La navette spatiale : une analyse économique

Dans le magazine hebdomadaire britannique Flight International en date du 29 août 1974, l’excellent David Baker nous livrait une analyse prospective sur la rentabilité de la navette spatiale dans un article intitulé : Economics of the space shuttle (pp 244-246)…

En voici une traduction très libre. (A noter :  la valeur du dollar est celle de 1974, en monnaie constante, USD 2018, il faut multiplier les chiffres par 5 !)

La navette spatiale : une analyse économique

La navette spatiale a été tenue pour une avancée technologique majeure lorsqu’elle a été envisagée il y a cinq ans, et portée aux nues par une NASA, désireuse de maintenir à flot l’énorme machine industrielle Apollo.

La navette jouera sans aucun doute un rôle majeur, dans le programme spatial américain et européen des années 1980, cela dit, il n’est peut-être pas le véhicule de lancement ultime tel que la NASA semble le considérer.

Si vous avez un laboratoire scientifique habité de 30 tonnes à placer en orbite basse, alors la navette spatiale est toute indiquée, en revanche si vous avez un satellite de communication de 450 kg à placer en orbite géostationnaire (financé par des actionnaires), une bonne vieille fusée fera l’affaire pour moitié moins cher.

Maintenant que la navette spatiale est en bonne voie de réalisation, les obstacles techniques étant résolus, la confiance va de pair, avec un optimisme enthousiaste pour un âge d’or du voyage spatial bon marché, entre la Terre et son orbite basse.

Il y a trois ans à peine, la station spatiale très médiatisée, qui devait succéder à Skylab, a été victime de son coût faramineux, puis est apparu le concept de container pouvant être emporté par la navette.

En disposant une batterie d’instruments sur une palette, l’énorme soute de la navette peut servir pour effectuer des tâches scientifiques, et si une présence humaine est nécessaire il est facile d’ajouter un compartiment pressurisé. Voilà en substance, en quoi consiste Spacelab.

La navette spatiale (Orbiter) et Spacelab

Mais la navette spatiale n’est pas une fin en soi, et même en recevant Spacelab dans sa soute, elle ne pourra en réalité accomplir qu’une fraction du programme ambitieux actuellement prévu pour elle. Pour planifier efficacement le programme spatial des années 1980, la NASA a élaboré des calendriers de lancement pour la prochaine décennie et au-delà, en fonction des demandes et des priorités. Une estimation datant de 1971 prévoyait 327 charges utiles potentielles sur une période de 12 ans (entre 1980 et 1991).

Les prévisions les plus récentes donnent le chiffre de 507 suite à l’annulation de la station spatiale. Voilà qui devrait s’avérer beaucoup plus rentable en raison, bien évidemment, de l’augmentation de la cadence de tirs. Chiffre auquel il convient d’ajouter les lancements prévus par les agences gouvernementales non-NASA, les consortiums privés, et les éventuelles charges utiles payantes européennes, soit 175. Le ministère de la Défense table quant à lui sur 304 « objets ».

Deux types de mission

Comme la navette peut emmener plus d’une charge utile à la fois, ce sont en réalité 725 vols, au cours de cette période de 12 ans (NdT : soit un vol par semaine, tous les 6 jours très exactement ! En réalité 135 missions en 30 ans, soit 1 tous les 81 jours ou 1 par trimestre.), qui permettront d’acheminer ces 986 objets dans l’espace.

De ce total, 69% sera estampillé du logo NASA. Le calendrier est plus parlant si l’on distingue les vols dédiés à Spacelab de ceux destinés à mettre sur orbite ou récupérer une charge utile.

C’est ainsi que 34% des vols de navette spatiale seront dévolus à Spacelab (NdT : 23,7 % en réalité), dont un peu moins de la moitié utilisera la configuration sans présence humaine (c’est-à-dire sans le module pressurisé habitable). 12% des vols de Spacelab seront consacrés à des expériences non américaines, tandis que les utilisateurs commerciaux américains représentent 3% et ceux de la NASA 85%.

Ainsi, 34% des vols de la navette spatiale constituent 69% des charges utiles. 3,1% des vols seront affectés à l’exploration des planètes et l’espace lointain. (NdT : en tout et pour tout 180 charges utiles ont été déployées dans l’espace par la navette… Dont 105 satellites et sondes en 75 vols.)

