Wernher von Braun est arrêté par la Gestapo

Dans la nuit du 21 au 22 mars 1944, entre deux et trois heures, la veille de son trente-deuxième anniversaire, Wernher von Braun est arrêté par trois hommes de la Gestapo (Geheime Staatspolizei – Police secrète d’État, qui était la police politique du Troisième Reich, fondée par Hermann Göring en 1933, qui passe sous le giron de la SS le 20 avril 1934) dans sa chambre à l’Inselhof, dans la petite station balnéaire de Zempin, à 19 km de Peenemünde.

Les agents le somment de les suivre, « pour témoigner dans une affaire importante ». Von Braun proteste, de quel droit vient-on le réveiller à une heure aussi matinale alors qu’il revient d’un voyage éreintant, il est rentré chez lui vers minuit.

Les sbires de la Gestapo ont des ordres précis, von Braun doit les accompagner sur le champ. Ils lui précisent pour le rassurer qu’il n’est pas en état d’arrestation mais placé sous protection. Même si la distinction entre les deux n’est pas très claire, von Braun se calme. Il s’habille, remplit une petite valise et les suit à l’extérieur où deux voitures attendent. Le trajet vers les bureaux de la Gestapo à Stettin (Gestapo-Leitstelle Stettin) dure environ deux heures.

Il se trouve qu’en 1919, le père de von Braun occupait le poste de chef de la police par intérim (Kommissarischer Polizeipräsident), à Stettin.

Klaus Riedel, Helmut Grottrüp, son frère Magnus von Braun, et Hannes Lührsen seront également mis en état d’arrestation et incarcérés dans les locaux de la Gestapo de Stettin.

Le 23 mars, le jour de l’anniversaire de von Braun, son chauffeur accompagné de quelques amis de Peenemünde lui emmènent des fleurs et des cadeaux. Ses geôliers lui feront passer les paquets, et il sera autorisé à partager les colis de nourriture avec ses compagnons. Chacun dans sa propre cellule, sans pouvoir communiquer.

Magnus von Braun est libéré quelques jours plus tard, il s’agit d’une méprise, une erreur, lui dira-t-on.

Wernher von Braun restera en prison deux semaines. Il ne connaitra les charges retenues contre lui qu’à la fin du mois, lorsqu’il est conduit dans une salle d’interrogatoire, face à trois hommes de la Gestapo en uniforme SS. Il est accusé de haute trahison pour avoir détourné les finances du Reich pour ses projets personnels de vol dans l’espace, de sabotage du programme A4, et de vouloir fuir en Angleterre en avion avec tous les plans de la A4.

Les policiers feront même allusion à la nouvelle de science-fiction intitulée « Lunetta », du nom d’une station spatiale, qu’il avait écrit à l’âge de 17 ans, et qui fut publiée dans le magazine du Lycée Hermann Lietz de Spiekeroog. Voilà qui prouve que la Gestapo avait compilé un dossier des plus complet…

La deuxième journée de l’interrogatoire sera heureusement interrompue par la venue du général Dornberger porteur d’un document signé par Hitler en personne, une remise en liberté conditionnelle pour une durée de trois mois.

Peu après, Riedel, Gröttrup et Lührsen sont libérés à leur tour.

Il s’agit de la seconde tentative des SS, après les accusations fantaisistes contre le colonel Leo Zanssen, d’intimider de hauts responsables du programme A4. Les quatre hommes seront libérés à titre provisoire pour une durée de trois mois grâce à l’intervention de Walter Dornberger auprès du Chef des Oberkommandos der Wehrmacht, le Generalfeldmarschall Wilhelm Keitel, de Johannes « Hans » Georg Klamroth (commandant des services de renseignements de l’armée de terre) et surtout d’Albert Speer.

La raison invoquée est simple : sans ces ingénieurs, le programme A4 ne saurait être mené à son terme.

Wernher von Braun reste dans le collimateur d’ Himmler. Il aura passé son 32ème anniversaire dans les geôles de la Gestapo !

Des excuses pour Walter Dornberger

Le 7 juillet 1943 à 11:30  le ministre du Reich, Albert Speer  téléphone à  Walter Dornberger, le directeur du programme des fusées de Peenemünde, pour lui annoncer que Hitler va enfin le recevoir, un rendez-vous qu’il attend depuis plus de 7 mois.

