Que reste t-il des pionniers de la NASA après la démission de Wernher von Braun ?

Dans l’édition du New York Times du 27 mai 1972, l’excellent journaliste spécialisé dans le spatial John Noble Wilford, évoquant la démission de Wernher von Braun le 26 mai, rappelle que :

Dr Wernher von Braun (SciencePhotoLibrary)

« beaucoup de ceux qui ont participé à l’effort spatial américain pendant les quinze années écoulées, ont quitté le programme. »

John Glenn, l’astronaute Mercury, premier américain en orbite autour de la Terre, est désormais un homme d’affaire avec des ambitions politiques.

L’astronaute d’Apollo 8 Frank Borman est le vice-président d’Eastern Airlines.

Neil Armstrong, l’astronaute d’Apollo 11 est professeur à l’université de Cincinnati.

L’ancien administrateur de la NASA James E. Webb qui a constitué « l’équipe Apollo » est avocat-conseil à Washington D.C..

Le Dr Thomas O. Paine, administrateur de la NASA au moment des premiers atterrissages sur la Lune, est vice président de la General Electric Corporation.

Le Dr Robert Gilruth, directeur du centre des vols spatiaux habités près de Houston vient de prendre sa retraite. Il s’occupait d’organiser les vols spatiaux, pendant que le Dr. Wernher von Braun construisait les fusées.

D’autres sont partis vers l’industrie ou sont proches de la retraite.

De l’équipe originelle des 118 ingénieurs allemands venus aux Etats-Unis avec Wernher von Braun, seuls 35 travaillent toujours au Centre Spatial Marshall (MSFC). Le Dr Eberhard Rees, un autre des concepteurs de la fusée V2 à Peenemünde, en est l’actuel directeur.

Wernher von Braun et l’essentiel de sa Rocket Team.

Six personnes de l’équipe originelle dont le Dr Kurt Debus, directeur du Centre Spatial Kennedy, travaillent toujours à la NASA dans d’autres centres. » Kurt Debus prendra sa retraite deux ans plus tard.

« Concernant les autres, 22 ont rejoint l’industrie, 12 sont décédés, 16 sont repartis en Europe, et 26 ont pris leur retraite. »

L’année 1972, avec la dernière mission sur la Lune en décembre, marque et confirme le « déclin » de la NASA, faute de subsides, après un âge d’or qui a duré de 1958 à 1969.

Le temps passe et les temps changent.

Le Congrès des Etats-Unis rend hommage à Wernher von Braun

Le mercredi 7 juin 1972, deux résolutions (Concurrent Résolution) du Sénat et de la Chambre des Représentants, sont présentées, pour rendre hommage à Wernher von Braun qui, le 26 mai, vient de démissionner de ses fonctions d’Administrateur Associé en charge de la planification à la NASA.

Le Sénateur Républicain de la Pennsylvanie Hugh Scott (1900-1994) a déposé la résolution S.R. 84, simultanément avec la H.R. 628 du Représentant Républicain de ce même état, John Irving Whalley (1902-1980).

« Exprimant la gratitude et les remerciements de la nation à l’occasion de la démission de Wernher von Braun de ses fonctions à la NASA. Le Comité de la Science et de l’Astronautique a été informé de ces résolutions. »

Le texte lu devant les sénateurs :

Considérant le fait que le développement du programme spatial national a amené la science et la technologie à des niveaux jamais atteints jusque là, que ce fut une source d’inspiration, de stimulation intellectuelle, et a développé un sens de l’aventure, non seulement pour le peuple des Etats-Unis, mais pour le monde entier ; et

Attendu que les réalisations du programme spatial sont en grande partie le résultat direct des contributions apportées au cours des années par le docteur Wernher von Braun, dont la stature comme génie spatial du XXe siècle et architecte en chef de la prochaine étape de l’exploration de l’espace, a déjà commencé à se muer en légende; et

Attendu que le départ du docteur von Braun de la NASA, effectif à la fin du mois de juin 1972, nous donne une excellente opportunité pour lui exprimer publiquement notre gratitude pour tout ce qu’il a fait pour le programme spatial et reconnaître également ses contributions dans les autres domaines liés à l’espace :

En conséquence, il est décidé par la présente résolution (parallèlement à celle de la Chambre des Représentants) ; Que le Congrès des États-Unis, de sa part, et au nom du peuple américain, exprime au docteur Wernher von Braun sa gratitude et sa reconnaissance, pour ses remarquables réalisations et contributions au programme spatial, et pour ce que ces dernières ont apporté et apporteront encore à l’humanité.

Une leçon inoubliable pour Wernher von Braun

Alors qu’il était étudiant à l’Institut de Technologie de Berlin-Charlottenburg (1930-1932) Wernher von Braun eut l’occasion de se confronter aux exigences et à la dextérité que requiert la fabrication industrielle. Ce faisant, il a reçu une leçon que jamais il n’oubliera.

Afin de lui inculquer les aspects techniques liés à l’usinage, à l’ajustage, au polissage etc. d’une pièce, il effectua un stage pratique de plusieurs semaines dans une usine produisant des locomotives. L’entreprise Borsig est alors l’une des plus grandes fabriques de machines du monde.

L’atelier était rempli de machines outils plus perfectionnées les unes que les autres.  Wernher von Braun est ravi, il se présente au contremaître, un homme bourru, moustachu, au regard sévère, qui porte un tablier très sale.

Lui tendant un bloc de fer de la taille d’un ballon de handball, il lui demande de le façonner en un cube parfait.

Chacun des angles doit être parfaitement droit, chaque face égale, et sans aucune aspérité, il doit être parfaitement poli. Puis, il lui désigne… l’étau qu’il devra utiliser…

C’est un peu contrarié que von Braun se dirige vers l’établi et se met au travail. Quelques jours plus tard il montre le résultat de ses efforts au contremaitre. Ce dernier mesure les angles, ils ne sont pas droits. Continuez à limer lui ordonne le contremaitre. Deux semaines plus tard von Braun soumet à nouveau le fruit de son travail. Toujours imparfait, il doit se remettre à la tâche. Orgueilleux von Braun redouble d’efforts, le bloc de métal a bien diminué de volume. Cinq semaines se sont écoulées…

« Je lui ai finalement remis le produit de mon effort absolu » se rappelle von Braun. « Le cube était un peu plus gros qu’une noix ». Regardant par-dessus ses lunettes poussiéreuses, le contremaitre mesure chaque angle, chaque côté. Le cœur de von Braun bat la chamade. Finalement la récompense suprême : « Gut ! Ja Gut ! C’est exactemant ce que j’attendais. »

A 18 ans, l’étudiant Wernher von Braun vient d’apprendre l’auto-discipline et la perfection dans ce genre de « petits travaux » manuels.