Wernher von Braun et les brevets de Robert Goddard

La bagatelle de 214 brevets ont été déposés au nom de Robert Hutchings Goddard (1842-1945)  entre le 7 juillet 1914 et le… 13 novembre 1956, 11 ans après sa mort.

En effet, lorsque l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit que 131 brevets ont été déposés après son décès, soit plus de 60 %. La durée de protection d’un brevet d’invention est de vingt ans, aux Etats-Unis comme en France.

Rappelons que les premiers missiles V2 récupérés à Nordhausen arrivent sur le sol américain en 1945 et que le premier lancement intervient en avril 1946…

Goddard est décédé 41 jours avant l’arrivée de Wernher von Braun aux Etats-Unis.

Wernher von Braun et son équipe ont été souvent accusés de s’être servis des brevets et des travaux de Goddard pour leurs propres recherches et n’auraient donc pas inventé grand-chose…  L’origine de cette rumeur remonte au procès intenté en 1951 au gouvernement américain par la veuve de Goddard et la Fondation Guggenheim qui a financé une grande partie de ses travaux.

Comme toujours il s’agit bien évidemment d’une histoire de gros sous, et l’action en justice s’est, comme de bien entendu, réglée financièrement en 1960, nous y reviendrons.

Robert et Esther Goddard (circa 1943)

Début 1975, un cadet de West Point écrit à Wernher von Braun concernant ces accusations récurrentes, voici un extrait de sa réponse : (traduit par mes soins)

« En 1930 j’avais 18 ans et j’étais membre de l’association allemande pour le vol spatial (NdT : Verein für Raumshiffahrt) … Le Dr Robert Goddard était l’une des sommités internationales sur le concept des vols spatiaux, et il faisait partie des héros de mon adolescence. J’avais lu son opuscule « Une méthode pour atteindre des altitudes extrêmes » (NdT : opuscule de 79 pages publié en 1919, dont 1 750 exemplaires seront distribués dans le monde entier) qui décrivait le principe des fusées à plusieurs étages, et présentait des idées novatrices quant aux moyens d’améliorer les performances des moteurs-fusée à ergols liquides. Dans les années qui ont suivies, lorsque j’ai développé des fusées à ergols liquides pour l’armée allemande, travaux qui ont abouti au V2, j’ai pu voir de temps à autres des illustrations (il a par exemple évoqué la torpille aérienne) ou des déclarations (comme par exemple « L’Homme peut atteindre la Lune ») dans des revues d’aviation. Toutefois, à aucun moment en Allemagne, ni moi, ni l’un de mes collaborateurs n’avons jamais eu l’occasion de voir un brevet de Goddard. Je ne savais même pas que Goddard faisait des recherches pratiques dans ce domaine qui me tient tant à cœur, les fusées à ergols liquides, et encore moins, que dès 1926 il avait lancé avec succès la première fusée à ergols liquides du monde. »

Aux Etats-Unis, on demandera à Wernher von Braun d’examiner et d’analyser une partie des brevets déposés par Goddard suite à la plainte déposée par ses ayants droit. Le point de discorde principal étant que les V2 amenés sur le territoire américain, de même que certains des nouveaux missiles, enfreignent lesdits brevets, et par conséquent le gouvernement américain doit s’acquitter des droits afférents à leur utilisation.

Wernher von Braun poursuit :

« Les avocats du gouvernement démontrèrent que pour la conception du V2 les allemands ne pouvaient en aucun cas avoir utilisé les inventions de Goddard dans la mesure où ses brevets étaient classés secrets, ils n’ont donc jamais pu y avoir accès. Qui plus est, même s’il existait une quelconque violation de ces brevets, les Etats-Unis avaient acquis tous les droits sur la technologie des V2 par le fait même que selon les lois internationales les missiles récupérés tombaient sous le coup d’une « prise de guerre ».

Wernher von Braun précise dans sa réponse qu’on lui demanda également de rédiger une évaluation détaillée pour le tribunal, visant à déterminer si oui ou non la conception du V2 empiétait sur les brevets de Goddard. Il affirma en toute sincérité qu’en effet il y avait bon nombre d’atteintes un peu partout ; de l’utilisation des déviateurs de jets, à la turbopompe, en passant par l’utilisation de gyroscopes pour le guidage.

