Une cacahuète sur la Lune !

Chaque fois qu’il en avait l’occasion Alan Shepard allait manger au « Chez Jay » sur Ocean Boulevard, à Santa Monica, un bar-restaurant tenu par Jay « Peanuts » Fiondella, un acteur qui, de 1958 à 2000, a joué de petits rôles dans une trentaine de films (dont l’Arme Fatale 2, 3 et 4) et de séries télévisées (Perry Mason, Mission Impossible, Laredo, Batman, CHiPs…).

Jusqu’en 1980 il utilise le « pseudonyme » de… Jay Della. C’était également un aéronaute passionné et un « chasseur de trésor » émérite.

Son surnom de « Peanuts » (cacahuète) lui vient du fait que les cacahuètes grillées sont gratuites et à volonté dans son établissement, elles sont d’ailleurs devenues la marque de fabrique de ce lieu. Les coques jonchaient le sol, il y en avait partout, jusque dans les toilettes.

Les plus grandes stars de Hollywood y venaient régulièrement, Marlon Brando, Michael Caine, Richard Burton, Warren Beatty, Frank Sinatra, Clint Eastwood, …les politiques également, dont le plus fidèle, Henry Kissinger, car non seulement la cuisine est excellente (le fameux gratin de pommes de terre aux bananes), mais il avait interdit les appareils photos et les autographes.

Un soir, la veille du départ d’Alan Shepard pour le Cap Canaveral, les deux amis discutent et Shepard confie à Fiondella qu’il va emmener une balle de golf et un club sur la Lune [cf anecdote « Swing sur la Lune ; In Golf we Trust« .

Fixant le panier de cacahuètes devant eux, Fiondella demande : « Prends une de mes cacahuètes et emmène là sur la Lune avec toi. J’aimerais avoir la première « Astro-Nut » (nut=noix) de l’histoire. Chiche, Shepard en prend une et la met dans sa poche.

Quelques mois plus tard l’astronaute appelle son ami au téléphone et lui annonce : « J’ai une noix pour toi, la seule Arachis hypogaea a avoir fait un voyage sur la Lune».

Alan Shepard lui amènera la précieuse arachide le 29 mars 1971, avec un certificat d’authenticité écrit de sa main, attestant que la cacahuète a été sur la Lune lors de la mission Apollo 14. Le retour de la cacahuète donna lieu à une fête monumentale !

Fiondella la gardait toujours sur lui pour la montrer car tout le monde voulait la voir, jusqu’au jour où, l’ayant posée sur le bar, Steve McQueen fit mine de la manger…

A compter de cette frayeur, il conserva sa précieuse cacahuète dans un coffre-fort à la banque !

Il avait un moment envisagé de la faire plaquer or afin de la porter en pendentif.

Jay Fiondella en 1984 dans son bar-restaurant – A noter : les coquilles de cacahuètes par terre ! 

Le truculent Jay Fiondella est décédé le 6 novembre 2008, à l’âge de 82 ans.

Il avait appelé son bar restaurant « Chez Jay », pas seulement en raison de son propre prénom, mais également en hommage au film musical de George Sidney « La Blonde ou la Rousse » (Pal Joey) dans lequel Frank Sinatra, qui deviendra son ami,  joue le rôle de Joey Evans, un chanteur et coureur de jupon notoire, qui avec l’aide financière d’une ancienne amie strip-teaseuse, Vera, (jouée par Rita Hayworth) devenue la respectée Mrs Simpson après un riche mariage, ouvre un cabaret : le « Chez Joey »…

Lee Marvin, qui avait reçu l’oscar du meilleur acteur en 1966, pour le film « Cat Ballou », était allé fêter ça « Chez Jay » et avait finit tellement éméché, qu’il avait oublié sa statuette dans les toilettes !