Malheureusement les performances de la navette sont limitées et bien qu’il existe une certaine flexibilité pour concevoir ses charges utiles, elles ne pourront pas toutes être déployées sans assistance. Ainsi pour certaines, la navette devra emporter un réservoir additionnel pouvant contenir 11 tonnes de carburant, qui permettront d’alimenter les deux moteurs de 3 tonnes de poussée du système OMS montés dans le fuselage arrière, quantité suffisante pour fournir une variation de vitesse de 300 m/s. Ces moteurs permettront de fournir :  l’impulsion finale pour placer la charge utile sur son orbite de stationnement, de circulariser une orbite à l’altitude désirée, fournir l’énergie nécessaire à tous les changements orbitaux, ainsi que pour désorbiter un engin en fin de mission.

Les vols à partir du Centre Spatial Kennedy, vers l’est, avec une inclinaison orbitale de 55 °, nécessitent une vitesse de 46 m/s pour atteindre une orbite de 92 x 185 km, tandis qu’avec un lancement depuis Vandenberg AFB il faut une vélocité de 107 m/s pour atteindre la même orbite, après l’arrêt des moteurs principaux.

Cela permet au gros réservoir de propergol de retomber dans l’atmosphère sans avoir recours à une rétrofusée. L’énergie supplémentaire indispensable pour atteindre l’orbite polaire de basse altitude diminue d’autant la masse de la charge utile.

Charges utiles et orbites

Sous sa forme de base, la navette spatiale sera capable de placer une charge utile de 30 tonnes sur une orbite circulaire inclinée de 28,5 ° à 390 km d’altitude. Avec la même charge utile, elle peut atteindre 830 km d’apogée à partir d’une orbite à 185 km. Pour une orbite inclinée de 90 °, la charge utile est réduite à 16 tonnes, l’altitude tombant à 370 km et l’apogée maximale à seulement 722 km.

Ces chiffres représentent le meilleur compromis entre altitude et masse de la charge utile, bien que les différences de masse n’aient qu’un impact marginal sur l’orbite et que l’altitude absolue atteignable soit relativement insensible à l’allègement de la soute.

Ainsi, tandis que 30 tonnes peuvent être emmenés sur une trajectoire circulaire de 340 km, la réduction de la masse de la charge utile à 75 kg ne permet d’augmenter l’altitude que de quelque 120 km.

Pour atteindre des orbites plus élevées, on peut installer dans la soute de la navette trois réservoirs d’ergols supplémentaires, pour alimenter les deux moteurs de manœuvre en orbite (OMS).

Avec les trois réservoirs installés, l’Orbiteur dispose d’une capacité de manœuvrabilité supplémentaire, 457,2 m/s au lieu des 304,8 m/s. Cela permet à l’Orbiteur de placer 11 tonnes sur une orbite circulaire de 942 km inclinée de 28,5 ° ou à une apogée de 1 674 km à partir d’un périgée de 160 km.

Mais c’est encore insuffisant pour un grand nombre de charges utiles prévues à l’heure actuelle, ainsi 43% des vols nécessitent une assistance pour la mise en orbite finale. En fait, 17% de l’ensemble des missions de la NASA et du ministère de la défense impliquent des orbites synchrones, ce qui constitue un réel dilemme.

La navette spatiale a été longtemps considérée comme un lanceur bon marché, pour acheminer des scientifiques vers de grands laboratoires orbitaux, transporter de gros conteneurs d’approvisionnement vers les stations spatiales permanentes.

L’annulation de la station spatiale a notablement augmenté le taux de lancement prévu, comme indiqué plus haut, en transférant les expériences qui auraient dû être effectuées dans la station spatiale dans la navette elle-même.

Cependant, les coûts de lancement de la navette ne peuvent en aucun cas concurrencer ceux des fusées existantes ; à la fois en raison des coûts de lancement relativement élevés par rapport aux petites fusées telles que Scout et Delta, et au pourcentage plus élevé de missions nécessitant des altitudes orbitales supérieures à celles que peut atteindre la navette.

Les aides au déploiement des charges utiles, nécessaires pour ces vols, ne peuvent pas être considérées comme partie intégrante de la charge utile, mais plutôt comme une constituante de la navette.