Von Braun continue :

« Tous les brevets de Goddard que j’ai vu étaient classés secrets et n’avaient jamais été publiés, ce jusqu’en 1950. Je n’en avais pas connaissance lorsque j’étais en Allemagne et même aux Etats-Unis je ne les ai découvert pour la première fois que 5 ans après mon arrivée dans ce pays, et après avoir reçu une habilitation secret défense. Tous les brevets que j’ai étudié en 1950 m’ont impressionné et prouvent que le Dr Goddard avait un esprit brillant et imaginatif. Ces brevets couvraient non seulement des caractéristiques de conception utilisées (involontairement) pour le V2, mais proposaient également de nombreuses solutions alternatives.

Il faut savoir que les brevets de Goddard n’ont été classés secret défense qu’en 1942. Finalement le gouvernement américain (ministère de la Défense et NASA) paiera la somme de 1 million de dollars, soit plus de 8 millions en monnaie constante !  Il s’agissait à l’époque de la plus forte somme jamais payée pour une affaire de droits de brevets. La moitié de la somme a été perçue par Esther Goddard, la veuve du brillant scientifique, et l’autre partie par la Fondation Guggenheim qui avait financé ses travaux. Il est ironique de savoir que ce très généreux montant, est supérieur au total des fonds reçu par Goddard tout au long de sa carrière !

Goddard a eu l’occasion d’examiner le moteur d’un missile V2, le 14 avril 1945, (photo ci-dessous) alors qu’il travaillait au Laboratoire Naval d’Annapolis, il se serait exclamé : « Il n’y a aucune différence avec mes propres fusées, excepté le mélange d’ergols utilisé… » Goddard préférait l’essence à l’alcool !

Robert Goddard est mort, persuadé que les allemands lui avaient « volé » son travail !

Crédit photo : NASM-SI-73-1278 (National Air and Space Museum – Washington D.C.)

Rappelons que l’altitude maximale atteinte par une fusée de Robert Goddard est de 2,7 km, le moteur a fonctionné 22,3 secondes. C’était le 26 mars 1937.

L’accusation visant à discréditer les ingénieurs allemands ayant développé la fusée A4 (ou missile V2) est sans fondement. Il s’agit d’un des nombreux exemples où des ingénieurs travaillant indépendamment sur un même problème arrivent à des solutions similaires. Les ingénieurs soviétiques ont résolu ces problèmes de la même manière.

Grâce aux efforts de Wernher von Braun, qui admirait sincèrement Robert Goddard, une stèle sera érigée à l’endroit même d’où il a lancé la première fusée à ergols liquides du monde, le 16 mars 1926. Les circonstances de cette belle initiative vous sont contées ici.

Wernher von Braun offre sa Mercedes à son garagiste

Comme évoqué dans une précédente anecdote le constructeur allemand Daimler-Benz offrait régulièrement à Wernher von Braun le dernier modèle phare de sa gamme, un « accord publicitaire » important pour l’entreprise.

Tout début 1970, avant son départ pour Washington, von Braun a offert son ancienne Mercedes à son garagiste, Wolfgang H. Fricke (1927-1990), qui s’occupait de ses voitures depuis 1956, l’année où il a ouvert son garage agréé Mercedes, à Huntsville. Aujourd’hui South Side Motors Inc. est géré par sa fille Angela.

Richard Nixon pour achever le tableau

Richard Nixon (1913-1994) déclare après la mission Apollo 11 : « Cette semaine est la plus importante dans l’Histoire du monde depuis la Création, car avec ce qu’il s’est passé cette semaine, le monde est plus grand, infiniment. ».

Il fut également le seul président en exercice, à avoir assisté à un lancement du programme spatial habité, Apollo 12.

Tout cela pouvait laisser croire que Richard Nixon soutiendrait le programme spatial. Il n’en fut rien, rien du tout.

