L’opération Overcast et Paperclip

L’opération Overcast, puis Paperclip, puis Projet 63 à partir de novembre 1950, est un programme secret (qui a généré beaucoup de fantasmes) sous les auspices de l’armée américaine, visant à faire venir aux Etats-Unis des scientifiques et des ingénieurs allemands, dans le cadre des réparations de guerre après le deuxième conflit mondial.

Les Etats-Unis recrutent des scientifiques allemands.

Cette fois, les vainqueurs ne réitéreront pas l’erreur commise après la première guerre mondiale, en demandant des réparations principalement en numéraire et en matières premières.

S’approprier les connaissances de la science allemande, et surtout la démanteler dans un premier temps, pour mieux la contrôler ensuite, permet à la fois de gagner du temps et beaucoup d’argent dans certains domaines. Tous les brevets ont été « préemptés ».

Cela permet également, de s’assurer que l’Allemagne n’aura plus les moyens de retrouver l’hégémonie dans certains secteurs, réduisant par la même à néant, d’éventuelles velléités de revanche.

Dans un mémorandum daté du mardi 19 mars 1946 émanant du quartier général de l’armée, le nom de code « Overcast » en vigueur depuis le 19 juillet 1945, est remplacé par « Paperclip » avec effet rétroactif au mercredi 13 mars.

Le nom de l’opération, Paperclip, est officiellement révélé par le gouvernement américain le 4 décembre 1946. Dès le mois d’août 1945 l’USFET (United States Forces European Theater) annonce publiquement la venue de scientifiques allemands sur le sol américain.

Paperclip-New-York-Times-24-aout-1945

Si Wernher von Braun et la plupart des membres de son équipe arrivent en Amérique sous l’égide d’Overcast, la majorité des scientifiques allemands entrent aux Etats-Unis alors que l’opération a changé de nom.

Au final on parle pour tous « des scientifiques du projet Paperclip ».

Au mois de mai 1948, on compte 1 136 scientifiques allemands vivant aux Etats-Unis. Pour ce qui concerne les experts en fusées et missiles, 177 travaillent pour l’armée de terre, 205 pour l’Air Force, 72 pour la Navy, et 38 pour le Département du Commerce.

Dans son ouvrage « Science, Technology, and Reparations: Exploitation and Plunder in Postwar Germany » l’historien John Gimbel (1922-1992) estime que l’apport des scientifiques allemands a généré l’équivalent de 10 milliards de dollars (USD 1948) en brevets etc..

Ce qui représente 104 milliards de dollars en monnaie constante. Soit un peu moins de 5 % du produit intérieur brut de ce pays en 1948, qui était de 258 milliards de dollars (2 702 milliards en monnaie constante), et aurait permis d’économiser quelque 800 millions de dollars en recherche et développement, soit 8 milliards de dollars 2018.

A titre de comparaison, entre le 3 avril 1948 et le 30 juin 1952, les Etats-Unis ont prêté 13,3 milliards de dollars à l’Europe (140 milliards USD 2018) dans le cadre du plan Marshall (officiellement ; Programme de rétablissement européen – European Recovery Program.), l’Allemagne (République fédérale d’Allemagne à partir du 23 mai 1949) reçoit 1,4 milliard de dollars (14,6 milliards USD 2018), derrière le Royaume-Uni (3,54 milliards), la France (3 milliards), et l’Italie (1,5 milliard).

En tout et pour tout, entre 1 600 et 1 800 scientifiques allemands et leur famille seront accueillis aux Etats-Unis jusqu’à la fin des années 50.

Superman souhaite un joyeux anniversaire à George Abbey

Le vendredi 21 août 1981 George Abbey (né le 21 août 1932) alors directeur du Flight Crew Operations Directorate (FCOD) au Centre Spatial Johnson, fête son 49e anniversaire.

George Abbey

Il est dans son bureau, qui se trouve au 8e niveau du Bâtiment 1, qui en compte 9 (rez-de-chaussée + huit étages), lorsqu’il aperçoit à travers la fenêtre, Superman, tambourinant sur la vitre pour attirer son attention, et chantant « Joyeux anniversaire… ».

A la fin de la chanson, mission accomplie, Superman regagne le sol en rappel, et disparaît.