Cela équivaudrait à considérer le troisième étage de la Saturn V comme faisant partie de la charge utile. Pour cette raison, le prix du kg en orbite augmente bien au-delà des 320 dollars, que l’on obtient en divisant le coût de lancement par la charge utile maximale possible. De fait, plusieurs missions révèlent un désavantage financier à utiliser la navette.

Un exemple de ce raisonnement est illustré par la mission Mariner-Uranus prévue en 1986. Bien que la masse dans la soute dépasse 20 tonnes le vaisseau spatial lui-même ne pèse que 1 tonne.

On peut donc effectuer deux calculs : si tout le contenu de la soute est facturé comme charge utile, le coût de lancement est de 436 dollars le kg, en revanche si le vaisseau spatial Mariner seul, est considéré comme constituant la charge utile, le coût de lancement s’élève à 8 720 dollars le kg.

Il s’agit là d’un exemple extrême, mais il sert à démontrer l’incidence de la présence de ce module de propulsion additionnel. L’efficacité de la navette est optimale lorsqu’elle est utilisée pour satelliser de grosses charges utiles.

Ainsi par exemple, pour l’année 1980, la NASA prévoit 14 vols avec une charge utile moyenne de 11 tonnes sans l’utilisation de module propulsif additionnel, le coût de lancement s’élèvera donc à 720 dollars le kg.

(NdT : La latitude à laquelle une fusée est lancée est un facteur primordial puisqu’elle est directement liée à sa capacité de satellisation, en terme de masse. L’équateur est très prisé car à cette latitude toute fusée bénéficiera de la vitesse de rotation de la Terre qui s’élève à 1 670 km/h et décroit jusqu’aux pôles où elle atteint zéro.

La vélocité minimale pour atteindre la vitesse orbitale est de 28 000 km/h (mach 25). Une fusée Ariane lancée plein Est de Kourou, 5° au nord de l’équateur consommera 17% moins de « carburant » que la même fusée lancée de Cap Canaveral, située à 28,5° au nord de l’équateur.

Une navette spatiale lancée plein Est de Cap Canaveral peut emporter 13,6 tonnes dans sa soute, si lancée de Vandenberg elle peut à peine atteindre l’orbite avec une soute vide. La latitude a bien évidemment également un impact sur l’inclinaison de l’orbite…)

Économies moins attrayantes

Si l’on choisit une année au hasard ; 1983 par exemple, au cours de laquelle la NASA prévoit 40 missions, tout devient très différent. Le planning prévoit en effet 27 vols avec déploiement de charge utile sans assistance et 13 requérant l’utilisation d’un système de propulsion additionnel pour injecter la charge utile sur l’orbite désirée.

Il en résulte une diminution significative de la masse moyenne satellisée qui passe à 6,3 tonnes, et par corrélation une augmentation du coût de lancement par kg qui augmente en s’établissant désormais à 1 348 dollars le kg. A nouveau cette unité de propulsion indispensable, réduit la rentabilité par rapport aux fusées non récupérables. Etant donné qu’une fraction élevée des charges utiles militaires nécessite une telle assistance, les avantages économiques deviennent moins intéressants.

Parce que la navette spatiale est plus polyvalente qu’un lanceur conventionnel, elle permet la réutilisation, la récupération de satellites défectueux ou devenus obsolètes… Toute analyse économique doit prendre en compte l’ensemble du programme envisagé pour la période 1980-1991. Sur la base des prévisions actuelles, le lancement de 986 charges utiles répartis sur 725 vols Nasa / ministère de la défense, le programme Navette coûterait 49,37 milliards de dollars (297,6 milliards en USD constants).

Cette estimation comprend le coût de 80 fusées non réutilisables des classes Scout, Delta et Titan qui continuerons d’être utilisées pendant la phase de construction de la flotte de navettes, soit entre 1980 et 1982. Sept navettes spatiales seront nécessaires pour assurer ce calendrier et ces trois années devront être mises à profit pour en construire un maximum afin de garder les coûts de production à leur niveau le plus bas. (En réalité, le programme navette aura coûté au total 220 milliards de dollars en monnaie constante.)

Bénéfice brut

En comparaison, l’utilisation exclusive de fusées conventionnelles coûterait 63,5 milliards de dollars. La différence entre les deux concepts fait apparaître un bénéfice brut de 14,1 milliards de dollars en faveur de la navette au cours de cette période de 12 ans.

