La tournée européenne des astronautes d’ Apollo 13

Le 26 septembre 1970 la Maison-Blanche annonce que les astronautes d’ Apollo 13, James Lovell, John Swigert et Fred Haise effectueront une tournée présidentielle dénommée Aquarius Presidential Goodwill Tour, en hommage au module lunaire Aquarius qui leur a sauvé la vie.

Ils doivent se rendre dans six pays européens en tant que représentants personnels du président Nixon, le déplacement doit durer 15 jours, du jeudi 1er au jeudi 15 octobre.

Les astronautes sont accompagnés de leurs épouses, sauf Swigert qui est célibataire. Mary Haise ayant accouché du quatrième enfant du couple le 6 juillet, il n’était pas possible d’envoyer les astronautes effectuer un tour du monde, sur une période aussi longue que les tournées précédentes, Thomas Jesse ayant à peine trois mois.

Les six pays visités sont, l’Islande, la Suisse, la Grèce, Malte et l’Irlande, ainsi qu’un saut en Allemagne, le 5 octobre, pour donner une conférence sur leur vol, à l’occasion du XXIe Congrès International d’Astronautique qui se déroule à Constance, du 4 au 10 octobre.

Islande : du 1 au 4 octobre. L’avion de la Maison-Blanche atterrit à Reykjavik le jeudi 1er octobre. Ils rencontrent le président Krist-jan Eldjarn (1916-1982) et les membres du gouvernement, ainsi que des scientifiques. Fred Haise et Jack Swigert connaissent bien l’Islande puisque ce pays a accueilli 32 astronautes pour des stages géologiques en 1965 (du 12 au 16 juillet) ainsi qu’en 1967 (du 2 au 8 juillet) sur les sites de Drekagil, Grjótagjá, du Lac Mývatn, de Nautagil et de la caldeira d’Askja. Sept des douze astronautes ayant marché sur la Lune, dont Neil Armstrong, furent de ces voyages. Haise et Swigert ont fait partie de la session 1967. James Lovell n’a participé à aucun de ces deux stages. (Pour la Petite Histoire : William Anders est le seul à avoir effectué les deux stages.)

♦  Suisse : du 4 au 8 octobre. Les astronautes se rendent dans les villes de Berne, Zurich et Lucerne. Ils sont reçus au palais fédéral de Berne par le conseiller fédéral, chef du Département de l’Intérieur, Hans-Peter Tschudi (1913-2002). Ils rencontrent des scientifiques de l’Université de Berne dont le professeur Johannes Geiss (4 septembre 1926 – 30 janvier 2020) à l’origine d’une expérience effectuée sur la surface de la Lune (Solar Wind Composition Experiment) dont l’objectif est de mesurer la composition et l’énergie du vent solaire.

Le 7 octobre ils visitent le Musée des Transports et le Planétarium Longines, qui se trouvent à Lucerne. Au planétarium, on montre aux astronautes la Terre, telle qu’elle est vue de la planète Mars. Il s’agit du premier planétarium construit en suisse, inauguré le 1 juillet 1969. En soirée, ils participent à une émission télé, à Berne (Bundeshausstudio).

Dans le train qui les emmène de Zurich à Berne. (De g. à d.) Fred Haise, Jack Swigert, James Lovell. La légende de la photo, en allemand, précise que les trois astronautes ont dû se sentir plus à l’aise dans ce wagon salon, que dans leur vaisseau spatial quelques mois plus tôt.
(De g. à d.) Marilyn Lovell et Mary Haise regardent leurs maris qui sont montés sur le train « Spanisch-Broetli-Bahn », le premier ayant circulé en Suisse. Musée Suisse des Transports à Lucerne.

République Fédérale d’Allemagne. Le 5 octobre les astronautes sont à Constance pour le XXIe Congrès International d’Astronautique. Après le visionnage d’un film sur leur vol spatial, les astronautes évoquent leur odyssée devant plus de 700 personnes. L’astronaute James McDivitt, également présent, revient sur les aspects techniques de la mission et les modifications apportées au vaisseau spatial ainsi qu’à certaines procédures. Ils rencontrent les cosmonautes Boris B. Yegorov (Voskhod 1 en 1965), Andriyan G. Nikolayev et Vitali I. Sevastyanov (Soyouz 9 en juin 1970) qui avaient établi un record d’endurance, 17 jours 16 heures et 58 minutes. Cette mission reste à ce jour la plus longue jamais effectuée sur un vaisseau spatial à proprement parler (hors stations spatiales).

