La fusée A4, un formidable outil pour la science

C’est à Peenemünde que furent jetées les bases de l’exploration des couches supérieures de l’atmosphère à l’aide de fusées.

Le 8 juillet 1942, Wernher von Braun, Ernst Steinhoff, Reinhold Strobel (spécialiste en balistique) et Gerhard Reisig qui avait équipé les petites fusées A3 et A5 pour mesurer température et pression, rencontrent le Dr Erich Regener et ses collègues Alfred Ehmert et Erwin Schopper au centre de recherche pour la physique de la stratosphère à Friedrichshafen. [Forschungsstelle für Physik der Stratosphäre fondé et dirigé par Regener  (1881-1955)].

Il était crucial pour l’équipe de Peenemünde de connaître la composition de la haute atmosphère (notamment la température, la pression et la densité) pour déterminer le comportement des fusées et calculer au mieux les trajectoires balistiques.

Dès le 11 juillet 1942, le centre de recherche de l’armée de terre de Peenemünde, commande formellement l’étude d’un équipement composé d’un barographe à quartz, d’un thermographe à fil, d’un spectrographe à rayons ultraviolets, et d’un appareil pour le prélèvement d’échantillons d’air, pour un montant de 25 000 Reichsmark (en 1941 le taux de change officiel  s’établissait à 1 Reichsmark pour 2,5 USD). Von Braun nomme Helmut Weiss comme « interface logistique » entre Peenemünde et l’équipe de Regener, et Gerhard Reisig pour aider cette dernière.

Erich Regener était l’un des plus grands spécialistes au monde de la haute atmosphère de la Terre.

A la suite de cette demande il réalisa un appareillage connu sous le nom de « tonneau de Regener », c’est-à-dire un container englobant tous les instruments énumérés plus haut, qui devait prendre la place de la charge utile, placée dans le nez de la fusée A4, pour être éjecté à l’apogée de la trajectoire, environ 80 km.

Regener et son fils Victor avaient envoyé des ballons sondes à des altitudes de 30 km. Ils ont même imaginé un canon à hydrogène, Wasserstoffkanone, qui permettait d’envoyer à partir d’un ballon ayant atteint cette hauteur, une charge utile à 50 km d’altitude. Un parachute imaginé par Regener, dont le déploiement était assuré par le gonflage de poches par du gaz comprimé, devait permettre sa récupération. Un émetteur incorporé facilitait la localisation au sol de l’ensemble.

« L’Institut de Recherches de la télémétrie radio » de Munich avait lui aussi songé à exploiter ces tirs scientifiques de A4 pour réunir des renseignements concernant la modification de la charge électrostatique du corps de la fusée, lors de son passage à travers les nuages cirrus. Il s’agissait là d’un problème d’une importance capitale pour la mise au point d’un détonateur électrique de proximité, destiné aux fusées antiaériennes.

Malheureusement les retards liés à la mise au point de la fusée A4 et du « tonneau » et bien évidemment la fin de la guerre, ne permirent pas d’utiliser cette fusée pour explorer les hautes altitudes, du moins pas en Allemagne. En 1944 on effectua bien des mesures de température et de pression au niveau du nez de la fusée, fondamentales pour l’observation des phénomènes au moment de la rentrée dans les couches plus denses de l’atmosphère, mais rien de plus.

Ce n’est qu’après la guerre que la A4 fut utilisée aux Etats-Unis dans le cadre d’un programme grandiose d’exploration de la stratosphère, de l’ionosphère et de l’exosphère.

Dès février 1945, Arthur C. Clarke propose d’utiliser la A4 pour des recherches sur l’ionosphère.

