Les spectacles pyrotechniques du Dr von Braun

Wernher von Braun affectionnait particulièrement les tests statiques des moteurs fusées pour impressionner les visiteurs de son Centre Spatial Marshall.

A l’origine, les visiteurs se rendaient dans des blockhaus sombres et lugubres, dans lesquels ils observaient le spectacle à travers d’épaisses vitres blindées et d’énormes murs qui les entouraient.

Bien que proches du banc d’essai, ils ne pouvaient sentir ni la chaleur ni les vibrations. Von Braun n’aimait pas ça du tout, la démonstration perdait tout son intérêt. Il suggéra alors de construire un bunker semi-ouvert, un peu plus loin.

Ce blockhaus prit le sobriquet de « Promontoire Heimburg » du nom du directeur du laboratoire d’essais, Karl Heimburg.

Certains, moins respectueux envers les VIP, l’appelaient  » l’étable « .

Le nouveau blockhaus pour visiteurs de marque, était équipé d’une meurtrière horizontale et était ouvert sur l’arrière. Lors des tests suivants, les personnalités ne furent pas seulement impressionnées, mais littéralement terrifiées.

Le bouche à oreille faisant son effet, on vit soudainement se presser au Marshall toutes sortes de politiciens venus de la Capitale, souhaitant assister à l’un des spectacles-de-feu-et-de-fumée de von Braun.

Postés à 1 800 mètres du banc d’essai, les visiteurs avaient l’occasion de vivre une expérience unique et inoubliable, le choc de leur vie, l’allumage des cinq moteurs F-1 du S-1C, le premier étage de la fusée Saturn V, qui génère une puissance monstrueuse de 160 millions de chevaux.

Le spectateur était aveuglé par l’éclat des flammes, sentait le sol trembler sous ses pieds, avait la cage thoracique oppressée par les vibrations, entendait un grondement sourd, puis un raz de marée de décibels, et pour finir, recevait le souffle et sa chaleur en plein visage.

Une expérience quasi mystique. Il fallait quelques minutes pour s’en remettre physiquement.

Dans l’arsenal des outils de communication dont disposait Wernher von Braun, celui-ci était de très loin le plus efficace.

Test du S-1C  avec 5 moteurs F-1.
Karl Heimburg, Directeur du Laboratoire d’Essais – Wernher von Braun, Directeur de la Division Développement et Opérations – Le Général John Medaris commandant de l’ABMA ( Army Ballistic Missile Agency) au Redstone Arsenal, devant la maquette d’un banc d’essai pour le S-1B (Premier étage de la fusée Saturn IB)
 

Ernst Stuhlinger, l’homme au doigt d’or

La mise en orbite du premier satellite américain, Explorer 1, le 31 janvier 1958, quatre mois après Spoutnik 1 et trois mois après Spoutnik 2 et Laïka, a comporté quelques aspects primitifs. Ainsi la mise à feu du deuxième étage est commandée manuellement en appuyant sur un bouton. L’allumage du troisième et quatrième étage se fait automatiquement avec un minuteur.

Utilisant une règle à calcul et un chronomètre, Ernst Stuhlinger a passé des heures et des heures à calculer et recalculer le timing des événements en fonction de l’accélération du premier étage du lanceur « Juno I » et du moment précis où il atteindrait l’apogée de sa trajectoire après l’extinction du moteur. Déclencher la mise à feu du deuxième étage une seconde trop tôt ou une seconde trop tard provoquerait un lamentable échec. La responsabilité qui incombe à Stuhlinger est immense.

57 personnes se trouvent dans le blockhaus, situé à cent mètres du pas de tir n°26 des installations de l’US Air Force au Cap Canaveral, dont : le général John Médaris, responsable de la Army Ballistic Missile Agency qui emploie la Rocket Team de Wernher von Braun, Jack Fröhlich, directeur du projet Explorer au JPL, Kurt Debus et Hans Grüne, responsables des opérations de lancement.

William Pickering le directeur du JPL, Wernher von Braun, (à son grand désespoir, il aurait préféré rester au cœur de l’action), et James Van Allen, ont été priés de se rendre à Washington D.C.

