Les Gilets de Eugene Kranz

Pour sa première mission comme Directeur de vol, Eugene Kranz (1933) voulait un signe de ralliement, comme un écusson par exemple, pour donner une identité à son groupe de contrôleurs de vol, pour en faire une équipe soudée.

Un soir alors qu’il en discute avec son épouse Marta, celle-ci lui propose : « Gene, la couleur de ton équipe est le blanc, pourquoi ne te ferais-je pas un gilet de costume de couleur blanche, que tu porterais lorsque tu es à la console ? ». Cette idée lui était venue car son mari adorait porter des costumes trois pièces.

Eugene Kranz reste quelque peu dubitatif, mais lui demande tout de même de lui en confectionner un. Il déciderait plus tard s’il le porterait…

La mission Gemini 4 est en cours (du 3 au 7 juin 1965), Edward White vient de terminer la première sortie spatiale américaine (3 juin), c’est au tour de l’équipe blanche de prendre le relais après l’équipe rouge dirigée par Christopher Kraft.

Le gilet confectionné par Marta est posé sur le dossier de sa chaise, personne ne l’a vu l’emporter dans la salle de contrôle. C’est sa première mission en tant que directeur de vol. Bon sang se dit-il, et il enfile le gilet. Il se souvient : « Je me sentais comme un matador revêtant son costume ».

Le contrôleur Dutch von Ehrenfried assis à sa gauche est le premier à le remarquer, il plonge la tête dans ses bras, puis faisant rouler sa chaise s’approche de Kranz et lui dit : « Fais gaffe mec, ils vont te mettre la camisole, et c’est moi qui prendrai ta place ! ».

Retournant à sa console, Eugene Kranz le voit passer un appel par l’intercom, puis il remarque que la caméra de la salle de contrôle se positionne sur lui et fait un zoom… Aussitôt il apparait sur tous les écrans y compris ceux de la presse, resplendissant dans son gilet blanc à 5 boutons. Un par un les contrôleurs l’interpellent : « Beau gilet, Flight ! »

Le jour suivant une photo de Kranz portant son gilet est publié dans les journaux américains… La légende Eugene Kranz est née…

Marta est ravie par la tournure des événements et fière que son mari porte son gilet. Elle promet de lui en faire un nouveau pour chacune des missions qu’il dirigera.

Plus tard, pour montrer sa gratitude à son équipe, lui rendre hommage, il demandera à Marta de lui en faire de plus splashy (tape à l’œil) qu’il revêtira uniquement pour célébrer la fin d’une mission, le splashdown. (Les missions américaines se terminaient alors par un amerrissage.)

Après le deuxième report du lancement de Gemini 9, Marta confectionne un gilet très différent des autres pour son mari, afin de lui porter chance… La troisième tentative fut la bonne, aussi lorsqu’il annonce « Mission Control is go for launch » il se lève et enfile son gilet. Un gilet qui ne ressemble en rien aux précédents, blancs unis, celui-ci est en soie avec des motifs argentés et dorés, un brocart !

William Schneider, (Gemini Project Manager) et Eugene Kranz, lors du vol Gemini 9.

Christopher Kraft lui lance une remarque ironique, mais le gilet fait son effet, Gemini 9 décolle sans problème…

La dernière création de Marta portée par Gene Kranz dans le cadre de ses fonctions de directeur de vol en chef, son gilet préféré, est réalisé en fils a effet métallisé, aux couleurs du drapeau américain, qui sont également les couleurs utilisées par les trois premiers directeurs de vol*. C’était pour l’amerrissage de la mission Apollo 17 !

La « splashy splashdown vest » d’Eugene Kranz lors de sa dernière mission comme directeur de vol : Apollo XVII.

En 2005, c’est la consécration suprême, le Musée National de l’Air et de l’Espace de Washington D.C. demande à Eugene Kranz de bien vouloir lui donner un gilet, mais pas n’importe lequel, celui qu’il portait lors de la mission Apollo 13… Ainsi que le pin’s de la mission ! On se souvient que l’accident d’Apollo XIII s’est produit alors que l’équipe blanche de Gene Kranz était en service, sur le point d’être relevée par l’équipe noire de Glynn Lunney.

Le gilet porté par Eugene Kranz lors de la mission Apollo XIII exposé au « National Air and Space Museum » qui possède la plus grande collection d’objets concernant l’aviation et la conquête de l’espace du monde.

* Christopher Kraft = rouge , John Hodge = bleu.