Cependant, il faut souligner que désormais les charges utiles sont optimisées pour la navette. En concevant les charges utiles pour les fusées conventionnelles, la navette aurait du mal à justifier son existence. Clairement tout est désormais conçu autour de la navette, ce qui renforce l’argument selon lequel non seulement la Nasa développe un tout nouveau véhicule spatial mais promeut également une nouvelle orientation de l’ensemble du programme spatial.

Lorsque le taux de lancement annuel diminue, le prix du kg en orbite est défavorable à la navette.

Il est instructif de comparer les masses totales annuelles prévues, avec ceux des 12 dernières années. Le total annuel le plus élevé fut celui de l’année 1972 où 15,3 tonnes ont été placés en orbite, mais la moyenne des 12 dernières années n’a été que de 475 kg par an. Les vols habités ne sont pas pris en compte, car une comparaison réaliste ne doit pas intégrer la masse anormalement élevée associée à ces programmes. Il n’y a actuellement pas d’équivalent aux projets Gemini / Apollo / Skylab, et de telles considérations ne serviraient qu’à embrouiller le problème.

La masse totale annuelle devant être satellisée au cours de trois années représentatives du calendrier 1980-1991, est sans commune mesure avec les chiffres de ces douze dernières années, en effet, 159 tonnes devraient être lancées en 1980, 252 tonnes en 1983 et 477 tonnes en 1990. C’est cet accroissement qui génère le coût-bénéfice de 14,1 milliard de dollars mentionné plus haut. (Les missions DoD ne sont pas comptabilisées). Il reste à voir si la NASA, avec d’autres utilisateurs tels que l’Agence Spatiale Européenne et Intelsat, peut vraiment soutenir un tel rythme avec un budget relativement statique.

Comme nous l’avons vu, la Nasa et le DoD ne seront pas en mesure de répondre à tous leurs besoins compte tenu des performances actuelles de la navette, même avec du carburant supplémentaire logé dans la soute pour les deux moteurs de manœuvres. C’est pour cette raison que l’USAF doit modifier un étage de fusée existant pour l’utiliser avec ses charges utiles dès 1980. L’étage supérieur lnterim (Interim Upper Stage) (NdT : appelé plus tard Inertial Upper Stage, et ne sera utilisé que 15 fois sur la navette.)

Vue d’artiste du Inertial Upper Stage avec sonde spatiale Ulysses, lancée le 6 octobre 1990.

Le Payload Assist Module (spinning solid upper stage), comme on l’appelle, sera un propulseur d’appoint non réutilisable et sera probablement une Agena modifiée. D’ici 1984, il sera remplacé par le Tug (remorqueur) développé par la NASA, un module de propulsion plus sophistiquée capable d’envoyer des satellites vers des orbites synchrones ou à haute altitude, d’envoyer des sondes vers les planètes, et d’aller chercher des satellites pour les ramener vers la navette. Intérim et le Tug seront mis à la disposition des clients qui en auront besoin. Il est encore trop tôt pour discuter des détails de leur conception.

Les fabricants commencent tout juste à s’intéresser sérieusement au concept, mais les cahiers des charges sont déjà définis, donnant une indication sur le potentiel ultime de la première génération de navettes.

Le Tug doit pouvoir placer une charge utile de 3 175 kg sur une orbite synchrone et revenir pour pouvoir être récupéré par la navette. Si le Tug est en mission de récupération, la charge récupérable est limitée à 1,9 tonnes, et 1,25 tonnes pour une mission conjointe de déploiement et de récupération.

Les détails

Pour répondre à ces exigences, le Tug devra avoir une longueur d’environ 10 mètres pour un diamètre de 4,5 mètres, une masse sèche de 2,3 tonnes pour une masse totale de 25 tonnes et disposer d’un moteur de 7 tonnes de poussée avec une impulsion spécifique de 46 s.

Ce Tug ne sera cependant pas disponible avant 1984 et le module Interim, loin d’être aussi puissant, sera le seul à disposition au cours des cinq premières années d’exploitation de la navette spatiale.