Dans ce cadre, la première photo de la Terre depuis l’espace fut prise le 24 octobre 1946 grâce à une A4 (V2 #13) ayant atteint 105 km d’altitude (photo ci-dessous). Le record d’altitude de la précédente photo de la Terre datait de 1937 à bord du ballon Explorer II qui avait atteint 22 km.  En 1950, Clyde Holliday, l’ingénieur ayant adapté sur la A4 la caméra 35 mm, qui prenait un cliché toutes les 90 secondes, écrivit un article dans le Geographic Magazine : « Les photos de la V2 nous montrèrent pour la première fois à quoi ressemblerait la Terre à des visiteurs venant d’une autre planète dans leur vaisseau spatial »

Première photo de l'espace

Puis, le 26 juillet 1948, des photos prises par une caméra à bord d’une fusée A4 ayant atteint l’altitude de 96,5 km permirent de réaliser un panorama de la surface de la Terre couvrant une superficie de plus d’un million de km2. (Cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Panorama A4

Au total, 223 expériences scientifiques furent réalisées. 38 pour la mesure des rayons cosmiques, 32 pour des observations solaires, 26 pour étudier l’ionosphère, 25 pour mesurer la température de l’atmosphère, 25 pour mesurer la pression atmosphérique, 19 pour établir la composition de l’atmosphère.

18 vols de fusées A4 ont permis de réaliser des photos de la Terre.

Des expériences ont également permis de réaliser des études biologiques, d’observer des météorites, de mesurer le champ magnétique de la Terre etc..

Sur les 8 A4 munies d’un deuxième étage WAC Corporal, l’une a atteint l’altitude de 387 km le 24 février 1949.

La guimbarde du jeune Wernher von Braun

En 1936, après une journée de travail à Kummersdorf, Wernher von Braun propose à  Walter Kuenzel (ingénieur en chef chez Heinkel Flugzeugwerke) et Erich Warsitz (pilote d’essai au service des projets expérimentaux chez Heinkel), de l’accompagner à Berlin, dans sa voiture.

Erich Warsitz raconte :

« Nous avons marché jusqu’à sa voiture. Je n’aurais jamais imaginé que cela pouvait être la sienne : seulement la moitié d’un pare-chocs à l’arrière, les ailes terriblement cabossées, il s’agissait d’une vieille Opel six cylindres qui n’avait certainement pas été lavée depuis des années. La portière passager avant  n’était pas correctement fermée. Comment peut-on conduire une telle voiture ?  Je me suis bien gardé de faire la moindre remarque désobligeante, mais cela ressemblait plus à une épave qu’à une voiture. Walter Künzel est monté à l’arrière. L’intérieur de la voiture était à l’image de son apparence extérieure. Il y avait des revues techniques sur le siège passager, lorsque j’ai enlevé la paperasse pour m’asseoir, un ressort en spirale a jailli du siège. Non, laissez les revues, vous serez bien mieux. » me dit-il.

Lorsque j’ai voulu fermer la portière, je n’ai pas trouvé de poignée. Il me précise alors : « Ah oui, la serrure est cassée et il n’y a plus de poignée » puis me tend une corde à rideau constituée de trois brins, reliés par des nœuds, qu’il a ramassé sous son siège, en me demandant de l’attacher pour bloquer la porte !

« A quoi suis-je censé l’accrocher ? »

– A la manivelle qui permet de relever la vitre.

– Je ne vois aucune manivelle !

– Ah oui c’est vrai , nous en avons eu besoin hier pour un test.

Wernher von Braun sort alors de la voiture, attache la corde à la poignée extérieure, jette le bout à travers l’ouverture de la vitre abaissée en disant  : « Improviser, c’est ce que nous faisons la moitié de notre vie ».  Ce que à quoi j’ai répondu : « J’espère que pour construire votre fusée vous n’improvisez pas de la sorte, avec des bouts de ficelle.»

Wernher von Braun revient ensuite prendre place sur le siège du conducteur, et attache fermement la corde à la colonne de direction… ».

