Wernher von Braun fait une rencontre dans le train

Le 6 octobre 1945, après avoir été emmené secrètement aux États-Unis, Wernher von Braun voyage incognito, accompagné d’un officier de l’armée, le commandant James Hamill (1919-1984), qui a pour consigne de ne pas le lâcher d’une semelle.

C’est lui qui prit contact avec von Braun et son équipe après leur reddition et a brillamment organisé l’expédition d’une centaine de V2 récupérés à Nordhausen vers les Etats-Unis, dans le cadre du projet Overcast puis Paperclip.

Hamill et von Braun ont pris le train à l’Union Station de Washington à destination d’El Paso au Texas, qu’ils atteindront dans l’après-midi du 8 octobre.

Ils voyagent dans un mythique wagon-lit Pullman. Juste avant d’arriver en gare de Texarkana, (une ville coupée en deux, sur la frontière entre l’Arkansas et le Texas, d’où son nom), le savant allemand est abordé par un homme jovial, originaire du Texas, qui se présente à lui, et, remarquant son accent, lui demande son pays d’origine :

« Je suis suisse » lui répond Wernher von Braun.

« Ah je connais, je suis déjà allé en Suisse. Dans quel secteur travaillez-vous ? »

« Dans l’acier » répond von Braun au hasard.

« Moi également ! » s’écrie le texan. « Quelle est donc votre spécialité ? »

– « Les roulements à billes », invente von Braun, espérant ainsi mettre fin à la conversation. Extraordinaire coïncidence, il s’avère que l’homme travaille dans le secteur des roulements à bille… Fort heureusement, avant que la conversation ne devienne par trop embarrassante le train entre en gare de Texarkana ; c’est là que l’homme descend.

En lui serrant la main pour prendre congé, l’homme lui tape sur l’épaule et déclare : « Sans votre aide, vous les suisses, il est difficile de dire si nous aurions pu battre ces allemands ! »

Hamill et Von Braun 1945
colonel hamill

Un Ours dans la combinaison d’un Aigle

En juin 1970, deux cosmonautes, Andrian Nikolaïev et Vitali Sevastianov  battent le record de durée d’un vol spatial détenu depuis décembre 1965 par les astronautes Frank Borman et James Lovell. La mission Soyouz 9 a duré 17 jours et 58 minutes, celle de Gemini VII ; 13 jours et 18 heures.

Quatre mois plus tard ils effectuent une visite aux Etats-Unis qui se déroule du 18 au 28 octobre. Ils sont accueillis à l’aéroport de Washington par Neil Armstrong et Buzz Aldrin.

Aldrin les accompagne pendant toute la durée du séjour. Le 19 Ils déposent une gerbe sur les tombes de Virgil Grissom et Roger Chaffee au cimetière d’Arlington, ils rencontrent Wernher von Braun au Quartier Général de la NASA où ils donnent également une conférence de presse, le 20 à Houston ils se « crashent » à plusieurs reprises sur la Lune dans le simulateur Apollo, vont à l’Astrodome en compagnie de Neil Armstrong, du 24 au 26, en Californie, à Los Angeles, ils se rendent à Disneyland, au Jet Propulsion Laboratory, à San Francisco il se rendent notamment au Centre de Recherche Ames. Le 27 octobre à Seattle ils visitent les usines Boeing et font un vol à bord d’un 747, qui vient d’être mis en service…

Le 21 après-midi et 22 au matin la délégation soviétique visite le Centre Spatial Marshall à Huntsville en Alabama dont Eberhart Rees est alors le directeur, Wernher von Braun ayant été promu Administrateur Adjoint de la NASA en charge du Planning quelques mois auparavant. Au cours de cette visite, qu’ils sont les premiers soviétiques à effectuer, leurs hôtes vont leur réserver une surprise  de taille…

A ce moment-là l’astronaute Russell « Rusty » Schweickart qui a volé sur Apollo 9 est commandant de réserve de la première mission habité vers Skylab et est responsable du développement des outils et des procédures pour les sorties extra véhiculaires, qu’il met au point dans le NBS (Neutral Buoyancy Simulator) un bassin de 12 mètres de profondeur et 23 mètres de diamètre contenant quelques 5 millions de litres d’eau, qui permet de reproduire les effets de l’impesanteur, dans lequel est immergé une réplique de Skylab.