Grèce : du 9 au 11 octobre – Les astronautes atterrissent à Athènes, au pays du dieu Apollon, qui a donné son nom au programme lunaire habité américain. Ils sont accueillis par l’ambassadeur Henry Tasca (1912-1979). Ils seront reçus par le premier ministre Georgios Papadopoulos (1919-1999).

(De g. à d.) Fred Haise, James Lovell, John Swigert devant le palais présidentiel d’Athènes.

Le maire d’Athènes, Dimitrios Ritsos (1912-1988) remet aux astronautes les clefs d’or de la ville. (Photo ci-dessous)

(De g. à d.) L’ambassadeur des Etats-Unis, Henry Tasca, James Lovell, le maire d’Athènes Dimitrios Ritsos, John Swigert et Fred Haise. Crédit photo : Associated Press
Les astronautes devant l’Acropole.
Credit: Photo by AP/Shutterstock

Ils feront une escapade à Héraklion en Crète pour se reposer un peu… Ils ne manqueront pas de visiter les vestiges du palais de Cnossos.

Malte : du 11 au 13 octobre 1970. Les astronautes sont reçus au Palais des Grands Maîtres, à La Valette, par le premier ministre George Borg Olivier (1911-1980). Les astronautes lui offrent notamment un badge de la mission, un fragment du bouclier thermique du module de commande, une photo dédicacée du décollage, une photo de la Lune. (Comme à toutes les autres personnalités rencontrées.)

C’est dans une Rolls-Royce décapotable que les astronautes d’ Apollo 13 remontent la rue de la République de la capitale La Valette.

Irlande : du 13 -15 octobre.   Le 13 octobre les astronautes atterrissent à l’aéroport de Dublin où ils sont accueillis par l’ambassadeur américain John D. Moore (10 novembre 1910 – 12 septembre 1988). Dix jours avant, du 3 au 5 octobre, le Président Nixon était en visite officielle en Irlande.

Ils seront reçus par le président Eamon de Valera (14 octobre 1882 – 29 août 1975) au palais présidentiel Áras an Uachtaráin (maison du président), ils ne manquent pas de lui souhaiter un joyeux 88ème anniversaire. Eamon de Valera qui fait partie des rares responsables politiques ayant exprimé leurs condoléances officielles à l’Allemagne à la mort d’ Hitler. Il était alors chef du gouvernement de l’Irlande (Taoiseach).

James Lovell offre au président irlandais un fragment du bouclier thermique du vaisseau spatial Apollo 13.

Le cortège en voiture décapotable passe par l’avenue O’Connell.

Ils donnent une conférence de presse à l’hôtel Intercontinental.

Conférence de presse télévisée à l’Hôtel Intercontinental. (De g. à d.) Kevin O’Kelly (journaliste à Raidió Teilifís Éireann (RTÉ) (Radio Télévision d’Irlande), Fred Haise, James Lovell, Jack Swigert.

Ils rencontrent également le doyen de la Cathédrale St Patrick, Victor G. Griffin, qui a laissé le lieu ouvert, nuit après nuit, pour permettre à la population de prier pour le retour sain et sauf des trois naufragés de l’espace. Ils visitent également la Maison de l’Opéra à Cork.

Le 14 octobre à 17:30 l’avion présidentiel atterrit à l’aéroport Shannon, ils passeront la nuit au célébrissime Dromoland Castle Hotel.

Le jeudi 15 octobre à 10:45 les astronautes d’ Apollo 13 quittent leur somptueux hôtel pour se rendre à Limmerick. Ce matin-là les écoles restèrent fermées pour permettre aux enfants de voir le cortège des astronautes traverser la ville. Vers 11:30 ils arrivent à la bibliothèque municipale, plus spacieuse que l’Hôtel de Ville prévu au départ, où les accueille le maire de la ville J. P. Liddy (1911-1989), son conseil municipal, et les notables de la cité.

Marilyn Lovell (à g.) et James Lovell au Château de Bunratty. Les Lovell ont sur la tête les couronnes de la Comtesse et du Comte de Thomond. Titre qui date du XVe siècle.

Ils déjeunent au Château Bunratty de 12:30 à 14:30 puis se rendent à l’aéroport Shannon. L’avion présidentiel décolle à 15:00 à destination de Washington, puis de Houston.

Une tournée européenne qui a soulevé les foules, et dont les protagonistes gardent un excellent souvenir.