Swing sur la Lune (« In Golf we trust »)

Le 6 février 1971, à la fin de la deuxième et dernière EVA (Activité Extra Véhiculaire) de la mission Apollo 14, à 135:08:17, Alan Shepard, dont la passion est le golf, (c’est un bon joueur, de handicap 15), se retourne vers la caméra, et annonce :

« Houston,si vous regardez bien vous devriez reconnaître ce que je tiens dans la main, le manche du collecteur d’échantillon d’urgence, il se trouve qu’il y a un fer numéro 6 à son extrémité. Dans ma main gauche j’ai une petite balle blanche, familière à des millions d’américains. Je laisse tomber la balle sur le sol. Malheureusement la combinaison est trop rigide, je ne peux pas exécuter le mouvement à deux mains, je vais quand même essayer de faire un « sand trap shot » ! (coup qui permet de sortir du bunker, les bunkers sont des obstacle creux remplis de sable qui se trouvent autour des fairways et des greens, que l’on appelle également « pièges de sable »)

Le premier swing est un ratage complet, il ne soulève que de la poussière, une « gratte », dans le jargon des golfeurs.

Au deuxième swing, il fait un « top », c’est-à-dire qu’il touche le haut de la balle qu’il envoie à quelques dizaines de centimètres vers la droite. Le CapCom Fred Haise lance une boutade : « D’ici on aurait dit un slice ! » sauf que la balle n’a pas décollé, et Haise sait pertinemment qu’en l’absence d’atmosphère une balle ne peut « slicer » qu’au sol.

Imperturbable Alan Shepard effectue un troisième swing, cette fois l’impact est franc, la balle décolle et parcoure environ 200 mètres.

Alan Shepard « droppe » sa deuxième balle, se met en position et frappe, pour son dernier coup il envoie la balle de golf  à environ 400 mètres, crâneur il s’exclame « A des kilomètres, des kilomètres et des kilomètres » (« Miles and miles and miles »)

Une œuvre d’art « reconstituant » fidèlement l’événement.

Une image composite réalisée à partir du film, publiée pour la première fois dans le livre signé Alan Shepard et Donald Slayton, « Moonshot », dont la traduction française est « Ils voulaient la Lune »

Une légende tenace raconte que Shepard aurait frauduleusement emporté ce fer (Wilson Staff Dyna-Power) numéro 6 modifié, pour qu’il s’emboite sur le manche du collecteur, c’est totalement faux. Alan Shepard en a parlé au responsable de la planification de la mission, qui a immédiatement adhéré.

Quant au marché conclu avec les responsables de la NASA, beaucoup plus réticents (au départ Robert Gilruth était contre), il était le suivant, si les objectifs de la mission sont réalisés il pourra prendre quelques minutes pour frapper ses deux balles de golf, dans le cas contraire il s’abstiendra.

Shepard s’était entrainé sur son temps libre au swing en combinaison spatiale car il avait peur que ce mouvement le déséquilibre et le fasse tomber. Le fer avait été modifié par son ami et golfeur professionnel Jack Harden.

Le manche télescopique du collecteur d’échantillon et le fer 6 ont été ramenés sur Terre, ils sont exposés au musée de l’US Golf Association à Far Hills dans le New Jersey. Alan Shepard voulait récupérer les deux balles, mais il n’avait plus assez de temps, ni d’oxygène.

Certains esprits chagrins ont fortement critiqué cette… frivolité. Dépenser autant d’argent pour jouer au golf sur la Lune… Rappelons simplement que les astronautes ont travaillé plus de 9 heures sur la Lune en deux sorties,  la partie de golf a duré une minute (de 135:08:17 à 135:09:20 soit exactement 1 minute et 3 secondes ! )

L’idée de jouer au golf sur la Lune lui vient de son ami, le comédien Bob Hope, qui avait une passion légendaire pour le golf, à tel point qu’il se baladait souvent avec un club dans la main en guise de canne !