Speer lui enjoint d’apporter le film du premier vol réussi de la A4 survenu le 3 octobre 1942 ainsi que tout matériel pertinent (Maquette, photos…). Il souhaite que Walter Dornberger vienne avec le Dr Wernher von Braun, Directeur technique du centre et le Dr Ernst Steinhoff, responsable de la division « contrôle, guidage et télémétrie ». L’entrevue est prévue pour 14:00.
Le trio rassemble rapidement de quoi faire un exposé et embarque à bord d’un avion Henkel He 111 que Ernst Steinhoff pilote lui-même. Une demi-heure plus tard ils atterrissent à la « Wolfsschanze », (La Tanière du Loup) le quartier général d’Hitler, près de Rastenburg, en Prusse orientale d’où il dirige la campagne contre la Russie. Ils sont conduits au « Repère du Chasseur », un bâtiment de l’armée, destiné aux visiteurs. Là, ils apprennent que l’entrevue est retardée à 17:00 heures. Vers 16 heures on leur distribue des laissez-passer et ils sont emmenés dans une salle de projection où ils installent leur matériel.
Ce n’est qu’à 19 heures que des pas se font entendre et qu’en ouvrant la porte quelqu’un annonce : « Le Führer ! ».
C’est un Hitler amaigri, fatigué et pâle qui entre dans la pièce, loin de l’image qu’ils avaient gardé de lui lorsqu’ils étaient venus le 20 août 1941. Hitler est accompagné du Maréchal Wilhem Keitel, du général Alfred Jodl, du général Walter Buhle et du Reichsminister Albert Speer. Hitler souhaite brièvement la bienvenue à ses hôtes et s’assoit entre Speer et Keitel sur un siège du premier rang. Walter Dornberger rompu à ce genre d’exercice, il a tellement fait de discours devant le gratin de l’armée allemande, fait une brève introduction avant la projection du film intitulé « Langstrecken-Raketen » (Missiles à longue portée).
Le film est commenté par Wernher von Braun, alors âgé de 31 ans.
Les images sont époustouflantes, elles montrent l’ouverture des portes coulissantes hautes de 30 mètres du hall d’assemblage du complexe de tir et d’essai numéro 7 et la sortie de la tour mobile qui permet de préparer les fusées pour les tirs d’essais.
On y voit également des moteurs sur les bancs d’essais statiques, à pleine puissance, avec de nombreux gros plans. On assiste ensuite au chargement d’un missile sur le « Meillerwagen » une sorte de long camion, muni de huit roues, et de bras érecteurs hydrauliques, destiné à emmener l’engin en position horizontale jusqu’au pas de tir et à la redresser verticalement pour le lancement (sur le front).
Le film montre ensuite le premier lancement réussi de la fusée suivi d’un petit dessin animé qui permet de visualiser la trajectoire, la vitesse, l’apogée et la distance couverte par le premier missile balistique de l’Histoire. Le film se termine par une petite phrase : « Nous avons fini par y arriver ! » (Wir haben es doch geschafft)
Lorsque la lumière revient, la salle reste silencieuse, Hitler se redresse dans son siège, il semble manifestement très impressionné. Walter Dornberger continue l’exposé en  montrant des maquettes de bunkers, il explique que le toit de ces structures doit avoir une épaisseur de plus de 7 mètres afin de protéger efficacement les fusées avant leur lancement… Hitler est fasciné, il se lève pour voir ça de plus près…
A la fin de l’exposé, Hitler serre chaleureusement la main de Dornberger et murmure : « Je ne sais pas comment vous remercier, j’aurais dû vous écouter il y a quelques années, mais je ne croyais pas en vos travaux. Nous n’aurions jamais eu à faire cette guerre si nous avions eu ces fusées dès le départ. L’Europe, ni même le monde est assez vaste pour une telle arme… ».
En serrant la main de Wernher von Braun Hitler lui dit : « Professeur von Braun, je voudrais vous féliciter pour votre remarquable succès ! » Professeur von Braun ? Wernher von Braun a  l’air surpris, Speer et Dornberger sourient.
Quelques mois plus tôt, Speer avait suggéré à Hitler de donner le titre de Professeur à  von Braun. (En Allemagne le titre de professeur figure parmi les distinctions civiles les plus importantes, une distinction que seul le chef de l’état peut décerner, une prérogative qui remonte aux « Kaiser » !)
Alors que Hitler prend congé et se dirige vers la porte il se retourne, revient vers Walter Dornberger et lui dit : « Jusqu’à présent, dans ma vie, je ne dois des excuses qu’à deux personnes, la première c’est le Maréchal Von Brauchitsch. Je ne l’ai pas écouté lorsqu’il me répétait combien vos recherches étaient importantes. La deuxième, c’est vous, je n’ai jamais cru que vos travaux aboutiraient ! »
A compter de ce jour la production en série de la A4 redevient une priorité absolue ! Deux semaines plus tard, Wernher von Braun recevra son diplôme de Professeur, signé par Hitler.

Rückwärts zähle (Compte à rebours)

Le premier compte à rebours d’un lancement de fusée de l’histoire date de 1929, dans le film « Die Frau im Mond » (Une femme sur la lune) de Fritz Lang.

Le scénario du film avait été écrit par sa femme, Thea von Harbou et était basé sur les livres de Hermann Oberth et Willy Ley qui en furent également les consultants.

Fritz Lang avait imaginé ce compte à rebours pour accentuer le suspens et l’effet dramatique…

Le dernier film muet de Fritz Lang est un succès, Wernher von Braun avait 17 ans… Krafft Ehricke en avait 12, il verra le film une bonne dizaine de fois et dès lors n’aura qu’un objectif, travailler sur les fusées…Il sera un « Peenemünder », et aux Etats-Unis concevra l’étage Centaur, le premier à utiliser l’hydrogène et l’oxygène liquide…

« Die Frau Im Mond » sera une source d’inspiration pour toute une brillante génération de pionniers de la conquête de l’espace.
Frau Im Mond