 

Wernher von Braun est arrêté par la Gestapo

Dans la nuit du 21 au 22 mars 1944, entre deux et trois heures, la veille de son trente-deuxième anniversaire, Wernher von Braun est arrêté par trois hommes de la Gestapo (Geheime Staatspolizei – Police secrète d’État, qui était la police politique du Troisième Reich, fondée par Hermann Göring en 1933, qui passe sous le giron de la SS le 20 avril 1934) dans sa chambre à l’Inselhof, dans la petite station balnéaire de Zempin, à 19 km de Peenemünde.

Les agents le somment de les suivre, « pour témoigner dans une affaire importante ». Von Braun proteste, de quel droit vient-on le réveiller à une heure aussi matinale alors qu’il revient d’un voyage éreintant, il est rentré chez lui vers minuit.

Les sbires de la Gestapo ont des ordres précis, von Braun doit les accompagner sur le champ. Ils lui précisent pour le rassurer qu’il n’est pas en état d’arrestation mais placé sous protection. Même si la distinction entre les deux n’est pas très claire, von Braun se calme. Il s’habille, remplit une petite valise et les suit à l’extérieur où deux voitures attendent. Le trajet vers les bureaux de la Gestapo à Stettin (Gestapo-Leitstelle Stettin) dure environ deux heures.

Il se trouve qu’en 1919, le père de von Braun occupait le poste de chef de la police par intérim (Kommissarischer Polizeipräsident), à Stettin.

Klaus Riedel, Helmut Grottrüp, son frère Magnus von Braun, et Hannes Lührsen seront également mis en état d’arrestation et incarcérés dans les locaux de la Gestapo de Stettin.

Le 23 mars, le jour de l’anniversaire de von Braun, son chauffeur accompagné de quelques amis de Peenemünde lui emmènent des fleurs et des cadeaux. Ses geôliers lui feront passer les paquets, et il sera autorisé à partager les colis de nourriture avec ses compagnons. Chacun dans sa propre cellule, sans pouvoir communiquer.

Magnus von Braun est libéré quelques jours plus tard, il s’agit d’une méprise, une erreur, lui dira-t-on.

Wernher von Braun restera en prison deux semaines. Il ne connaitra les charges retenues contre lui qu’à la fin du mois, lorsqu’il est conduit dans une salle d’interrogatoire, face à trois hommes de la Gestapo en uniforme SS. Il est accusé de haute trahison pour avoir détourné les finances du Reich pour ses projets personnels de vol dans l’espace, de sabotage du programme A4, et de vouloir fuir en Angleterre en avion avec tous les plans de la A4.

Les policiers feront même allusion à la nouvelle de science-fiction intitulée « Lunetta », du nom d’une station spatiale, qu’il avait écrit à l’âge de 17 ans, et qui fut publiée dans le magazine du Lycée Hermann Lietz de Spiekeroog. Voilà qui prouve que la Gestapo avait compilé un dossier des plus complet…

La deuxième journée de l’interrogatoire sera heureusement interrompue par la venue du général Dornberger porteur d’un document signé par Hitler en personne, une remise en liberté conditionnelle pour une durée de trois mois.

Peu après, Riedel, Gröttrup et Lührsen sont libérés à leur tour.

Il s’agit de la seconde tentative des SS, après les accusations fantaisistes contre le colonel Leo Zanssen, d’intimider de hauts responsables du programme A4. Les quatre hommes seront libérés à titre provisoire pour une durée de trois mois grâce à l’intervention de Walter Dornberger auprès du Chef des Oberkommandos der Wehrmacht, le Generalfeldmarschall Wilhelm Keitel, de Johannes « Hans » Georg Klamroth (commandant des services de renseignements de l’armée de terre) et surtout d’Albert Speer.

La raison invoquée est simple : sans ces ingénieurs, le programme A4 ne saurait être mené à son terme.

Wernher von Braun reste dans le collimateur d’ Himmler. Il aura passé son 32ème anniversaire dans les geôles de la Gestapo !