Voici une anecdote, dont une partie a été rapportée récemment par le docteur en sciences politiques John M. Logsdon dans son excellent ouvrage : After Apollo ? : Richard Nixon and the American Space Program (Palgrave Studies in the History of Science and Technology), paru en 2015.

Malheureusement aucun livre de M. Logsdon n’a pour le moment été traduit en français. On trouve cette même histoire sur le site « The Planetary Society » à cette adresse http://www.planetary.org/blogs/guest-blogs/2014/1027-when-nixon-stopped-human-exploration.html

Tout commence en décembre 1968, avec le développement des négatifs, et le tirage des photos de la mission Apollo 8, notamment celle de William Anders prise la veille de Noël, qui sera connue pour la postérité sous le nom de Lever de Terre  (Earthrise).

Le 10 janvier 1969, le Président des Etats-Unis Lyndon B. Johnson (1908-1973), reçoit les astronautes d’Apollo 8 et leurs épouses, à la Maison-Blanche, ces derniers lui offrent cette magnifique photo, dans un cadre en bois. (photos ci-dessous)

Debout au premier plan : « Lady Bird » Johnson, James Lovell, Lyndon B. Johnson.

(De g. à d.) William Anders, James Lovell, Lyndon Johnson

Le président Johnson quittera ses fonctions 10 jours plus tard, il ne s’était pas représenté à l’élection présidentielle de 1968. C’est Richard Nixon qui lui succède le 20 janvier.

Le président Johnson, était si fier de cette photo, qu’il l’envoya aux chefs d’états du monde entier, y compris Hô Chi Minh.

C’est de toute évidence le président Johnson, qui fera accrocher ladite photo dans le Bureau Ovale de la Maison-Blanche.

Le nouveau président, Richard Nixon, reçoit à son tour les astronautes d’ Apollo 8, le 3 février 1969, deux semaines seulement après sa prise de fonction. (Photo ci-dessous)

(De g. à d.) Frank Borman, Richard Nixon, James Lovell, William Anders.

John Logsdon a noté la présence de la photo prise lors de la mission Apollo 8 sur ce cliché (photo ci-dessous), pris en décembre 1969, lors d’une réunion de travail dans le Bureau Ovale en présence du Président Richard Nixon (à d.), Lee DuBridge (au centre) et Peter Flanigan.

Sur la photo ci-dessous, prise en septembre 1970, le « Lever de Terre » a laissé la place à « un tableau représentant un paysage générique », selon John Logsdon.

Après avoir fait quelques recherches, je me suis aperçu que ce « paysage » était déjà présent dans le Bureau Ovale, durant la présidence de John Kennedy. Pour la petite histoire, Jacqueline Kennedy a pris ce tableau pour modèle pour peindre une aquarelle.

C’est donc Lyndon Johnson qui l’a remplacé par le « Lever de Terre » début 1969, puis Richard Nixon a décidé de remettre le tableau original à sa place, courant 1970.

Il se trouve que ce « paysage » était toujours dans le Bureau Ovale sous la présidence de Bill Clinton quelque 25 ans plus tard.

Seule ombre au tableau, il ne s’agit pas de n’importe quel paysage, mais d’une peinture à l’huile représentant la Maison-Blanche vers 1805, sous la présidence de Thomas Jefferson.

Pour John Logsdon, le remplacement de la photo du « Lever de Terre » symbolise le désintérêt de Nixon pour le programme spatial.

C’est un fait irréfragable, puisque Richard Nixon a effectivement œuvré pour arrêter prématurément le programme Apollo, et, sans vouloir noircir le tableau, il voulait également annuler les missions Apollo 16 et 17, ce, après avoir déjà trois missions à son tableau de chasse.

Sa politique, dès 1970, a eu pour résultat, que la NASA n’a plus eu le budget suffisant pour un programme spatial habité d’envergure.

Pour compléter le tableau, on peut ajouter que la politique spatiale de Nixon aura condamné les américains à rester en orbite basse autour de la Terre pendant plus de 45 ans !

Remplacer la photo du « Lever de Terre » par une peinture de la Maison-Blanche, fut donc, en effet, au vu de ce tableau, un geste résolument symptomatique !