Pourtant, même le Tug ne permettra pas de répondre aux exigences de certaines missions planétaires. Par exemple, l’incrément de vitesse de 5 486 m/s nécessaire pour atteindre les planètes extérieures exigera l’utilisation d’un moteur supplémentaire accolé à la charge utile pour donner la dernière impulsion nécessaire.

Le remorqueur propulsera l’engin spatial vers une trajectoire d’échappement partielle, se séparera et reviendra ensuite à portée de la navette spatiale. Pendant ce temps, le moteur complémentaire fournira les 1 800 m/s supplémentaires pour échapper à l’influence gravitationnelle de la Terre. Ce qui augmente encore un peu plus les coûts.

Il est trop tôt pour être dogmatique, mais le calendrier développé par la NASA et l’USAF, suppose un budget constant de la NASA de 3,3 milliards de dollars (1972). Il est difficile de prévoir si cette cadence élevée de lancement pourra être maintenue. Rien qu’au niveau des frais de lancement, ces 507 missions coûteront annuellement 390 millions de dollars à la NASA.

Chaque vol de la navette spatiale coûtera donc environ 9,5 millions de dollars (1972), auxquels il faut ajouter un million de dollars de plus pour chacun des 152 vols du Tug.

La Nasa tente inlassablement de justifier la cohérence économique d’un programme spatial basé sur la navette en mettant en exergue le coût de son développement qui s’élève à 5,5 milliards de dollars. Mais ce montant ne couvre que deux orbiteurs, et le calendrier désormais envisagé exige cinq navettes supplémentaires d’un montant unitaire estimé à 250 millions de dollars (1,3 milliard en monnaie constante).

Qui plus est, en fonction des charges utiles il faudra prévoir 12 modules Interim, 7 Tug, et 16 propulseurs d’appoint. A lui seul le développement du Tug pourrait coûter 1 milliard de dollars. [NdT : Ce Tug ne sera en définitive jamais mis en service – Un Transfer Orbit Stage (TOS) développé par Martin Marietta pour la société Orbital Sciences Corporation ne sera utilisé qu’à deux reprises, dont une seule fois sur la navette ; Discovery STS-51]

Enfin, pour Spacelab on prévoit cinq modules pressurisés, huit modules scientifiques (conteneurs cylindriques fixés à l’arrière des modules pressurisés) et 45 palettes scientifiques.

En définitive de nombreux systèmes complémentaires seront nécessaires pour satelliser les 986 charges utiles prévues, et il est difficile de prédire avec précision les conséquences financières d’un retard dans les délais de leur développement.

En supposant que l’ambitieux programme prévu pour les années 1980 soit réaliste, l’économie de 14,1 milliards de dollars sensée être réalisée en utilisant la navette spatiale pendant cette période référence de 12 ans va être compensée par la quantité croissante d’équipement nécessaire pour assurer les objectifs du programme.

Qui plus est, tout retard dans la création de la flotte complète des navettes, des remorqueurs, des étages propulsifs (Interim et kick-stages) et des autres dispositifs actuellement envisagés sursoirait le lancement de certaines charges utiles de plusieurs années.

Les clients commerciaux tels qu’Intelsat vont sans aucun doute fortement insister pour que l’on maintienne en activité les fusées conventionnelles, en particulier les Scout et Delta, à moins que l’on puisse trouver des moyens de réduire substantiellement le surcoût lié à l’utilisation de la navette qui peut atteindre 50 % dans certains cas.

Quoi que révèlent ces chiffres, il convient de considérer la navette spatiale comme un investissement pour le futur de la conquête de l’espace, en tenant compte des limites imposées au départ par l’introduction progressive des différents systèmes d’aide à la satellisation et à l’envoi vers l’espace lointain.

Le calendrier initial supposait la disponibilité d’un remorqueur dès 1981, la NASA ne sera pas en mesure de récupérer des satellites au-dessus de 570 km avant courant 1984, sachant que les vols combinés déploiement / récupération abaissent considérablement ce chiffre. Il convient de préciser par ailleurs que l’on supposait au départ que les 12 modules Intérim pourraient être récupérés et réutilisés. Or l’USAF a développé l’Interim comme un système non récupérable. Cette nouvelle donne accroît encore les coûts, du moins pendant les cinq premières années d’exploitation de la navette spatiale.

