Walter Thiel, un destin brisé

Parmi les 735 victimes du raid allié sur Peenemünde dans la nuit du 17 au 18 août 1943, principalement des travailleurs forcés polonais et russes, on décompte 178 techniciens allemands dont deux hauts responsables, Walter Thiel et Erich Walther.

Le Dr Walter Thiel en charge de la propulsion et directeur adjoint du centre de recherche, le bras droit de Wernher von Braun.

Et le Dr Erich Walther responsable du développement à l’usine de production.

Quelques uns des membres les plus éminents de la Rocket Team, une trentaine, résidaient dans un lotissement flambant neuf de Karlshagen, Karlshagen Siedlung, dont les maisons les plus confortables se situaient sur la Hindenburgstraße.

Walter Thiel habitait au numéro 56, avec sa femme Martha (Elfriede Martha née Strohwald le 4 décembre 1911) qu’il avait épousée à Berlin le 1er octobre 1935, sa fille Sigrid née le 14 mars 1936 (7 ans), et son fils Siegfried, né le 5 septembre 1941 (2 ans).

Ils avaient comme voisins Klaus Riedel et sa famille, qui résidaient au 54. Klaus Riedel qui se tuera dans un accident de voiture un an plus tard, le 4 août 1944, deux jours après son 37ème anniversaire.

Thiel and children
Une superbe photo de Walter Thiel et ses deux enfants, Sigrid 6 ans et Siegfried 1 an, devant leur maison de la rue Hindenburg durant l’été 1942.  Crédit : Archives de la famille Thiel (http://www.walterthiel.de/)
Thiel and Family summer 1942
La famille de Walter Thiel, durant l’été 1942, de retour de la plage de Karlshagen. (De d. à g.) Walter, Siegfried, Martha et Sigrid. La dame de gauche n’a pas été identifiée. Crédit : Archives de la famille Thiel (http://www.walterthiel.de/)

Lorsque se font entendre les premières déflagrations Klaus Riedel exhorte son voisin de se réfugier dans l’abri qui se trouve en face de la maison avec sa famille, hélas une bombe tombe directement sur la tranchée-abri, tuant ses occupants.

Des historiens dont Michael J. Neufeld affirment que la maison des Thiel ne fut que légèrement touchée alors que Karen Thiel présente une photo de la maison de son grand-oncle presque entièrement détruite, donc même si Walter Thiel était resté chez lui, l’issue aurait certainement été tout aussi tragique.

Thiel House
La maison des Thiel presque entièrement détruite, photo prise côté jardin. Crédit : Archives de la famille Thiel (http://www.walterthiel.de/)
Thiel grave
La sépulture originale de Walter Thiel et sa famille au Ehrenfriedhof (Cimetière d’Honneur) de Karlshagen. On notera que les prénoms de son épouse et de ses enfants sont mal orthographiés :  Dr. Ing. Walter Thiel  und  frau Marta geb. Strohwald sowie kinder Siegrid und Siegfrid.  Depuis, des dalles individuelles gravées (sans fautes) ont remplacé la stèle en forme de croix.    Crédit : Archives de la famille Thiel (http://www.walterthiel.de/)
 

Les leçons d’ Apollo : la démesure

Quelques chiffres et mises en perspective concernant le programme Apollo. Notamment la fusée Saturn V, le Module de Commande et de Service, et le « Crawler »…

Comme l’affirmait l’excellentissime journaliste Jacques Tiziou (17 mai 1939 – 9 février 2017) :  » ll n’est pas nécessaire d’assister à un lancement de Saturn V pour avoir le souffle coupé… Les chiffres suffisent. »

La Saturn V :