Apollo 16 et le traitement d’images

Pour Apollo 16 (puis pour Apollo 17) la NASA a passé un contrat d’un montant de 46 000 dollars (270 000 en dollars constants) avec une société californienne fondée par John Lowry (1932-2012), qui n’existait que depuis 3 mois, pour retravailler les images reçues depuis la Lune afin d’en améliorer la qualité.  

Ainsi les images d’ Apollo 16 arrivant à Houston étaient immédiatement retransmises à Image Transform, Inc. qui les traitait en temps réel, et les renvoyait aussitôt sur les écrans de la NASA, qui elle-même les retransmettait aux réseaux de télévision.

La nature de ce traitement informatique, resté secret pour protéger 9 brevets d’invention dont deux en instance d’homologation, a grandement amélioré la qualité des images.  Le délai d’affichage n’était augmenté que de 200 millisecondes.

Le but premier de l’opération était bien évidemment de permettre aux géologues de mieux conseiller les astronautes quant aux échantillons à collecter.  Ces derniers étaient ravis du résultat.

Apollo 16 –  Assemblage du Panorama: Mike Constantine

Et bien évidemment, les téléspectateurs en ont également bénéficié.

En 1988, John Lowry fonde la Lowry Digital Images qui s’est spécialisée dans la restauration de vieux films pour leur commercialisation en DVD…

En 2009, la NASA a fait appel à cette société pour restaurer les séquences vidéo de la mission Apollo 11, en très mauvais état.

Charles Duke et Mary Typhoïde

Lorsque le dimanche 16 avril 1972, Charles Duke s’apprête à s’installer dans le siège droit du module de commande d’Apollo 16, il découvre sur ce dernier, au niveau du repose tête une étiquette, avec une inscription en gros caractères : « Typhoid Mary’s seat ». (Siège de Mary Typhoïde)

L’étiquette qui mesure 7,5 cm x 1,27 cm, a été vendue aux enchères par Christie’s, le 9 mai 2001 pour 2350 dollars. Ici avec la lettre d’authenticité de Charles Duke.

D’après la lettre d’authenticité ci-dessus, il s’agirait d’un auto-collant, que Duke aurait récupéré après l’amerrissage, pour le garder en souvenir.

Cette blague est l’œuvre de Fred Haise, le commandant de réserve de la mission. On se souvient que deux ans auparavant, Haise avait fait partie de l’équipage d’Apollo 13, dont l’un des membres, Ken Mattingly, avait été remplacé 3 jours avant le lancement, car soupçonné d’avoir attrapé le virus de la rubéole (German measles – La rougeole se dit simplement measles) dont le délai d’incubation est d’une quinzaine de jours, et comme il n’avait jamais eu cette maladie, son sort fut rapidement scellé.

C’est Charles Duke, le pilote du module lunaire remplaçant, qui l’avait contracté par l’intermédiaire de l’un de ses fils, et qui avait, sans en avoir conscience, contaminé plusieurs personnes. Il faut savoir que la période de propagation du virus commence 7 à 10 jours avant l’apparition des sympômes physiques (éruption cutanée)… Au final Mattingly ne développa pas la maladie !

Charlie Duke avait également fait un séjour à l’hôpital en janvier 1972, pour une pneumonie d’origine bactérienne, deux mois avant le lancement d’Apollo 16, qui était prévu pour le 17 mars à l’origine .

Mary Typhoïde ne fait pas référence à la super-vilaine, ennemie de Daredevil, de l’univers Marvel Comics, puisqu’elle n’apparait qu’en 1988, 16 ans après Apollo 16.

Mary Typhoïde est le surnom de Mary Mallon (1869-1938), qui a occupé des emplois de cuisinière à New-York, et qui fut le premier cas authentifié aux Etats-Unis de porteur sain de la typhoïde. Au moins 51 cas de cette maladie, dont 3 décès, lui sont directement imputables, d’où son surnom.

Mary Mallon est née en Irlande du Nord à Cookstown (cela ne s’invente pas), elle sera confinée une deuxième et dernière fois à l’isolement 23 ans durant, et mourra en quarantaine d’une… pneumonie !

Depuis, aux Etats-Unis, on surnomme « Typhoid Mary » toute personne porteuse d’une maladie contagieuse, ou qui répand quelque chose d’indésirable, et plus généralement, qui porte la poisse.

En tout cas, cette petite blague de Fred Haise a bien fait rire Charles Duke et les personnes présentes.