se fait l’écho « d’histoires curieuses qui se sont produites à Cap Kennedy ».

C’est ainsi que le journal rapporte l’histoire d’un alligator qui a déclenché le système d’alarme protégeant une fusée sur son pas de tir, quelques secondes avant la mise à feu ; l’explosion d’un missile Polaris, à 800 mètres du pas de tir, déclenchant un incendie, qui a provoqué la panique de serpents très venimeux qui se sont réfugiés dans des bâtiments ; l’histoire d’un pic-vert qui a endommagé un dispositif électronique, provoquant le report du lancement.

Les anecdotes concernant des animaux interférant avec les opérations de lancement au Centre Spatial Kennedy et au Cap Canaveral sont relativement nombreuses et pour la plupart anodines, de l’alligator qui traverse la route pendant que le van emmène les astronautes au pas de tir, à la chauve-souris agrippée au réservoir extérieur de la navette spatiale, etc.

Le risque le plus dangereux est constitué par les collisions avec des oiseaux, (310 espèces dans la région) notamment à l’époque des décollages de la navette spatiale, en raison des dommages pouvant être causés à son système de protection thermique.  Risque pour lequel une « BIRD Team » a même été constituée. (En anglais bird signifie oiseau, mais dans ce cas il s’agit de l’acronyme de : Bird Investigation Review and Deterrent) en charge d’évaluer les risques liés aux oiseaux et de mettre en oeuvre les mesures dissuasives avant chaque lancement.

Ces histoires ne sont pas si curieuses en définitive, pour la bonne et simple raison que depuis 1963, le site de Merritt Island est une réserve naturelle protégée de 567 km² (Merritt Island National Wildlife Refuge et Canaveral National Seashore) sous l’égide du U.S. Fish and Wildlife Service, l’organisme d’état chargé de la protection de la faune de la flore, et des habitats naturels, aux Etats-Unis.

Crédit Photo : Wallace William « Win » McNamee (1932-2017)

Les opérations liées aux lancements spatiaux, technologie de pointe s’il en est, n’étant pas incompatibles avec la préservation de la Nature.