  • Le premier étage de la Saturn V avait une puissance de 120 millions de kilowatts, soit l’équivalent en puissance nominale de 22 centrales nucléaires comme celle de Gravelines, la plus puissante de France, ou 14,6 fois celle de Kashiwazaki-Kariwa au Japon, la plus grande du monde.
  • La consommation d’ergols était de 13 tonnes par seconde, soit l’équivalent de 325 réservoirs de voitures, type Volkswagen « Coccinelle ».
  • Ce premier étage était doté de 5 moteurs F1. Chaque moteur avait une masse de 8 400 kg (équivalente à un autobus), une hauteur de 5,70 mètres et consommait 2,7 tonnes d’ergols par seconde. 690 tonnes* de poussée au niveau de la mer par F1 soit 3 450 tonnes au total. (Le moteur de la A4 avait une poussée au niveau de la mer de 25 tonnes.)
  • La puissance de la turbopompe amenant les ergols dans la chambre de combustion était de 60 000 CV, soit la puissance de 5 TGV Atlantique ou de 2,5  TGV 150 (qui détient actuellement le record du monde de vitesse – en date du 3 avril 2007).
  • Les cinq moteurs avaient une puissance combinée de 160 000 000 CV, soit le double du potentiel hydro-électrique de l’Amérique du nord si à un moment donné toutes les eaux courantes passaient à travers une turbine. Puissance équivalente à celle de 333 avions de chasse F16 (moteurs en post combustion) ou encore 50 fois la poussée des 4 réacteurs de Concorde.
  • Lors du décollage il se créait une onde sismique enregistrée par des sismographes situés à New York, à quelque 1 500 km du pas de tir.
  • Pour une voiture consommant 10 litres aux 100 km (moyenne de consommation aux Etats-Unis – 7 litres aux 100 km en France) et sachant que la Saturn V contenait l’équivalent de 3 630 000 litres de carburant, un américain pourrait parcourir 36 300 000 km, ce qui représente 905 fois le tour de la Terre au niveau de l’équateur. Un français pourrait parcourir 51 850 000 km soit 1 296 fois le tour de la Terre au niveau de l’équateur…
  • Le temps cumulé de fonctionnement des trois étages de la Saturn V est en moyenne de 15 minutes, y compris le rallumage du moteur J2 du troisième étage pour l’injection en orbite lunaire. La Saturn V brûlait en 15 minutes l’équivalent de 3 630 000 litres de carburant. Sachant qu’en 1970 les français consommaient en moyenne 1 370 0000 litres d’essence à l’heure avec leurs voitures, on notera qu’en 15 minutes la Saturn V brûlait donc l’équivalent de ce que les français consommaient en 2 heures et 30 minutes avec leurs voitures particulières.
  • La flamme sortant des 5 moteurs était longue de 500 mètres, soit presque 5 fois la longueur de la fusée elle-même.
  • La Saturn V mettait en moyenne 60 secondes pour passer de 0 à la vitesse du son et 165 secondes pour atteindre l’altitude de 70 km.
  • Les 2ème et 3ème étages utilisaient de l’hydrogène et de l’oxygène liquides, la température de l’oxygène liquide est de -183 ° C, celle de l’hydrogène liquide de -253 ° C, et la température de combustion des deux liquides est de 3 500 °C.
  • Pendant les 3,5 secondes que dure l’allumage de la fusée d’éjection (Launch Escape Rocket) qui permet de dégager le module de commande en cas de problème avec la Saturn V, l’énergie libérée en CV équivaut à celle de 4 300 automobiles de type Volkswagen « Coccinelle ».
  • Le deuxième étage a, toutes proportions gardées, la même résistance qu’une coquille d’œuf.
  • Les cinq moteurs J-2 du deuxième étage développent une puissance équivalente à 95,5 milliards de watts, ce qui permettrait d’allumer 955 millions d’ampoules de 100 W.
  • Le ratio carburant / charge utile est de 50 pour 1.
  • L’ensemble de la fusée comprend 2 500 000 soudures. Si chaque fil était plus long de seulement  un millimètre, et si une goutte supplémentaire de soudure était utilisé pour chaque liaison, l’accroissement de masse serait égal à celui de la charge utile : 45 tonnes !
  • La Saturn V (et l’ensemble Apollo) mesure officiellement 111 mètres de haut… Pourtant la fusée s’affaisse légèrement sous son poids à vide, et diminue encore de 25 cm lorsque ses réservoirs sont remplis. Il a fallu en tenir compte pour les plates-formes de travail et pour l’accès des astronautes au vaisseau spatial. En vol, la Saturn 5 s’allonge pour retrouver une taille « normale », puis avec l’échauffement atteint 50 cm de plus qu’au départ !

Le CSM :

