Apollo 17 et la Nef des Fous

VBA

Si les trois premières conférences organisées par Robert Duncan Enzmann*, de l’Académie des Sciences de New York, dédiées à « La Planétologie et les Futures Missions Spatiales » (Planetology and Space Mission Planning)  se sont tenues dans des hôtels ou des centres de conférences, la quatrième édition a eu lieu sur le paquebot USS Statendam.

Le thème de ce symposium est dévolu à la problématique de l’après Apollo  et s’intitule « Voyage au-delà d’Apollo » .

La croisière au départ de New-York, qui se déroule du lundi 4 au mercredi 13 décembre, doit permettre aux illustres passagers d’assister au tout dernier lancement du programme Apollo, la mission Apollo 17, à seulement quelques encablures du Centre Spatial Kennedy.

Et de participer aux différents séminaires, dont les thèmes abordent des sujets aussi variés que la science, l’art, la communication, la cosmologie, les niches écologiques, l’énergie, la propulsion… Deux escales sont prévues, la première à St Thomas dans les îles vierges américaines, l’autre à San Juan capitale du Porto-Rico.

Parmi les passagers et intervenants : Norman Mailer (accompagné de sa cinquième épouse Carol Stevens), Robert Heinlein, Isaac Asimov, Ben Nova, Krafft Ehricke, Carl Sagan, Linda Sagan, Eric Burgess, Donald Davis, Werner Rambauske , Theodore Sturgeon, Fred Ordway, Frank Drake, Richard Sternbach, Richard Hoagland, Marvin Minsky, l’astronaute Edgar Mitchell… 

Sont annoncés également Arthur C. Clarke et Wernher von Braun, qui ne seront pas présents.

Cette quatrième conférence est un fiasco financier, puisque peu de personnes ne s’acquitteront du prix du billet qui s’échelonne entre 700 et 1 000 dollars.

L’origine du contentieux entre la compagnie maritime et les organisateurs du colloque ne sera jamais divulguée, mais le préjudice s’élève à  plus de 250 000 dollars (1972) soit 1 400 000 dollars actuels (2013). Ce fut également un fiasco scientifique puisque aucun compte rendu des conférences ne sera jamais publié, d’où le qualificatif de « Nef des fous » (Ship of Fools) que l’on donnera à cette « croisière scientifique » qui sonnera le glas de ce symposium annuel.

* Robert Enzmann est notamment connu pour son étude théorique sur un gigantesque vaisseau interstellaire (ou arche stellaire) qui permettrait de coloniser une planète dans un autre système solaire. (Enzmann Starship)

 

Isaac Asimov assiste au lancement d’ Apollo 17

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C’est à bord du paquebot SS Statendam qui croise à huit kilomètres au large des côtes du Cap Canaveral, que le scientifique et immense écrivain Isaac Asimov, assiste au décollage d’Apollo 17, son premier lancement « de visu »…

Peu après il publiera un recueil de 17 essais scientifiques intitulé « La Tragédie de la Lune ». Une partie du deuxième essai « Le Triomphe de la Lune » a été écrit alors qu’il était sur le Statendam.

C’est ainsi qu’il décrit le décollage :

« Apollo 17 s’est élevée dans les airs à la manière de la plus grosse luciole de la création. Elle a embrasé le ciel d’un horizon à l’autre, colorant l’océan en un gris orange, et le ciel à la manière d’un bol de cuivre renversé sur lequel les étoiles ont été effacées.
Elle s’est élevée lentement sur une gerbe de feu, et elle était déjà dans le ciel lorsque nous avons entendu quelque 40 secondes après l’allumage, le grondement des moteurs qui nous a sauvagement secoués
L’humanité faisait ainsi une tentative pour atteindre la Lune une sixième fois et déposer un onzième et douzième Homme sur sa surface. C’était le dernier envol de la série Apollo, le seul décollage de nuit, incroyablement spectaculaire et je suis ravi d’y avoir assisté. Cela prendra peut-être des décennies avant que l’on réitère une mission lunaire, après avoir créé une station spatiale, qui permettra de retourner sur la Lune plus facilement, plus économiquement, et de manière plus élaborée. « 

C’est son ami Richard Hoagland (1945 – ), qui n’avait pas encore basculé dans l’irrationnel et les théories conspirationnistes, qui avait convaincu Isaac Asimov, lequel préférait voyager par la pensée, de participer à cette croisière.

