Le poète russe Evguéni Evtouchenko assiste au lancement d’Apollo 16

38 millions de téléspectateurs ont regardé le décollage d’Apollo 16, et plus de 500 000 personnes ont assisté au lancement, dont le poète soviétique Evguéni Evtouchenko.

Parmi les hôtes de marque, il faut mentionner le vice président des Etats-Unis Spiro Agnew, le président du Costa Rica José Figueres Ferrer, le roi Hussein de Jordanie, les deux filles du Président Nixon, Tricia et Julie, et leurs maris (Julie a épousé David Eisenhower, petit-fils du 34ème Président des Etats-Unis), ainsi donc que le poète et militant soviétique Evguéni Evtouchenko.

Evguéni Evtouchenko, a incarné lors du « dégel » des années 1956-1963, l’aspiration à la liberté des soviétiques, après la terreur et les excès engendrés par le stalinisme. Il est le premier dignitaire soviétique à assister à un lancement Apollo.

L’ambassadeur de l’Union Soviétique à Washington, Anatoli Dobrynine avait accepté, puis décliné, une invitation pour assister au lancement d’Apollo 11 !

L’astronaute David Scott est chargé de faire visiter à l’illustre poète, le Centre Spatial Kennedy. Evguéni Evtouchenko rencontrera également le Dr Kurt Debus.

La visite nocturne du pas de tir, à moins de 200 mètres, la veille du lancement, avec la gigantesque Saturn V illuminée par des projecteurs est une expérience saisissante :  

« Une grande émotion… C’est vraiment un spectacle magnifique, le corps blanc et délicat de la fusée, soutenue par les bras patauds mais parfois tendres de la tour de lancement de couleur rouge. J’ai eu l’impression de voir un grand frère, prenant sa sœur dans les bras et la serrant très fort avant un long voyage, une longue route. C’était extraordinaire. Le silence, pas de brouhaha. Pas de journalistes. Rien. Le ciel, le sol, la fusée. C’était si beau. Cette impression d’infinité. J’avais apporté une bouteille de Champagne, mais je l’ai oubliée. Je n’en avais pas besoin pour être enivré. »

Après le lancement, il déclara :  « C’était magnifique, c’était de la poésie. »

Yevgeny Yevtushenko 15 avril 1972 pour Apollo 16
Evguéni Evtouchenko et Kurt Debus (Directeur du Centre Spatial Kennedy)
Samedi 15 avril 1972.

Evguéni Evtouchenko confia aux journalistes qu’il n’avait jamais assisté au lancement d’un vol habité soviétique. « Mais vous américains, vous faites naître en moi plus de curiosité pour le programme spatial. »

Apollo-Soyouz ou Soyouz-Apollo ?

L’organisation de ce rendez-vous spatial, entre américains et soviétiques, dans le cadre du programme Apollo-Soyouz, ne devait heurter aucune sensibilité, aucune susceptibilité.

Ainsi par exemple un système d’amarrage dit « androgyne » fut conçu, en lieu et place du système sonde/cône ou mâle/ femelle !

Apollo Soyouz symetrie

De même le badge du programme fut conçu par un artiste russe, sans droite ni gauche, ni haut ni bas, afin de pouvoir être porté indifféremment avec Apollo ou Soyouz à gauche ou en haut (en premier) selon la nationalité !

Portrait_of_ASTP
De g. à d. Donald Slayton, Thomas Stafford, Vance Brand, Alexeï Leonov, Valeri Koubassov.

Youri Gagarine, l’incarnation du sourire

Le Sourire de GagarineLe sourire radieux de Youri Gagarine a été maintes fois évoqué, mais c’est sans conteste l’immense poète russe Evguéni Evtouchenko qui en parle le mieux. Le texte ci-dessous est tiré de l’épilogue (page 12) de son roman « Les Baies Sauvages de Sibérie » traduit en français par Alain Préchac, éditions Plon, 1982.  L’épilogue (positionné avant le premier chapitre) a pour personnage principal un «cosmonaute» ami et élève de Gagarine, et le prologue (qui figure symboliquement à la fin de l’ouvrage) est consacré à Constantin Tsiolkovski.

« Il est peu de visages aussi humains que celui de Gagarine. Lui aussi, bien sûr, avait probablement fait l’objet d’un choix, mais on dira ce que l’on veut : aucune machine électronique, aucune épure top secret n’aurait pu le fabriquer artificiellement. C’était la Terre, la terre des hommes qui l’avait assemblé à l’aide de tous ses sourires, miraculeusement préservés dans un monde grimaçant… Le visage de Gagarine était le sourire de la Terre, le message de celle-ci aux espaces infinis. Quelle chance qu’on ne leur ait pas envoyé une de ces trognes à vous donner l’envie de vomir ! N’importe qui, à la place de Gagarine, aurait perdu la tête à force d’être traîné de pays en pays, de disparaître sous les monceaux de fleurs, d’avoir la poitrine transformée en arbre de Noël vivant avec toutes les décorations qu’on y suspendait, en guise de clochettes. Mais les sourires des Premiers ministres des présidents, des rois et des reines faisaient pâle figure auprès du sien car, si tous souriaient, lui-même était l’incarnation du sourire. »