De toute évidence, le lancement de 363 tonnes de charges utiles par an repose sur un trop grand nombre de facteurs convergeant au bon moment. Les ambitions de ce calendrier ont trop de similitudes avec le programme proposé en 1969 qui envisageait des stations spatiales, des bases lunaires, des stations orbitales lunaires, et des navettes nucléaires, pour être tout à fait pertinent aujourd’hui.

La NASA doit développer et utiliser efficacement la navette spatiale pour espérer survivre à une nouvelle décennie d’opérations spatiales, sachant qu’une attitude trop optimiste a, dans le passé, laissé l’agence avec nombre de projets avortés. Seule une attitude réaliste face aux exigences futures peut espérer inverser cette tendance.

 

Pas de touristes à bord de la navette spatiale

« La NASA ne prévoit pas d’emmener des touristes dans l’espace avec la navette spatiale » affirme le Washington Star dans son édition du 8 juillet 1980, en dépit des nombreuses demandes reçues.

A cette date, plus de 15 000 personnes ont déjà essayé de réserver un vol, et 1 200 demandes supplémentaires arrivent chaque semaine dans les bureaux de la NASA.

« Des non-astronautes pourront faire des vols dans la navette spatiale pour réaliser des expériences » affirme Chester M. Lee, le directeur du programme, « mais nous ne sommes pas prêts à faire voler des touristes.

Aucune disposition n’a été prise en ce sens, et il n’existe aucune perspective pour des passagers improductifs. »

Contre toute attente, ce sont les russes, en 2001, qui franchiront le pas, et permettront à l’américain Dennis Tito, de devenir le premier touriste spatial de l’histoire, pour la somme de 20 millions de dollars. (28 millions en dollars constants)

Que des sociétés privées proposent des voyages spatiaux touristiques, libre à elles… Mais que ce soit le fait d’agences gouvernementales, dans des infrastructures payées par le contribuable, est tout de même le signe d’une certaine décrépitude !

Cela dit, on estime le potentiel du marché du tourisme spatial à 32 milliards de dollars à l’horizon 2021…

De la fiabilité de la navette spatiale

La navette spatiale est l’un des appareils les plus complexes jamais conçus, elle est constituée de plus de 2 500 000 pièces, 365 km de câblage, 1 440 coupe-circuits…

Comme en témoignent les catastrophes de Challenger et de Columbia, le décollage et l’atterrissage constituent les phases les plus dangereuses d’un vol de navette spatiale, car il y a relativement peu de danger en orbite dans l’espace.

Malheureusement, cette complexité s’est révélée difficile à gérer, entraînant la perte de 2 navettes (et 14 astronautes) en 135 missions, soit un taux d’échec de 1,48 %.

Ce qui est beaucoup plus que les pertes subies par les compagnies aériennes, 0,00005 %, soit 1 crash tous les deux millions de vols.

Même exprimé en taux de mortalité par milliard de km parcourus, (le passager-kilomètre ou voyageur-kilomètre) ce qui donnerait théoriquement un avantage à la navette spatiale, puisque la distance moyenne parcourue par mission est d’environ 6,5 millions de km, on obtient tout de même le chiffre de 2,5 morts par milliard de km, toujours supérieur aux 0,5 décès des compagnies aériennes. Mais toujours plus faible que le taux affectant l’automobile, qui est de 7,5 décès par milliard de km parcourus.

Les 5 navettes spatiales ont couvert un total de 872,9 millions de km, soit pratiquement 6 fois la distance moyenne entre la Terre et le Soleil, ou 11 fois la distance moyenne entre la Terre et la planète Mars.

Ces kilomètres ont été parcourus en 21 152 orbites, et 1 333 jours, avec 852 membres d’équipage, ce qui représente 355 individus au total. 306 hommes et 49 femmes, dont certains ont effectué jusqu’à 7 vols.

Un astronaute avait 1 chance sur 61 de ne pas survivre à la mission.

Cela dit, si le nombre d’astronautes à bord de Challenger et de Columbia avait été, par exemple, de 4, au lieu de 7, le chiffre passe à 1 chance sur 106,5.

2 échecs sur 135 missions = 1 chance sur 67,5 de périr lors d’une mission.

Lorsque Challenger a explosé, il s’agissait de la 25e mission, les statistiques étaient alors de 1 chance sur 25, et après la désintégration de Columbia, le 113e vol du programme, on passe à 1 chance sur 56,5 !