 

Wernher von Braun lance une bouteille à la mer

Le 23 mars 1972, jour de son soixantième anniversaire, Wernher von Braun, embarque sur un magnifique voilier de type sloop, baptisé Josephine III, dans le port de St Georges, capitale de la Grenade.

Il prend la mer en compagnie de Ian  Dodds et son épouse Ruth, ainsi que de Frank Williams *, marins émérites, proches collaborateurs de von Braun au Quartier Général de la NASA et amis de longue date.

C’est une idée de sa femme Maria, qui a loué le voilier en guise de cadeau d’anniversaire.

Elle ne participera pas à cette croisière car les quatre membres d’équipages doivent sinon être aguerris, du moins avoir une certaine expérience de la navigation. Von Braun est un « skipper » expérimenté, il fait de la voile depuis son plus jeune âge, mais n’a pas, toutefois, l’expérience de la haute mer.

Les quatre amis voguent dans les Caraïbes, au large de Trinidad et de la Guadeloupe, faisant du cabotage d’île en île, passant leurs journées entre parties de pêche et plongée sous-marine, dans les eaux turquoises des îles du Vent, et les soirées à boire du Champagne et du Rhum, et à manger langoustes et fruits de mer.

Lors d’une soirée bien arrosée, en l’occurrence celle du 30 mars 1972, von Braun décide d’envoyer un message urgent à sa secrétaire Julie Kertes, dans une bouteille de rhum que les plaisanciers viennent de vider.

Josephine III, le 30 mars 1972 après J-C.

Chère Julie,
Avons fait une dure traversée. Voile déchirée et plus que deux bouteilles de rhum en stock. Baleines à bâbord, requins à tribord, récifs droit devant. Soleil de plomb. Un membre d’équipage est en train de mourir du tétanos. Le scorbut sévit. Le skipper délire. Nous allons finir nos jours avec les deux bouteilles de rhum qui nous restent. Dérivons vers le soleil couchant.
                                                                                               Ruthie, Frank, Ian ,Wernher

PS : merci de répondre par retour de bouteille : est-ce que Nixon est toujours au pouvoir ?

Von braun rédige ensuite une seconde note :

A celui qui découvrira ce message :
Merci de faire suivre la présente par tout moyen à :
Madame Julie Kertes
NASA Hq., Code AAD
400 Maryland Avenue
Washington, D.C., USA

L’équipage du Joséphine III

Remarque : celui qui trouvera ce message aura 10 bouteilles de Tang en récompense. [NDT : La boisson officielle des astronautes, dans l’espace]

Von Braun enroule les deux messages et les insère dans la bouteille qu’il rebouche consciencieusement et jette par-dessus bord…

Rentré à Washington il ne manque pas d’évoquer ses mémorables vacances à sa secrétaire, photos à l’appui.

A aucun moment il ne lui fait part de l’épisode de la bouteille.
Or, à la mi juin, Julie Kertes reçoit parmi l’abondant courrier adressé à son patron, un colis à son nom, de la taille d’une boîte à chaussures. Le cachet de la poste et les timbres indiquent que le colis a été expédié de Bequia, la plus grande île de l’archipel des Petites Antilles. Le paquet contient bien évidemment la bouteille et les deux messages de Von Braun, ainsi qu’un petit mot du découvreur daté du 15 avril 1972, une personne ne manquant ni d’esprit ni d’humour !

Chère Madame Kertes,

La bouteille ci jointe a été retrouvée sur une île déserte alors que j’étais à la recherche de tortues.
Je n’ai pas trouvé de tortues, mais j’adore le Tang. Aucune trace du bateau ou de l’équipage, mais une légende locale raconte que l’équipage imbibé de rhum et souffrant du scorbut hante toujours les Caraïbes. Merci d’envoyer le Tang en recommandé à H. Richardson, St Vincent, Petite Martinique, Grenade, Indes Occidentales

Ps : Qui est ce Nixon ? Quel pays gouverne-t-il ?

Julie Kertes lui enverra une bouteille de Tang !

 * Ian Dodds était le Directeur du « Office of Long Range Planning » (bureau de la planification à long terme) au quartier général de la NASA et Frank Williams était Directeur des programmes spéciaux au sein du « Office of Applications » au QG de la NASA également !