11e décollage de la navette spatiale, c’est déjà de la routine

Lorsque le 6 avril 1984, la navette spatiale Challenger décolle pour sa cinquième mission (STS-41C) du complexe de lancement 39A, la chaine de télévision CBS crée un précédent, et déroge à une règle vieille de 23 ans, en ne retransmettant pas en direct le lancement d’une mission habitée. Contrairement à la radio CBS.

Il ne s’agissait pourtant que de la onzième mission d’une navette spatiale.

Le lundi suivant, John Carmody, spécialiste de la télévision au Washington Post écrivait :

« Lorsque vendredi matin CBS News n’a pas jugé opportun de retransmettre le lancement de la navette spatiale en direct, alors que depuis le début du programme spatial habité elle n’avait loupé aucune mission, elle a assurément déçu certains téléspectateurs. »

Bob Chandler le vice-président de CBS News expliquera que la question des retransmissions en direct des décollages de la navette avait déjà été évoquée un an auparavant. La problématique étant la suivante : à quel moment les missions de la navette spatiale deviendront-elles si routinières que leurs retransmissions en direct ne seront plus pertinentes ?  Il semble que le moment soit venu… Ceci dit, ajouta-t-il, nous avons les moyens techniques d’intervenir à tout moment, et de prendre l’antenne en direct en cas de problème !

En 1985 par exemple, un seul lancement sur neuf sera retransmis en direct par CBS, il s’agit de la mission de Discovery (STS-51D) emportant dans l’espace le sénateur de l’Utah, Edwin Jacob « Jake » Garn, qui a décollé le 12 avril, jour du 24e anniversaire du premier vol habité de l’Histoire, et quatrième anniversaire du premier vol de la navette spatiale.

La retransmission a duré trois minutes. Aucun atterrissage ne sera retransmis en direct…

Comme l’affirmait le grand penseur arabe Mahmud ibn Umar al Zamakhschari (1075-1144): « Si l’erreur a une mère, cette mère est la routine. »

Le 28 janvier 1986 on prendra conscience qu’une mission spatiale, ce n’est jamais de la routine !

Le Capitaine REFSMMAT

Le Capitaine REFSMMAT est le nom de la mascotte virtuelle des contrôleurs de vols, et plus particulièrement du groupe dynamique de vol (flight dynamics).

Ceux-là mêmes qui se trouvent en première ligne (au sens figuré comme au sens propre, puisque leurs consoles son situées dans la première rangée de la salle de contrôle des missions) ; dans « la Tranchée » (the Trench). Leur fonction est essentielle, déterminer la position et la  trajectoire du vaisseau spatial.

C’est le FIDO (Flight Dynamics Officer), Edward L. Pavelka qui a eu l’idée de représenter ce personnage, après avoir assisté à une conversation entre Eugene Kranz, John Llewellyn (Retrofire Officer – Personne chargée des changements d’orbites et du retour sur Terre) et une jeune recrue de la branche dynamique de vol (Flight Dynamics Branch).

Ce jour-là devant la machine à café la nouvelle recrue demande pourquoi quelqu’un a mis un mot « IOU » (I Owe You – je vous dois – une reconnaissance de dette) dans le pot commun en lieu et place de la somme habituelle.

Llewellyn lui répond le plus sérieusement du monde : « C’est le Capitaine REFSMMAT, le contrôleur de vol idéal. C’est le meilleur élément que nous n’ayons jamais eu dans la tranchée. »

Ed Pavelka a dessiné ce personnage à l’allure militaire avec notamment, un couvre-chef qui renferme un radar, des verres de lunettes munies d’une mire pour mesurer l’altitude de désorbitation optimale, plusieurs REFSMMAT inscrits sur sa ceinture…

C’est ainsi qu’il représente au format poster, le contrôleur de vol idéal, qu’il accroche sur une armoire dans le hall du bâtiment 30.

Le « capitaine REFSMMAT » restera la mascotte des contrôleurs de vol pendant les programmes Apollo et Skylab, et chacun y ajoutera son petit graffiti.

REFSMMAT est le long acronyme de « Reference to Stable Member Matrix ».

Pour faire très simple, il s’agit des coordonnées qui permettent « d’aligner » les gyroscopes, par rapport à des points de repère fixes comme les étoiles, l’écliptique lunaire. Les chiffres (angles par rapport à des étoiles dont les coordonnées sont connues par le programme de l’ordinateur) sont entrés dans l’ordinateur de bord qui « réaligne » les gyroscopes (Inertial Measurement Unit).

Ces coordonnées sont bien évidemment vitales pour orienter et guider très précisément un vaisseau spatial comme Apollo qui doit se mettre en orbite autour de la Lune, laquelle se déplace à une vitesse orbitale moyenne de 3 680 km/h.

Au cours d’un vol il y a plusieurs REFSMMAT, jusqu’à huit pour les dernières missions Apollo. Il en a fallu 3 pour Apollo 8.

Le REFSMMAT est au voyageur de l’espace ce que la boussole est à l’explorateur terrestre.

Sans moyen de déterminer l’un des points cardinaux afin d’orienter un plan ou une carte il est impossible de retrouver son chemin. Le REFSMMAT permet de ne pas perdre le nord !

C’est la référence absolue, sur laquelle repose la navigation du vaisseau spatial.  Sa mise à jour, en fonction des manœuvres prévues, permet d’éviter le blocage de cardan (gimbal lock) comme celui qui a failli se produire sur le CSM d’Apollo 11 alors que Collins essayait de localiser le LM sur la Lune.

Il existe six posters différents du capitaine REFSMMAT avec les commentaires des contrôleurs de vol. Sur le poster ci-dessus figure également son ennemi juré, Victor Vector qu’il doit tenir en laisse !

Sur cette version du poster, l’acronyme n’ a plus qu’un seul M : Reference to Stable Matrix !

Dorothy Duke ne mâche pas ses mots

A compter de la mission Apollo 16, les chaines de télévision américaines imposèrent des réductions budgétaires drastiques, tronquant la retransmission en direct des sorties sur la Lune. Ce qui a mis Dorothy Duke hors d’elle.

Alors même que les astronautes John Young et Charles Duke, doivent explorer les hauts plateaux de Descartes dans un véhicule équipé d’une caméra, dont la qualité des images sera bien meilleure que les missions précédentes, en raison d’un traitement informatique inédit.

Lors d’une interview exclusive de la femme de l’astronaute Charles Duke, réalisée par Walter Cronkite, Dorothy Duke n’a pas hésité, en direct, à déplorer l’absence de couverture télévisuelle des trois explorations prévues.

Cette manifestation de sa très grande déception en des termes courtois mais très fermes, a quelque peu décontenancé Walter Cronkite, lui-même un pro-spatial, qui a dû, tant bien que mal, justifier ces non-retransmissions, qu’il désapprouvait à titre personnel.

La sortie spatiale d’une heure et 24 minutes, effectuée par Ken Mattingly sur le trajet retour, fut retransmise en direct !

Charles et Dorothy Duke (circa 1972)