Apollo 8 ou le premier lever de Terre observé par des Hommes

Au moment où les astronautes d’ Apollo 8 terminent leur troisième orbite autour de la Lune, ils volent à reculons, tête en bas par rapport à la surface lunaire.

Le commandant Frank Borman manœuvre pour circulariser leur orbite à une altitude voisine de 60 miles nautiques (111 km), puis effectue une rotation du vaisseau spatial, changeant leur point de vue, tête en haut…

Le vaisseau spatial vole désormais vers l’avant. Les astronautes entament leur quatrième révolution autour de la Lune.

Les astronautes sont alors dans la lumière du soleil, et William Anders continue de prendre des photos de la surface lunaire, conformément au plan de vol.

Nous sommes le 24 décembre 1968 à 16 h 38 UTC lorsque soudain William Anders s’exclame  : « Oh mon Dieu. Regardez ce spectacle là-bas ! C’est la Terre qui se lève. Wouah comme c’est beau !» (A exactement 075:47:30 Mission Elapsed Time – Temps écoulé depuis le décollage)

William Anders regardait par le hublot n°4 lorsqu’il vit le lever de Terre.

A ce moment son appareil photo Hasselblad 500 EL est chargé avec un magasin contenant une pellicule noir et blanc… Voici la première photo d’un lever de Terre observé par un être humain…mais monochrome.

Réalisant qu’une photo couleur serait plus appropriée, il demande à ses coéquipiers de lui passer un magasin couleur, ce que James Lovell s’empresse de faire.

Ce faisant, le spectacle n’est plus visible depuis le hublot 4 mais depuis le 2.

Les hublots latéraux 1 et 5 ainsi que le hublot de l’écoutille furent inutilisables en raison du dégazage d’une substance à base d’huiles de silicone, utilisée pour assurer l’étanchéité des trois couches de verre, donnant le même résultat qu’une vitre recouverte de buée.

William Anders se déplace alors vers le numéro 2 et prend deux photos. La première a été prise à exactement 075:48:39 sur une pellicule de type Ektachrome fabriquée par Kodak et la deuxième à 075:49:09 après une modification du temps d’exposition.

A ce moment là William Anders ne peut pas savoir que cette photo , AS8-14-2383HR, qui sera intitulée « Lever de Terre » (Earthrise) sera listée par le magazine Life parmi les 100 photographies qui ont changé le monde (avec deux autres photos NASA*), qui ont constitué un tournant décisif dans notre expérience humaine, et par le magazine Time parmi les plus importantes images du XX e siècle.

Richard Underwood (1927-2011), responsable du service photographique de la NASA, en charge du développement des pellicules photos et du tirage sur papier, résume très bien la portée de ce cliché :  » En définitive, l’équivalent de 19 cents de pellicule est devenu la partie la plus importante d’un projet de plusieurs milliards de dollars. Je pense que c’est plutôt chouette. »

Le photographe Galen Rowell (1940-2002) a qualifié ce cliché comme étant « la photo environnementale la plus influente jamais prise. »

Le contraste saisissant entre la grisaille de la Lune, le noir de l’espace, et les couleurs de notre planète, comme on ne l’avait encore jamais vue, a profondément marqué les esprits.

Cette photo est représentée la plupart du temps à l’horizontale (horizon de droite à gauche) alors que William Anders a précisé que de son point de vue, la scène était à la verticale… Ainsi…

Dans son autobiographie Frank Borman prétend que c’est lui qui a pris cette photo… En réalité il confond avec les photos qu’il a prise lors de la septième orbite lunaire… Photos AS08-14-2389 à 2396. D’ailleurs à 75:47:37 Borman plaisante en disant à l’adresse d’Anders : « Non ne prend pas cette photo, elle n’est pas programmée ! ».

Cette photo resta accrochée quelque temps dans le Bureau Ovale de la Maison-Blanche, jusqu’à ce que Nixon la fasse enlever.

La société suédoise Hasselblad voulut offrir à William Anders son dernier modèle d’appareil photo, mais les astronautes ayant l’interdiction d’accepter des cadeaux, il déclina poliment l’offre.

J’utilise cette photo comme fond d’écran depuis près de 20 ans… Et je ne m’en lasse pas !

* Il s’agit de la photo de Buzz Aldrin sur la Lune prise par Neil Armstrong lors de la mission Apollo 11, et de celle prise avec le télescope spatial Hubble intitulée « les piliers de la création »…

Frank Borman annonce une bonne nouvelle à Chuck Yeager

Lorsqu’au printemps 1962, Donald Slayton téléphone à Frank Borman, alors pilote d’essai à Edwards, pour lui annoncer qu’il est accepté dans le corps des astronautes, celui-ci lève le poing en signe de triomphe.

Il s’empresse de rentrer chez lui, pour annoncer la bonne nouvelle à sa femme Susan, qui le félicite aussitôt en le serrant très fort dans ses bras.

