Comment intégrer Apollo 1 dans la séquence des missions Apollo

Après l’embrasement éclair de la capsule 012 le 27 janvier 1967, lors d’un test au sol, moins d’un mois avant le décollage prévu de la mission Apollo 1, qui a coûté la vie à Virgil Grissom, Edward White et Roger Chaffee, les veuves des trois astronautes ont demandé à la NASA de garder l’appellation Apollo 1 pour que personne n’oublie jamais le sacrifice ultime de ces trois hommes pour la conquête de l’espace.  

Le Module de Commande 012 arrive au Centre Spatial Kennedy le 26 août 1966.

Donner un nom à une mission qui n’a jamais eu lieu pose un problème pour la dénomination des futures missions Apollo, chaque mission devant pouvoir être chronologiquement identifiée… Dans le jargon de la NASA trois vols de la Saturn IB ont déjà eu lieu, AS-201, AS-202, AS-203 (AS=Apollo/Saturn ; 2=Saturn 1B (1 = Saturn I, 5 = Saturn V) ; et deux ordinaux, qui permettent d’indiquer la position dans la série des vols…  Comme Apollo 1 devait être la quatrième mission du programme Apollo Saturn lancée par une fusée Saturn 1B elle était également identifiée en tant que AS-204. Voilà pour la théorie…

Comment insérer Apollo 1 dans la séquence des missions pour garder une certaine cohérence qui n’en avait déjà plus trop, puisque AS-203 (5 juillet 1966) a été lancé avant AS-202 (25 août 1966)…

Dans une lettre à George Müller (alors directeur du bureau des vols spatiaux habités – OMSF pour Office of Manned Space Flight) en date du 30 mars 1967, George Low (alors directeur adjoint du Manned Spacecraft Center près de Houston) lui fait part de deux suggestions, qui tiennent compte de cet impératif.

Il s’agit, soit, de considérer les missions AS-201, 202, and 203 comme des missions imputables à la Saturn I (sans faire de différenciations avec la 1B), réserver l’appellation Apollo 1 pour le vaisseau spatial 012, et nommer les vols suivants Apollo 2, Apollo 3, etc.

Ou bien, appeler le prochain vol Apollo 4, mais utiliser une nomenclature un peu différente pour les missions déjà réalisées. Garder l’appellation Apollo 1 pour le vaisseau spatial 012 et ensuite pour des considérations historiques appeler la mission AS-201, Apollo 1-A ; AS-202, Apollo 2 ; AS-203, Apollo 3…

Dans un mémorandum daté du 3 avril 1967, les différents centres spatiaux, les contractants et le service des relations publiques de la NASA sont informés que le Comité qui entérine l’appellation des missions spatiales, approuve les recommandations du OMSF. C’est ainsi que le 24 avril 1967 le Bureau des Vols Spatiaux Habités confirme que AS-204 sera officiellement enregistré en tant que : « Apollo 1, premier vol habité du programme Apollo Saturn – qui a échoué lors d’un test au sol – « . Que les vols AS-201, AS-202, and AS-203 ne seront pas modifiés dans la séquence des vols Apollo, et que la prochaine mission sera Apollo 4, le premier vol inhabité de la Saturne V (AS-501).

Afin de compliquer encore un peu les choses, pour la mission Apollo 5, c’est la Saturne IB de la mission Apollo 1, AS-204, indemne après l’accident, qui sera utilisée.

Puis nous avons Apollo 6 (AS-502) et Apollo 7 le premier vol habité réussi du programme Apollo (AS-205)…

On peut indifféremment utiliser AS ou SA, le centre spatial de Houston préférait mettre le « Apollo » avant « Saturn » (AS), le centre spatial Marshall qui avait conçu le lanceur mettait « Saturn » avant « Apollo » (SA) !  

La numérotation des missions Skylab connaîtra également des vicissitudes, et que dire de celle des missions de la navette spatiale, un véritable imbroglio, évoqué ici.

Finalement, quelle importance, l’essentiel étant que Virgil Grissom, Edward White et Roger Chaffee soient identifiés à une mission, afin que le souvenir de leur sacrifice ultime ne puisse jamais être oublié.

L’emblème d’Apollo 1, que les astronautes portaient lors des entraînements, revisité par les artistes Jorge Cartes et Tim Gagnon. Remarquable travail et magnifique hommage.

Le Club de Presse de la Vitesse de Libération (Escape Velocity Press Club)

Des journalistes qui couvraient le programme spatial américain, et les membres des relations publiques de la NASA avaient créé l’Escape Velocity Press Club un club de presse très privé, que l’on intégrait sur invitation uniquement.

Créé au début du programme Gemini pour circonvenir les lois très surprenantes sur l’alcool, qui ont cours au Texas. Le Club de Presse de la Vitesse de Libération* se réunissait dans les salles de réunion des hôtels de Houston, lors des mission spatiales.