Très vite, Christopher Kraft, le bouillonnant directeur du centre spatial, apprend que deux individus en bleus de travail ont été aperçus dans les locaux, prétendant être des laveurs de carreaux.

A partir d’un bureau vacant, surplombant l’angle nord-ouest du bâtiment, ils ont réussi à attacher une corde à double. L’un des individus a alors ôté sa combinaison, laissant apparaître un costume de Superman, et est descendu en rappel devant la fenêtre du bureau de Georges Abbey.

Son complice, attendant qu’il ait regagné le sol, pour récupérer la combinaison de travail et la corde, et quitter à son tour prestement les lieux.

Le service de sécurité du centre spatial identifie rapidement les deux coupables, il s’agit de deux astronautes, James Bagian (né en 1952) alias Superman, et Guy Gardner (né en 1948) son complice.

Tous les deux font partie du neuvième (1980) et dernier groupe d’astronautes en date.

Cliff Charlesworth (1931-1991) ancien directeur de vol, récemment promu directeur adjoint du centre spatial, est furax, la cascade est dangereuse. Il convainc Christopher Kraft d’ordonner à George Abbey, d’ordonner à John Young (1930-2018) le chef du bureau des astronautes, de les rappeler à l’ordre par écrit. « Le Centre Spatial Johnson n’est pas un terrain de jeux privé pour astronautes ».

John Young dont le bureau se trouve dans le Bâtiment 4 S (au niveau 3) convoque les deux astronautes, leur montre leur lettre de réprimande, et la jette à la poubelle après l’avoir chiffonnée. « J’ai trouvé que ce que vous avez fait est culotté. »

James Bagian était accessoirement médecin et alpiniste émérite spécialisé dans le secours en haute montagne… Il deviendra même instructeur !

Il effectuera quand même deux missions spatiales, mais seulement après le départ de George Abbey* ; STS-29, du 13 au 18 mars 1989, et STS-40, du 5 au 14 juin 1991.

Guy Gardner fera également deux vols dans l’espace ; STS-27, du 2 au 6 décembre 1988, et STS-35, du 2 au 11 décembre 1990.

* En février 1988 George Abbey est muté au Quartier Général de la NASA à Washington D.C. Depuis 1975, c’est lui qui affectait les astronautes et les accompagnait jusqu’au pas de tir. George Abbey était surnommé « the Dark Lord », « the Godfather » ou « UNO » (unidentified NASA official). C’est dire l’influence qu’il avait.

George Abbey a bien choisi Guy Gardner pour STS-27, mais c’est Donald Puddy son remplaçant à la tête du FCOD, qui permettra à Bagian d’effectuer deux vols spatiaux.

Le « Building 1 » du Centre Spatial Johnson. L’architecture du bâtiment se prête admirablement bien au type d’opération effectué par James Bagian et Guy Gardner.

Lorsque l’administration Kennedy voulait imposer à la NASA la sélection d’un astronaute afro-américain

La déségrégation fut l’un des combats majeurs du président John F. Kennedy et de son frère Robert…

Pour les années 1959 (sélection du premier groupe d’astronautes) et 1962 (sélection du deuxième groupe d’astronautes), aucun candidat afro-américain ne figure sur les listes des pilotes d’essai soumis à la NASA.

Whitney Young (1921-1971) le très influent directeur de la National Urban League, une organisation militant pour les droits civiques des afro-américains, n’avait-il pas demandé publiquement : « Pourquoi n’avons nous pas un astronaute noir ? » (Why don’t we have a Negro astronaut ?)

Pour la sélection du troisième groupe d’astronautes en 1963, Robert Kennedy procureur général (l’équivalent de notre ministre de la justice), et frère cadet du Président John Kennedy, appelle personnellement Charles Berry (médecin chef à la NASA), ainsi que Donald Slayton (chef du bureau des astronautes), qui font partie du comité de sélection, pour leur signifier : « Nous voulons être certains qu’il y aura un astronaute afro-américain lors du prochain recrutement. »

Charles Berry lui répond que la NASA dispose déjà de la liste des « finalistes » sur laquelle effectivement il doit y avoir deux candidats afro-américains mais qu’il ne peut pas garantir que l’un d’eux soit sélectionné. Robert Kennedy lui rétorque alors : « Vous ne me comprenez pas. J’ai dit que nous voulons, et vous ferez en sorte qu’il en soit ainsi, qu’il y ait un astronaute afro-américain. »

Le comité de sélection étudia les dossiers, utilisant le système de notation qui avait fait ses preuves, classant les candidats en leur octroyant des points selon leur nombre d’heures de vol, les types d’appareils sur lesquels ils ont volé, leur expérience au combat, leurs diplômes, les recommandations de leurs supérieurs etc. 