La prochaine démarche, certainement la plus délicate, est d’en faire part à son responsable, le légendaire Charles « Chuck » Yeager alors commandant de la base d’Edwards.

Lorsque Yeager le fait entrer dans son bureau, Borman lui annonce : « Colonel je viens d’apprendre une bonne nouvelle. »

« De quoi s’agit-il ? » rétorque Yeager en levant nonchalamment la tête.

« Je viens juste d’être sélectionné par la NASA pour rejoindre le corps des astronautes. »

Yeager opine du chef, reste silencieux quelque temps puis réplique « Borman, vous pouvez faire une croix sur votre carrière au sein de l’Air Force. » Sur ce, il baisse la tête et retourne à ses papiers.

L’entrevue s’est terminée ainsi.

Apollo 8 et la relativité générale

Lors de son tour d’Europe, avec sa femme et ses deux fils, du 2 au 21 février 1969, Frank Borman répétait souvent pour amuser la galerie, que ses coéquipiers d’ Apollo 8 et lui-même, méritaient des heures supplémentaires parce qu’ils avaient vieilli environ 300 microsecondes de plus que les habitants sur Terre.

Il se trouve que la NASA avait demandé au physicien Carroll Alley* (1927-2016) de l’Université du Maryland de calculer les phénomènes liés aux équations de la relativité générale formulées par Albert Einstein (1879-1955), auxquels seront soumis les astronautes d’ Apollo 8. Cela vaut bien sûr, pour toutes les missions Apollo vers la Lune.

En effet, une horloge atomique qui s’éloigne de la Terre (de tout corps massif) prend de l’avance par rapport à celle qui reste sur la surface, du fait de la diminution du champ de gravitation; le temps s’écoule plus vite.

La relativité prédit également qu’une horloge en mouvement ralentit par rapport à celle restée « immobile » au sol, impliquant cette fois que le temps s’écoule plus lentement (Paradoxe des jumeaux). Il convient donc de tenir compte de ces deux effets inverses !

Le Dr Carroll Alley en a ainsi conclu que la vitesse d’ Apollo 8 est le facteur prédominant tant que le vaisseau se trouve à moins de 6 500 km de la Terre, jusqu’à cette distance le temps « ralenti », et les astronautes vieillissent moins rapidement que s’ils étaient restés sur Terre.

Passé ces 6 500 km, les effets de la gravitation diminuent significativement et dès lors le temps à bord du vaisseau Apollo 8 s’écoule plus rapidement que sur Terre. La différence entre les deux donne + 300 microsecondes.

En réalité les calculs d’Alley ne sont valables que pour William Anders qui effectuait là son premier vol, car en ce qui concerne Frank Borman et James Lovell il faut tenir compte du fait qu’ils ont effectué d’autres vols spatiaux, en orbite autour de la Terre.

Ainsi les mêmes Borman et Lovell  à bord de Gemini VII ont passé deux semaines dans l’espace (du 4 au 18 décembre 1965), pendant lesquels le facteur prépondérant a bien évidemment été la vitesse, au cours de ce vol ils ont donc vieilli moins vite que les personnes sur Terre, de 400 microsecondes. James Lovell a également commandé la mission Gemini XII (du 11 au 15 novembre 1966) pendant laquelle il a rajeuni d’encore quelque 100 microsecondes.

En résumé, pour revenir à la boutade de Frank Borman, si William Anders a bien fait 300 microsecondes de travail supplémentaire, James Lovell et Frank Borman ont travaillé respectivement 200 et 100 microsecondes de moins que ce qui a été comptabilisé sur Terre.

Ils ont donc été trop payés par rapport à leur temps de travail effectif sur l’ensemble de leurs vols spatiaux !

* Il est le scientifique à l’origine des rétro réflecteurs déposés sur la Lune par les missions Apollo 11, 14 et 15, et toujours utilisés à ce jour.

Anecdote dans l’anecdote : Le système GPS (Global Positioning System) est l’application la plus connue de la relativité d’Einstein. Le GPS utilise une constellation de 32 satellites qui orbitent autour de la Terre à 20 200 kilomètres d’altitude, à une vitesse d’environ 14 000 km/h, pour calculer des centaines de millions de positions au sol chaque jour. Sachant qu’à cette altitude, la gravité terrestre est 17 fois moindre qu’au niveau du sol, au bout de 24 heures, une horloge atomique située à bord d’un satellite GPS aura 45 microsecondes d’avance sur la même horloge atomique au sol. La vitesse fait qu’une horloge en mouvement à 14 000 km/h ralentit légèrement, d’environ 7 microsecondes par jour. Il faut donc tenir compte de ces deux effets pour synchroniser les horloges à bord des satellites avec celles au sol pour corriger cette différence, soit + 45 microsecondes – 7 microsecondes = 38 microsecondes. Une erreur de synchronisation de 38 μs équivaut à une erreur de 10 km !