Lorsqu’il apprend que Nikolaïev, et Sevastianov qu’il a déjà rencontré lors d’un congrès de l’IAF, viennent visiter le Marshall alors qu’il sera présent, il lui vient une idée…

Il appelle un haut responsable de la NASA pour demander l’autorisation et en parle à Buzz Aldrin qui trouve l’idée excellente. Ainsi, lorsque l’on emmène les deux cosmonautes au Building 4705, leur expliquant le fonctionnement du NBS, Schweickart demande à brûle pourpoint : « Demain matin je dois y aller pour vérifier un truc, il y en a pour une petite heure, est-ce que l’un de vous veut venir avec moi ? »

Nikolaïev répond par la négative, mais Sevastianov accepte avec enthousiasme. Les techniciens du Marshall qui ne sont pas dans la confidence restent bouche bée.

Le soir même Schweickart lui explique le fonctionnement de la combinaison et les procédures. Inutile de préciser que Sevastianov en profite pour glaner le maximum d’informations.

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Ainsi le lendemain matin Sevastianov devient le premier soviétique à revêtir une combinaison spatiale américaine (le modèle A7L utilisé lors du programme Apollo, qui est un bijou de technologie).  La séance sous-marine dure environ une heure, au cours de laquelle Sevastianov dans le sas de sortie (AirLock) de la réplique de Skylab, récupère les magasins de pellicules du télescope extérieur de la station que lui tend Schweickart. Buzz Aldrin les accompagne en combinaison de plongée…

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Dans l’avion, puis dans la soirée, lors d’un dîner donné à Houston, Sevastianov demande à plusieurs reprises à Schweickart s’il s’est bien débrouillé. Ce dernier ne manque pas de le féliciter pour sa prestation !

Le lendemain les quotidiens titrent : « Première coopération spatiale américano-soviétique », et : « Un Ours dans la combinaison d’un Aigle » !  (L’image de l’ours est très utilisée pour représenter symboliquement la Russie et l’Union soviétique. Quant à l’aigle il est l’animal héraldique des Etats-Unis.)

L’histoire ne s’arrête pas là, car de retour en Union Soviétique, Sevastianov fera l’éloge de ce bassin qui permet de reproduire les effets de l’impesanteur et donc de répéter le déroulement complexe d’une sortie spatiale d’une manière très proche de la réalité.

Voici le lien vers un excellent article de Nicolas Pillet, webmaster du site Kosmonavtika, qui nous raconte la genèse de l’Hydrolaboratoire du centre d’entrainement des cosmonautes (TsPK) à la Cité des Etoiles, dont les dimensions sont identiques au bassin américain, et propose une photo de Sevastianov dans le NBS du Centre Spatial Marshall. http://www.kosmonavtika.com/basesorga/tspk/des/hydrolab/hydrolab.html

 Anecdote dans l’anecdote : La délégation soviétique refusera l’invitation du Centre Spatial Kennedy car elle savait qu’elle ne pourrait pas rendre la pareille, en effet Baïkonour est une installation top secrète…  A la fin de leur périple, interrogés par des journalistes pour savoir pourquoi ils ne sont pas allés au KSC, les soviétiques répondront qu’ils n’ont pas été invités !!!

Neil Armstrong fait une poignante confidence

Paul Bikle (1916-1991), le directeur du NASA Flight Research Center (rebaptisé Dryden Flight Research Center en 1976 puis Neil Armstrong Flight Research Center en 2014)  fut le supérieur de Neil Armstrong de 1959 à 1962 et ils devinrent amis. Ils partageaient notamment la passion pour le vol à voile, discipline dans laquelle Bikle avait battu des records mondiaux et obtenu de nombreuses récompenses prestigieuses. Il était d’ailleurs le président de la fédération américaine de vol à voile (Soaring Society of America).

En 1985 Paul Bikle livre son souvenir le plus poignant  concernant le premier Homme sur la Lune :

Après un dîner dans un restaurant de Washington D.C., nous étions sur le trottoir, dans le ciel la pleine Lune était éclatante… Neil lève la tête, contemple longuement la Lune et confie : « Tu sais, je n’arrive pas à réaliser que j’étais là-haut, même maintenant après toutes ces années ! »

Paul Bikle