  • Le Module de Commande Apollo, le seul élément qui revient sur Terre ne représente que 0,2% de la masse totale de l’ensemble Apollo / Saturn V.
  • L’étanchéité des réservoirs cryogéniques du Module de Service Apollo est telle que si l’un d’eux était placé dans une pièce à 21° C et remplit de glace il faudrait 8 ans ½ pour qu’elle fonde (eau à 1° C) et 4 ans de plus pour que l’eau atteigne la même température que la pièce. Ou encore, si les chambres à air des pneus de voitures avaient les mêmes caractéristiques, il faudrait 32 400 000 ans avant qu’un pneu soit complètement à plat.
  • La précision d’une correction à mi-course doit être inférieure à un degré.
  • Le CM entre dans l’atmosphère à 39 000 km/h, mais doit amerrir à 30 km/h, cette réduction de vitesse se fait essentiellement par freinage atmosphérique. L’énergie thermique générée par ce freinage est de l’ordre de 86 000 kWh, ce qui correspond à la consommation d’électricité (1970) d’une ville comme Los Angeles pendant 104 secondes ou encore permettrait de soulever la population totale des Etats-Unis (1970) de 27 cm.
  • La température du bouclier thermique qui protège le vaisseau est de 2 700 ° C alors que celle qui règne à l’intérieur de la cabine est de l’ordre de 30 à 40 ° C.
  • Le module de commande Apollo contient 26 kilomètres de câbles.
  • Le CM a été conçu afin de pouvoir rester pressurisé pendant 15 minutes, même avec un trou de 7 mm dans la coque… 1 /4 d’heure c’est le temps nécessaire pour enfiler une combinaison.
  • L’ensemble des systèmes du Module de Commande ne consommait que 2 000 watts.
  • L’aluminium en nid d’abeille utilisé pour l’intérieur du CM est 40% plus résistant et 40% plus léger que l’aluminium ordinaire.

Le « Crawler » :

  • La Saturn V était transportée du VAB au pas de tir, distants de 5,8 km, sur une plate-forme disposée sur quatre boggies à deux chenilles chacun, le « crawler ». Il est mû par 16 moteurs électriques alimentés par 2 moteurs Diesel de 2 750 chevaux chacun. Chaque chenille est composée par 57 patins en acier, d’une masse unitaire de 907 kg. A elle seule, la masse de tous les patins est de 413 tonnes ; le « crawler » à vide pèse 2 700 tonnes.
  • Avec la plate forme de lancement, la tour de servitude, haute de 125 mètres et le lanceur, c’est une masse de 5 600 tonnes qui est en mouvement à la vitesse de 1,6 km/h.
  • Le « crawler » consomme 355 litres de gasoil au kilomètre.
  • Depuis leur mise en services les deux « crawler » ont parcouru plus de 5 500 km. (2012)
  • Des vérins hydrauliques assistés par ordinateur permettent de garder un plan parfaitement horizontal, pendant son trajet le crawler monte (ou descend) une pente à 5%. La tolérance de variation par rapport à la verticale n’est que d’un dixième de degré. En d’autre termes la pointe de la tour de sauvetage sur la Saturne V ne peut se déplacer latéralement de plus d’une quinzaine de centimètres.

Afin de bien comprendre la différence entre les capacités d’une fusée multi-étages comparées à celles d’une fusée mono étage :

Si une locomotive à vapeur pousse 3 wagons remplis de charbon et roule jusqu’à ce qu’elle ait tout consommé, elle ne parcourra que 800 km, si elle se débarrasse des wagons à mesure qu’ils se vident, elle pourra parcourir 1 440 km soit presque le double.

* On parle souvent pour les moteurs d’une poussée exprimée en tonnes. Ce n’est pas l’unité officielle mais cela permet de mieux appréhender sa capacité réelle dans le référentiel gravitationnel de la Terre. Un moteur d’une poussée de 100 tonnes correspond à sa capacité à compenser le poids d’une masse allant jusqu’à 100 tonnes. En Kilonewton, dans le référentiel gravitationnel de la Terre (9,81 m/s2), cela correspond à une poussée de 100 000 x 9.81 = 981 kN. Ce même moteur dans le référentiel gravitationnel de la Lune qui est beaucoup plus faible (1,63 m/s2) aurait une poussée de 600 tonnes.

Les méthodes expérimentales du Dr Hermann Kurzweg

Hermann Kurzweg

Le Dr Hermann Kurzweg (1908- 29 juin 2000), aérodynamicien de l’Université de Leipzig, dût faire preuve d’imagination et utiliser les moyens du bord pour ses tests aérodynamiques.

Avant qu’il ne disposât en 1939, à Peenemünde, de la première soufflerie supersonique du monde, d’une taille de 40cm x 40cm, qui permettait d’atteindre la vitesse de Mach 4,4.  

C’est ainsi que pour certaines études aérodynamiques, notamment pour déterminer la taille idéale des ailerons stabilisateurs, il confectionna une maquette en bois de pin de la fusée expérimentale A3, ainsi que trois jeux d’ailerons de tailles différentes.

Il testa les ailerons à tour de rôle, en tractant la maquette reliée par un filin à sa voiture, sur l’autoroute, à plus de 100 km/h.

Après plusieurs tests il fut en mesure de déterminer la forme et la taille adéquate de l’empennage !