Dans une interview accordée par Mary Haise en 2010, la première épouse de l’astronaute Fred Haise déclarait : « Après le voyage, on nous a donné un album photo avec toutes celles qui ont été prises par nos accompagnateurs… »

Voilà un album que j’aurais aimé consulter…

Charles Duke et Mary Typhoïde

Lorsque le dimanche 16 avril 1972, Charles Duke s’apprête à s’installer dans le siège droit du module de commande d’Apollo 16, il découvre sur ce dernier, au niveau du repose tête une étiquette, avec une inscription en gros caractères : « Typhoid Mary’s seat ». (Siège de Mary Typhoïde)

L’étiquette qui mesure 7,5 cm x 1,27 cm, a été vendue aux enchères par Christie’s, le 9 mai 2001 pour 2350 dollars. Ici avec la lettre d’authenticité de Charles Duke.

D’après la lettre d’authenticité ci-dessus, il s’agirait d’un auto-collant, que Duke aurait récupéré après l’amerrissage, pour le garder en souvenir.

Cette blague est l’œuvre de Fred Haise, le commandant de réserve de la mission. On se souvient que deux ans auparavant, Haise avait fait partie de l’équipage d’Apollo 13, dont l’un des membres, Ken Mattingly, avait été remplacé 3 jours avant le lancement, car soupçonné d’avoir attrapé le virus de la rubéole (German measles – La rougeole se dit simplement measles) dont le délai d’incubation est d’une quinzaine de jours, et comme il n’avait jamais eu cette maladie, son sort fut rapidement scellé.

C’est Charles Duke, le pilote du module lunaire remplaçant, qui l’avait contracté par l’intermédiaire de l’un de ses fils, et qui avait, sans en avoir conscience, contaminé plusieurs personnes. Il faut savoir que la période de propagation du virus commence 7 à 10 jours avant l’apparition des sympômes physiques (éruption cutanée)… Au final Mattingly ne développa pas la maladie !

Charlie Duke avait également fait un séjour à l’hôpital en janvier 1972, pour une pneumonie d’origine bactérienne, deux mois avant le lancement d’Apollo 16, qui était prévu pour le 17 mars à l’origine .

Mary Typhoïde ne fait pas référence à la super-vilaine, ennemie de Daredevil, de l’univers Marvel Comics, puisqu’elle n’apparait qu’en 1988, 16 ans après Apollo 16.

Mary Typhoïde est le surnom de Mary Mallon (1869-1938), qui a occupé des emplois de cuisinière à New-York, et qui fut le premier cas authentifié aux Etats-Unis de porteur sain de la typhoïde. Au moins 51 cas de cette maladie, dont 3 décès, lui sont directement imputables, d’où son surnom.

Mary Mallon est née en Irlande du Nord à Cookstown (cela ne s’invente pas), elle sera confinée une deuxième et dernière fois à l’isolement 23 ans durant, et mourra en quarantaine d’une… pneumonie !

Depuis, aux Etats-Unis, on surnomme « Typhoid Mary » toute personne porteuse d’une maladie contagieuse, ou qui répand quelque chose d’indésirable, et plus généralement, qui porte la poisse.

En tout cas, cette petite blague de Fred Haise a bien fait rire Charles Duke et les personnes présentes.

Vos pellicules risquent de ne jamais être développées

Le mardi 14 avril 1970, les astronautes survolent la face cachée de la Lune, Jack Swigert et Fred Haise ont le nez collé sur le hublot.

Emerveillés par le spectacle, ils en profitent pour prendre des photos…James Lovell un peu tendu marmonne alors : « Si le moteur ne fonctionne pas, vos pellicules ne seront jamais développées ».
Haise : « Du calme Jim, tu as déjà fait un vol autour de la Lune, pas nous ! » James Lovell avait fait partie de la mission Apollo 8 du 21 au 27 décembre 1968.

Si James Lovell est un peu nerveux, c’est qu’il doit bientôt allumer le moteur de descente de module lunaire au « PC+2 ».*

Si le moteur fonctionne correctement cela augmentera leur vitesse et leur permettra de gagner environ 9 précieuses heures, et, qui plus est, d’amerrir dans le Pacifique Sud, où se trouve déjà la flotte de récupération. Dans le cas contraire, l’amerrissage est prévu dans l’Océan Indien, mais beaucoup plus important, les réserves d’eau qui permettent de refroidir les systèmes électroniques du LM seront épuisées quelque 5 heures avant l’entrée dans l’atmosphère…

 Même si Lovell savait que l’électronique du LM d’Apollo 11, après avoir été « abandonné » en orbite lunaire, avait fonctionné encore 8 heures après l’épuisement du « liquide de refroidissement », il préférait ne pas avoir à courir ce risque supplémentaire !

* PériCynthe + deux heures – le péricynthe – terme utilisé uniquement pour un satellite de la Lune – ou périgée, indique dans le cas présent le moment où le vaisseau spatial est au plus près de la Lune.