Avant de commencer un discours dans un état du « nord » des Etats-Unis, Wernher von Braun commençait quelquefois de la manière suivante : « Excusez-moi pour mon accent… Je viens… d’Alabama ».
Cette remarque provoquait immanquablement l’hilarité générale. Les personnes présentes, notant son accent allemand, s’attendant à ce qu’il dise : je suis originaire d’Allemagne !
Encore un bon mot qui lui permettait de séduire son auditoire !
Il y a un an, en évoquant le centième anniversaire de naissance de Wernher von Braun, nous avions constaté qu’il ne restait plus que six membres en vie, de la fabuleuse équipe créée à Peenemünde, The Rocket Team, qui a constitué le noyau du programme spatial américain. https://www.anecdotes-spatiales.com/les-derniers-peenemundiens/
Avec le décès de Rudolf « Rudi » Schlidt le 28 septembre 2012, et celui de Hans Fichtner le 21 octobre 2012, il n’en reste plus que quatre en vie :
Dieter Grau (100 ans)
Oscar Holderer (94 ans)
Fridtjof Speer (89 ans)
Georg von Tiesenhausen (99 ans)
Nous avions mentionné également l’architecte Heinz Hilten. Ce dernier est décédé le 1 mars dernier à l’âge de 104 ans, il était né 29 avril 1909. Son épouse Kaete née le 10 août 1910, est décédée le 30 septembre 2012, cinq mois avant lui, à l’âge de 102 ans.
Heinz Hilten avait coutume de dire : « Je n’étais pas un scientifique qui concevait les fusées qui vont dans l’espace, mais je concevais l’espace dans lequel ces scientifiques créaient les fusées. »
Courant mai 1944, quelques semaines après sa libération conditionnelle des geôles de la Gestapo, Wernher von Braun rejoint le général Dornberger à Blizna* en Pologne où a été transféré le centre de tests des fusées.
Wernher von Braun et Walter Dornberger
C’est également là que se trouve le centre d’entrainement des troupes pour le « maniement » et le lancement des missiles. Cette décision a été prise après le premier bombardement de Peenemünde intervenu dans la nuit du 17 au 18 août 1943.
Blizna se trouve alors hors de portée des bombardiers alliés. Wernher von Braun et Walter Dornberger sont là pour aider à résoudre le mystère des explosions en vol, en effet, lors de la dernière phase de leur vol parabolique, lors de la rentrée dans les couches plus denses de l’atmosphère 70 % des A4 produits en série ont la fâcheuse tendance à exploser*. Il faut absolument comprendre pourquoi.
Ils prennent donc un avion pour se rendre dans la zone d’impact des A4, à environ 250 km au nord-est de Blizna, non loin de la ville polonaise de Sarnaki près de laquelle sont entreposés les épaves et restes des A4 à fin d’expertise.
Quelques semaines auparavant, une quarantaine de soldats de l’équipe d’observation avaient été dépêchés sur place pour scruter le comportement des A4 (contrairement à Peenemünde il n’y avait pas de télémétrie) lors de cette si cruciale phase de vol, et récupérer toutes les pièces et fragments des engins disloqués.
Une liaison radio permet d’avertir les observateurs du lancement d’un missile et des indicateurs de temps placés sur les tours d’observation permettent de décompter très précisément les cinq minutes et quelques secondes que met la fusée pour parcourir la distance.
A exactement 5 minutes tout le monde prend ses jumelles et scrute le ciel.
Par une chaude fin d’après-midi, Wernher von Braun et Walter Dornberger déambulent non loin d’une tour d’observation, lorsqu’une fusée de détresse annonce le lancement d’une A4 depuis Blizna et son arrivée imminente.
Aux aguets, ils aperçoivent avec stupéfaction la fine traînée de condensation et le missile se diriger droit sur eux. Ils ont à peine le temps de se jeter à terre lorsque le souffle de la déflagration les projette en l’air.
Wernher von Braun se retrouve dans un fossé. La fusée s’est écrasée à quelque 90 mètres des deux hommes. Miraculeusement, ils s’en sortent indemnes !
Nullement découragés après avoir frôlés la mort, von Braun et Dornberger reviendront quelques jours plus tard observer une nouvelle salve de A4, cette fois postés dans une tranchée.
* Ces problèmes de désintégration en vol étaient dus à une isolation thermique et une rigidité insuffisante autour des réservoirs d’ergols. L’ajout d’une couche de fibre de verre, une suggestion proposée par le général Josef Rossmann, alors responsable de la section des fusées liquides au sein de l’armée allemande, a permis de baisser notablement le taux d’explosion. Un peu plus tard, les ingénieurs de Peenemünde préconiseront l’adjonction de manchons en acier autour de cette même zone, ce qui permettra d’améliorer la rigidité de la fusée, faisant passer le taux d’explosion en vol des fusées tirées de Blizna à moins de 1%.
* En novembre 1943 une partie des vols d’essais de la A4 est relocalisée à Blizna en Pologne, dans un centre d’essai et de formation SS créé le 26 juin 1940. (SS Truppenübungsplatz Heidelager- Zone d’entraînement militaire SS Heidelager), à 23 km de la ville de Dębica. Le premier des 204 lancements de V2 à Blizna a lieu le 5 novembre 1943. Le site, qui forme également les batteries de lancement du missile, reste opérationnel jusqu’en juillet 1944 lorsqu’il est évacué en raison de l’approche de l’armée rouge, qui investi les lieux le 6 août 1944.