Lors de cette évaluation totalement objective, le classement du meilleur pilote afro-américain, le capitaine Edward Dwight, figurait loin derrière les 35 candidats sélectionnés pour subir les tests médicaux à la base aérienne Brooks à partir du 31 juillet, et les interviews à Houston dès le 2 septembre… Cette année là, la NASA a reçu 271 candidatures, 71 militaires, de l’Air Force (USAF), la Navy (USN), le Corps des Marines (USMC), et 200 candidatures civiles.

14 pilotes, tous blancs, composeront le troisième groupe d’astronautes, dont l’identité sera divulguée le 17 octobre 1963. (7 USAF – 4 USN – 2 USMC – 1 civil ex-USAF – Edwin Aldrin, William Anders, Charles Bassett, Alan Bean, Eugene Cernan, Roger Chaffee, Michael Collins, Walter Cunningham, Donn Eisele, Theodore Freeman, Richard Gordon, Russell Schweickart, David Scott, Clifton Williams.)

L’assassinat du Président Kennedy 5 semaines plus tard, mettra un terme à l’ingérence de son administration dans le processus de sélection des astronautes.

Il convient de préciser que le capitaine Edward Dwight de l’US Air Force avait au préalable été imposé par l’administration Kennedy pour être sélectionné au sein de l’ARPS [Aerospace Research Pilot School – Le nouveau nom de la Test Pilot School depuis le 12 octobre 1961.

Le 1er juillet 1972 l’ARPS reprend la dénomination de U.S. Air Force Test Pilot School.] en septembre 1962 au grand dam de Charles Yeager, le commandant de la base, qui évoque cette ingérence et ses conséquences dans son autobiographie publiée en 1986… « Dwight était un bon pilote, mais pas un grand pilote. »

Lors de la phase 2 de sa formation à la « Space School » Dwight se retrouve notamment avec Theodore Freeman, James Irwin, David Scott… Son histoire fut très médiatisée en son temps, ce qui déplut fortement à l’US Air Force…

Edward Dwight et Charles « Chuck » Yeager.

Ed Dwight victime de discriminations au plus haut niveau, en instance de divorce, finit par quitter l’armée de l’air en 1966. Au milieu des années 1970, il change complètement de cursus pour devenir un sculpteur de renom…

Né le 9 septembre 1933, il a eu 85 ans cette année. Il retrace son histoire dans un livre : « Soaring On The Wings Of A Dream: The Untold Story of America’s First Black Astronaut Candidate ».

Son site internet (en anglais) : https://www.eddwight.com/about

En définitive, le premier astronaute « de couleur » est Robert Henry Lawrence Jr (1935-1967). Sélectionné en 1967 comme astronaute par l’US Air Force pour son projet de station spatiale MOL (Manned Orbiting Laboratory), il décède le 8 décembre 1967 dans le crash de son F-104, il avait 32 ans.

Guion Blufford (né en 1942) est le premier afro-américain dans l’espace, sélectionné dans le groupe 8 de la NASA en 1978, il effectue 4 vols à bord de la navette spatiale entre 1983 et 1992.

Le premier astronaute noir dans l’espace s’appelle Arnaldo Tamayo Méndez (né en 1942), un cubain de descendance africaine, il effectue son vol spatial à bord de Soyouz 38 du 18 au 26 septembre 1980.

Frederick Gregory (né en 1941) est le premier astronaute afro-américain commandant de mission ; STS-33 du 22 au 28 novembre 1989. [Il dirigea « intérimairement » la NASA (Acting Administrator) du 11 février 2005, après le départ de Sean O’Keefe (né en 1956), jusqu’au 14 avril 2005, lorsque Michael Griffin (né en 1949) est nommé à la tête de l’agence spatiale.