Les astronautes reçurent un télégramme plein d’humour du prestigieux Royal and Ancient Golf Club de St Andrews en Ecosse, un des plus anciens clubs de golf au monde, qui a édicté les règles modernes du golf et qui est réputé pour être très à cheval sur l’étiquette : « Nos plus chaleureuses félicitations pour votre exploit et votre retour sain et sauf sur Terre. Veuillez-vous référer aux règles du Golf, section étiquette, paragraphe 6 – Même s’il n’y a pas de râteau à proximité du bunker, vous devez toujours au moment de le quitter niveler le sable et effacer vos traces de club et de pas. »  (Il y a une double astuce, d’abord il faut comprendre que le bunker c’est la Lune toute entière, on n’y trouve que du « sable », et, quant à tout remettre en état pour le prochain joueur, est-ce vraiment utile ?)

Quelques mois plus tard, Alan Shepard fit la couverture de Golf Magazine avec ce titre : « Golf’s Man on the Moon »

 Alan B. Shepard, le premier américain dans l’espace, est à ce jour le seul Homme à avoir joué au golf sur la Lune. Il devrait le rester quelques années encore !

Peu avant sa disparition, le 21 juillet 1998 à l’âge de 74 ans, il déclarait : « On se souviendra toujours de moi pour avoir joué au golf sur la Lune ! »

Edgar Mitchell, le premier « caddie » sur la lune, tenant le club d’Alan Shepard

Anecdote dans l’anecdote : le site NASA Facts affirme faussement (9ème paragraphe / colonne de gauche) que Shepard s’est servi d’un fer numéro 8 et qu’il a frappé 3 balles !!! [Alan Shepard is the only person to hit a golf ball on the Moon. During the Apollo 14 mission he fitted an 8 iron head to the handle of a lunar sample collection device and launched three golf balls. They are still there!]

Alan Shepard à trois semaines près

Dans la soirée du 19 janvier 1961, lorsque Alan Shepard dit droit dans les yeux de son épouse : « Tu prends dans tes bras, l’homme qui sera le premier à aller dans l’espace », Louise Shepard s’exclame « Qui a laissé entrer un russe ici ? »

Cette boutade s’avèrera hélas prophétique, car trois mois plus tard, Youri Gagarine est le premier Homme dans l’espace, et Alan Shepard ne sera que le deuxième… à seulement 23 jours près !

Shepard est furax, et il le fait savoir, en privé comme en public: « On les tenait, on était à un cheveu, et on a laissé passer notre chance ».

Le vol suborbital du Chimpanzé Ham (Mercury Redstone 2 du 31 janvier 1961) ayant connu quelques problèmes, Wernher von Braun avait préféré jouer la sécurité, et avait ordonné un autre vol d’essai.

Ce vol, qui a eu lieu le 24 mars 1961, a le nom de code de MR-BD. Les membres du Space Task Group ont donné à cette mission la dénomination BD (Booster Development) pour marquer leur désapprobation. Ils voulaient faire passer le message que leur capsule était fin prête, contrairement au lanceur !

Les astronautes et les membres du STG, Robert Gilruth et Christopher Kraft en tête, ont vainement tenté de faire pression sur von Braun.

Quant aux dirigeants de la NASA, plutôt fébriles, ils ont également opté pour la prudence. Kraft fera ce commentaire sardonique : «  Nous étions freinés de l’extérieur par des médecins timorés, et maintenant nous avons des allemands, tout aussi poltrons qui sabotent notre programme de l’intérieur ».

MR-BD ayant été un succès, il était facile de critiquer von Braun pour son manque de prise de risque !

Mais c’est à lui seul, qu’aurait incombé la responsabilité de l’échec, en cas de défaillance de la Redstone.

Tout le monde se rappelle du fiasco MR-1 – (cf anecdote intitulée « Un nouveau record »).

Time magazine avait alors ridiculisé von Braun, pour avoir minimisé l’échec de ce lancement.).

Pourtant, la fiabilité du lanceur Redstone, était alors estimée à 88%, et la survie de l’astronaute, grâce au système d’éjection de la capsule (Launch Escape Tower), à 98%.