La Redstone Playboy

Comme pour les A4 à Peenemünde, les premières fusées Redstone lancées depuis le Cap Canaveral étaient décorées avec des personnages divers, pour porter chance.

Il n’était pas très pratique pour les illustrateurs, tel Gerd De Beek, de peindre à même le corps métallique de l’engin, aussi ce sont des posters qui furent collés sur ses flancs.

C’est ainsi que la deuxième Redstone (RS-2) fut décorée avec une blonde très pulpeuse, que les témoins ont décrit comme étant un véritable chef-d’œuvre.

Il s’agit très certainement de la reproduction d’une photo de Marilyn Monroe, qui avait posé nue sur un drap en soie rouge, le 27 mai 1949, à l’âge de 23 ans, pour le photographe Tom Kelley.

L’un des 24 clichés, à l’origine pour un calendrier, a été réutilisé pour la page centrale du premier numéro du magazine Playboy en décembre 1953.

Le 27 janvier 1954, peu après le décollage, le poster s’est détaché à cause du vent et des vibrations. Bizarrement, l’un des radars de suivi s’est « verrouillé » sur « la blonde », et a perdu le contact avec la fusée…

« Ça, » observa Wernher von Braun, « fut notre dernière Redstone Playboy ! »

La fusée A10, un ticket pour les Etats-Unis

L’équipe de spécialistes allemands ès fusées « importée » aux Etats-Unis pour travailler sur de nouvelles armes, puis au final pour constituer la colonne vertébrale de l’effort américain pour développer des lanceurs spatiaux, travaillait à Peenemünde sur un projet de missile longue portée (intercontinental), la fusée A10.

Composée de deux étages : A9 et A10, dont le moteur du premier étage (tout d’abord avec 6 chambres de combustion de A4 et une seule tuyère, avant le développement d’un moteur mono-chambre) aurait eu 200 tonnes de poussée.

« Nous l’avions surnommée la fusée américaine (Amerika Rakete) se rappelle Ludwig Roth (1909-1967) au début des années 50, car elle devait avoir une portée lui permettant de traverser l’Atlantique en 40 minutes.

« Cette fusée n’a jamais volée, mais elle nous a emmené ici quand même ! » ironisa t-il.

– Plusieurs concepts furent étudiés dont notamment un dernier étage piloté. A environ 200 km d’altitude l’étage A9, qui était muni d’ailes (testées sur la A4b), entame un vol plané, guidé par des balises radio embarquées dans des sous-marins déployés dans l’Atlantique, le pilote ajuste la trajectoire finale sur la cible en visuel, et s’éjecte avant l’impact.

Il en résulte pour le pilote la mort ou l’internement… Pour accroître la portée et atteindre environ 6 000 km, l’engin aurait pu « rebondir » plusieurs fois sur les couches plus denses de l’atmosphère pour reprendre de l’altitude et prolonger le vol plané

« Popular Science » Octobre 1947 (Cliquer sur la photo pour l’agrandir)

James Lovell reçoit la Légion d’honneur

Le mercredi 29 juillet 1970, la France, le plus vieil allié des Etats-Unis, rend un hommage très particulier au commandant de la mission Apollo 13, James Lovell, 42 ans, qui est alors le seul à avoir effectué quatre missions spatiales, et le seul à avoir fait deux voyages vers la Lune.

En effet, l’ambassadeur de France, Charles Lucet (1910-1990), lui a remis les insignes de Chevalier de la légion d’Honneur, la plus haute distinction française, dans les locaux de l’ambassade de France à Washington, en présence notamment de son épouse Marilyn, de l’Administrateur de la NASA Thomas Paine (1921-1992), du sénateur Charles Mathias (1922-2010).

Lors de son discours, l’ambassadeur Lucet lui a rendu un vibrant hommage, ainsi qu’à ces collègues astronautes, sans oublier tous les hommes et toutes les femmes ayant rendu possible les succès du programme spatial américain.

Voici ma traduction du discours, à l’origine en anglais bien évidemment, prononcé par Son Excellence Charles Lucet :

« C’est un grand honneur pour moi d’avoir reçu pour mission par le Président de la république française [NdT : Georges Pompidou (1911-1974)] de vous remettre aujourd’hui l’insigne de Chevalier de la Légion d’Honneur notre ordre national le plus important.