La carte de membre de Fred Cambria, journaliste de CBS, signée par le président du club, James Schefter.

Dans les mois qui ont suivi l’accident d’Apollo 1, sans aucune mission spatiale à couvrir, après la frénésie qui a marqué le programme Gemini, 10 missions en 20 mois ( entre le 23 mars 1965 et le 15 novembre 1966) les journalistes se sont trouvés sans rien à dire, hormis ressasser le tragique accident qui a coûté la vie aux trois astronautes d’Apollo 1.

Le moral de tous est au plus bas. Alan Shepard alors chef du bureau des astronautes, avait déclaré récemment :  « Il est temps d’arrêter de se morfondre. Ça suffit comme ça. Il faut retrouver le moral, et faire en sorte de renvoyer nos culs dans l’espace. »

C’est ainsi que James Schefter, le président du Club, (Journaliste pour le Houston Chronicle et Time-Life, il a couvert le programme spatial de 1963 à 1973) et Robert Button (Chargé des relations publiques de la NASA, affecté au bureau des astronautes) vont voir Shepard, pour lui proposer une idée.

Ils souhaitent organiser un gala en l’honneur du sixième anniversaire de son vol Mercury. il s’agit là du parfait prétexte pour faire la fête. Bien que n’appréciant pas particulièrement la presse, Shepard reconnut immédiatement le bien fondé d’associer son nom, à un événement susceptible de motiver une communauté qui avait clairement le cafard…

Alan Shepard fait un discours (devant lui, un sac de charbon de bois de la marque Royal Oak). Une petite blague à ses dépens…

Le gala se tint le samedi 6 mai 1967 dans la salle de bal de l’Hôtel Nassau Bay, juste en face de l’entrée principale du centre des vols spatiaux habités. Plus de 500 personnes voulurent y assister, alors que la salle ne pouvait en contenir que 300. Les choix furent parfois douloureux…

Jim Schefter fit office de maître de cérémonie. Il y avait notamment Robert Gilruth, le directeur du centre des vols spatiaux habités, Wernher von Braun le directeur du centre spatial Marshall, les six astronautes Mercury, les veuves des astronautes d’Apollo 1 Betty Grissom, Patricia White et Martha Chaffee…

C’est lors de ce gala que fut projeté le film humoristique concocté notamment par Walter Schirra, intitulé : « Astronaut Hero, or, How To Succeed In Business Without Really Flying…Much.« , qui se moquait gentiment de l’invité d’honneur, Alan Shepard.

(De g. à d.) Richard Gordon, Charles Conrad, John Young, Thomas Stafford forment le groupe « The Fearsome Foursome » (Le redoutable quatuor). Parodiant deux chansons de Broadway avec des paroles réécrites à la « gloire » de Shepard…
Betty Grissom debout, à gauche Robert Button, debout également Wernher von Braun, de dos, Paul Haney.
Wernher von Braun, au fond à droite John Glenn.

Ce gala s’avèrera être une parfaite réussite, l’événement social de l’année, de nature à redonner de l’énergie et de l’enthousiasme à tout le monde. Il était temps de se remettre au travail afin d’atteindre l’objectif du président Kennedy… Ce sera chose faite deux ans plus tard !

* La vitesse de libération est la vitesse minimale que doit atteindre un objet pour échapper définitivement à l’attraction gravitationnelle d’un astre et s’en éloigner indéfiniment.

Betty Grissom assigne North American Rockwell en justice

Le 18 janvier 1971, quasiment quatre ans jour pour jour après les faits, la veuve de l’astronaute Virgil Grissom, décédé le 27 janvier 1967 dans l’incendie de la capsule Apollo 1 (ou AS-204) avec Edward White et Roger Chaffee, saisi le Tribunal de Grande Instance du Comté de Brevard dont dépend le Cap Canaveral et le Centre Spatial Kennedy pour assigner en justice la société North American Rockwell (depuis septembre 1967) et ses filiales.

Betty Grissom réclame le somme de 10 millions de dollars en dommages et intérêts. 

Par la voix de l’un de ses avocats de Houston, Ronald D. Krist, elle accuse la société de négligence criminelle.

Le vaisseau spatial n’avait pas de système anti-incendie approprié, n’avait pas de système d’évacuation d’urgence, et comportait des vices de conception, puisque le câblage a permis à un arc électrique de se former.

Quelques années plus tard Betty Grissom et ses deux fils, Scott et Mark, n’obtiendront finalement que 350 000 dollars (environ 1 500 000 USD en dollars constants) lors de tractations qui se dérouleront hors tribunal. 40% de cette somme ira aux avocats !

Betty Grissom et ses enfants ont toujours un ressentiment vivace envers la NASA.