Ernst Stuhlinger, lui, se trouve dans le Hangar D à 5 km de là, qui abrite l’essentiel des équipes de contrôle et de suivi.  Les données télémétriques, transmises à partir des accéléromètres installés à bord du lanceur, ainsi que des radars et du système DOVAP* (Doppler Velocity and Position) sont directement adressées vers sa console.

Stuhlinger aidé par un ordinateur analogique de sa conception, doit prendre la bonne décision à la seconde près. Le moteur du premier étage a fonctionné  2 minutes et 37 secondes.

C’est exactement 4 minutes et 20 secondes après l’extinction de ce dernier que Ernst Stuhlinger appuie sur le bouton qui déclenche la mise à feu des 11 moteurs à poudre Sergeant du deuxième étage.

La mission est un succès, les Etats-Unis sont dans l’espace, et il gagne ainsi son surnom de  « L’homme au doigt d’or ».

Stuhlinger l'homme au doigt d'or

Les principaux responsables du « projet Explorer » à la  Army Ballistic Missile Agency du Redstone Arsenal, Alabama, examinent un prototype d’Explorer I quelques jours avant son lancement. De g à d, (assis) Dr Eberhard Rees (1908 – 1998), General John B. Medaris (1902 – 1990), Dr Wernher von Braun (1912 – 1977), (debout), William Mrazek (1911 – 1992), Dr Walter Haeussermann (1914 – 2010) et Dr Ernst Stuhlinger (1913 – 2008)

Irmgard, sa femme, qui avait récemment accouché, lui dit : « OK, j’ai eu mon petit satellite, maintenant tu as le tiens !»

Ernst Stuhlinger et son épouse Irmgard, Hermann Oberth et son épouse Mathilde « Tilly »,  Wernher von Braun et sa femme Maria. (Scan : Patrick Roger-Ravilly)

Système développé par les allemands pour le suivi des fusées A4 depuis le sol.

Wernher von Braun, encore quelques phrases

Wernher von Braun avait incontestablement le sens de la formule :

« J’ai appris à utiliser le mot impossible avec la plus extrême circonspection. »

« La fusée permettra à l’homme de s’affranchir de ses dernières chaînes, celles de la gravité qui le maintiennent sur cette planète. Elle lui ouvrira les portes du ciel. »

 » La plus grande retombée des vols dans l’espace est l’accroissement de nos connaissances. Dans cent ans, ce que nous avons appris, nous rapportera d’immenses et insoupçonnés dividendes. »

« Le développement d’une station spatiale est aussi inévitable que le lever du soleil ; l’Homme a déjà mis son nez dans l’espace et il y a peu de chance qu’il revienne en arrière. Atteindre les étoiles sera le travail de générations et de générations (au sens propre comme au sens figuré), et peu importe les progrès réalisés par chacune d’entre elles, il y aura toujours l’émotion due au fait de tenter quelque chose de nouveau. »

« Le résultat d’un seul test vaut mieux qu’un millier d’opinions d’experts. »

« Notre soleil n’est que l’une des 100 milliards d’étoiles de notre galaxie. Notre galaxie est l’une des milliards de galaxies qui peuplent notre univers. Il serait fortement présomptueux de penser que nous sommes les seuls êtres vivants dans toute cette immensité. »

« Je crois en l’immortalité de l’âme. La science a prouvé que rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Par conséquent la vie et l’âme ne font que se transformer et sont donc immortels. »

« Les programmes exécutés dans l’urgence échouent car ils sont basés sur le postulat qu’avec neuf femmes enceintes on peut avoir un bébé en un mois. » (Wernher von Braun a utilisé le terme « crash program »)

« Il n’y a qu’une chose que je puisse promettre au contribuable concernant le programme spatial, vos impôts iront très loin. »

« Pour ma confirmation on ne m’a pas offert une montre et le premier pantalon long, comme à la plupart des garçons Luthériens. J’ai eu un télescope. Ma mère a pensé que c’était un cadeau plus utile. »