Vous êtes conscient, commandant, de l’admiration, de l’anxiété et la fervente attention avec laquelle le peuple français, tout le peuple français, a suivi vos exploits ainsi que ceux des astronautes qui vous ont précédé.

Comme pilote de Gemini VII, vous et le colonel Borman avez réussi le premier rendez-vous spatial en décembre 1965. Vous avez même fait mieux en novembre 1966 lorsqu’à bord de Gemini XII vous avez pris les premières photos d’une éclipse de soleil vue dans l’espace.

Puis est venu le temps des missions Apollo. Permettez-moi de vous dire en toute humilité que j’étais au Cap Kennedy le 21 décembre 1968 pour le lancement d’Apollo 8, la première mission lancée par une fusée Saturne V. Je me rappellerai toute ma vie cette vision inoubliable de ce si majestueux décollage. Visiteur assidu du Cap Kennedy, j’étais à nouveau présent en juillet 1969 pour le compte à rebours d’Apollo 11, une date historique des premiers pas de l’Homme sur la Lune. Armstrong, Aldrin et Collins sont également Chevaliers de la Légion d’honneur.

Je souhaite ajouter également, Commandant Lovell, et le peuple français est d’accord avec moi, que le vol que vous avez commandé, celui d’Apollo XIII, fut largement aussi remarquable et admirable. Vous, et ceux qui vous ont accompagné, Haise et Swigert , avez dû faire face au plus grave incident que des hommes n’ont jamais connu, l’explosion de deux réservoirs d’oxygène, qui s’est produit à mi-chemin entre la Terre et la Lune. Nous avons toujours admiré, en toutes circonstances, l’efficacité américaine et l’incroyable précision de la technologie américaine. Mais dans ce cas bien précis, c’était autre chose. Ce n’était plus une question de machine, mais de courage, de sang-froid et de présence d’esprit, avec l’aide du contrôle de mission à Houston, et tous les services de la NASA.

J’aimerais également rendre hommage à votre administrateur, le Dr Thomas Paine, vous avez été capable, face à un danger incroyable, de ramener la capsule et ses occupants à l’endroit et au moment voulus. Nous étions très inquiets mais votre calme et votre compétence furent remarquables.

Quelquefois des demi-échecs sont plus grands que des victoires. Vous nous avez donné une leçon inoubliable. Même si les machines utilisées pour l’exploration de l’espace se sont révélées faillibles, exactement comme nous le sommes nous-mêmes, vous avez démontré que quelles que soient les circonstances, l’homme, l’audace de l’homme et son sang-froid, peuvent avoir le dernier mot.

Grâce à vous, et aux astronautes qui vous ont précédé, et ceux qui viendront après vous, nous savons que l’espace peut être conquis et exploré. D’une certaine manière, la Lune, le sujet préféré des poètes, la première étape dans cette exploration, fait maintenant partie de la banlieue de la Terre et sera dans peu de temps le point de départ de nouvelles aventures.

Vous avez ouvert des perspectives inégalées pour enflammer l’imagination des hommes qui veulent toujours conquérir une nouvelle frontière. Cette frontière, grâce à vous, est maintenant le ciel étoilé. Bien sûr, la prodigieuse conquête n’a pas changé du jour au lendemain la mentalité de l’homme et ses travers.

Il y a toujours des conflits entre nous, des guerres et la violence. Mais nous savons, et c’est parfaitement vrai, qu’il suffit de regarder vers le ciel pour voir où se trouve notre destin, savoir où la réconciliation de l’humanité peut être accomplie. L’espace avec tous ses dangers nous semble à tous un domaine illimité pour une véritable coopération internationale.

Vous nous avez ouvert la voie. Vous avez montré de la grandeur dans l’adversité. Veuillez agréer nos sincères remerciements à tous. C’est pourquoi, au nom du peuple français et du gouvernement français, dont l’admiration pour vous et vos collègues est illimitée, je vais maintenant prononcer les mots traditionnels. »

« Commandant James Lovell, au nom du Président de la République,  et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de la Légion d’honneur. » (A gauche en costume clair le sénateur Charles Mathias, à ses côtés l’Administrateur de la NASA Thomas O. Paine. A droite Marilyn Lovell.

Charles Lucet, ambassadeur de France aux Etats-Unis de 1965 à 1972.