Les astronautes d’ Apollo 8 lisent des versets de la Genèse

Six semaines avant la mission Apollo 8, Julian Sheer (1926-2001), le responsable des relations publiques de la NASA, s’inquiète auprès de Frank Borman de savoir ce que les astronautes ont prévu de dire lors de leur seconde retransmission télévisée autour de la Lune, la veille de Noël.

Les responsables de la NASA ont bien conscience que la mission Apollo 8 sera suivie comme nulle autre dans l’Histoire… Leur conseil avisé aux astronautes : « Dites quelque chose d’approprié. »

Pour la première fois, trois américains, trois Hommes, vont se trouver en orbite autour de la Lune, pendant les fêtes de Noël qui plus est.

Que vont-ils bien pouvoir dire pour l’occasion ?

Les astronautes d’ Apollo 8 : William Anders né en 1933, James Lovell né en 1928, Frank Borman né en 1928.

Le samedi 16 novembre à Houston, l’équipage d’ Apollo 8 donne une conférence de presse, au cours de laquelle un journaliste demande s’ils ont prévu quelque chose de spécial pour Noël. Frank Borman tente une réponse, mais finit par admettre que pour l’instant, il n’a pas la moindre idée sur la forme que prendra cette célébration.

Le temps passant, la pression s’accroît… Évoquer la paix dans le monde, alors que les astronautes sont militaires et que leur pays mène une guerre impopulaire au Vietnam, serait pour le moins incongru.

William Anders, de confession catholique, propose d’évoquer la signification de Noël, ce qui ne plait pas du tout à Borman, qui souhaite quelque chose de plus universel.

Parmi les centaines de millions de personnes qui suivront cette deuxième retransmission télévisée depuis l’orbite lunaire, il n’y aura pas seulement des catholiques.

James Lovell est lui aussi perplexe. Il propose une réécriture du poème « The night before Christmas » ou de la chanson « Jingle Bells », mais abandonne rapidement cette idée saugrenue…

Frank Borman demande conseil à sa femme, Susan lui répond : « Mettre tout le monde d’accord, adresser un message au monde entier en ces circonstances particulières… Je ne sais pas du tout ce qui pourrait s’avérer à propos. »

Le temps presse, nous sommes à 15 jours du lancement de la mission Apollo 8, aucune idée ne lui semble satisfaisante, mais après tout il n’est pas poète…

Frank Borman se résout à demander conseil hors du cadre familial et de ses deux compagnons de mission. Il contacte son ami le journaliste Simon Bourgin (1914-2013) qui travaille à l’USIA (United States Information Agency, littéralement Agence d’information des États-Unis). Ils sont devenus des amis proches après la tournée asiatique des astronautes de Gemini 7.

Bourgin lui promet d’y penser. Il s’attelle à la tâche mais rien de ce qu’il couche sur le papier ne lui convient. Bien qu’il ait promis de garder ce remue-méninges secret, il appelle son vieil ami Joseph Laitin. Ce dernier est alors porte-parole du ministère du budget, journaliste indépendant. Il a notamment couvert le procès de Nuremberg pour Reuters, et a écrit moult articles pour divers publications renommées, dont le magazine Collier’s.

La première réaction de « Joe » Laitin : « Cela n’a pas l’air très compliqué, aucun problème. »

Afin de se mettre un peu dans la peau des astronautes, il demande à Bourgin de lui faire parvenir une photo montrant ce que les astronautes allaient voir de là-bas… Personne n’étant jamais allé autour de la Lune, il ne peut lui fournir que des représentations d’artistes…

Cette nuit-là, sa femme et ses enfants étant partis se coucher, Joseph Laitin s’installe avec sa machine à écrire et une représentation de la Terre vue de la Lune. Il ferme les yeux et s’imagine en orbite lunaire…

Il commence à écrire : « là-bas, vit tout ce qui m’est cher et tout ce que j’aime… », non, ce n’est pas bon, il enlève la feuille de papier et essaie autre chose, qui ne lui convient pas non plus…

Au bout de quelques heures il a froissé des dizaines de feuilles de papier… A son grand désespoir il doit se rendre à l’évidence, tout ce qu’il écrit n’est que vacuité, comparé à la guerre du Vietnam et des troubles sociaux qui ont marqué cette année 1968.

Les astronautes étant des militaires travaillant pour une organisation gouvernementale, tout ce qu’ils pourraient dire serait immanquablement considéré comme de la propagande.

Les paroles que prononceront les astronautes devront toucher le plus de monde possible, tenir compte de leur sentiment, de leur croyance… Des mots universels qui devront marquer les esprits, avoir une résonance quasi biblique.

Biblique ? Sur cette dernière réflexion il décide de consulter sa Bible Gédéon qu’il a un jour « récupérée » dans une chambre d’hôtel… S’agissant de Noël, l’anniversaire du Christ, il parcoure le nouveau testament, notamment l’Evangile selon Marc… Mais rien ne fait l’affaire.

Il est quatre heures du matin, Joseph Laitin est découragé, aucune inspiration…

C’est à ce moment que son épouse Christine descend voir ce qu’il se passe. Apercevant son mari lisant la Bible, alors qu’il n’est habituellement pas du tout versé dans la religion, avec des monceaux de papier chiffonnés autour de lui, elle l’interroge : « Joe qu’est-ce que tu fais ? »

Il lui explique son problème… Christine Laitin (1929-1995) née Christine Henriette Houdayer est une française née à Paris, qui combattit les allemands au sein de la résistance, c’est une « épouse de guerre » qui est arrivée aux Etats-Unis en 1947, après deux mariages malheureux, elle épouse Joseph Laitin, avec qui elle vivra jusqu’à sa mort.

— Si tu cherches de la poésie, tu ne regardes pas au bon endroit, tu devrais aller voir dans l’Ancien Testament…

— « Mais il s’agit de l’anniversaire du Christ » lance son mari passablement irrité.

— « Quelle importance, si tu veux des concepts généraux tu dois aller voir dans l’Ancien Testament ! »

Tournant fébrilement les pages de sa Bible Joseph Laitin marmonna : « Il est quatre heures du matin, je n’arrive à rien, je ne sais pas par où commencer… »

— « Pourquoi tu ne commences pas par le début ? » Ayant été éduquée au Couvent du Sacré-Cœur, en Normandie, elle se rappelait très précisément de la puissance des premiers versets de la Bible.

— « Tu veux parler de la Genèse ? »

En lisant les premiers versets il s’exclama : « Mon Dieu, Christine, c’est ça ! »

Joseph Laitin envoya une télécopie à Simon Bourgin, recommandant de ne lire lesdits versets, qu’à la condition que les astronautes trouvent cela approprié un fois en orbite lunaire. Il faut par ailleurs que les lectures soient entrecoupées de silences, et sans aucun commentaire du « Capcom », ou de qui que ce soit, à la fin. Il ajoute également quelques mots en guise de conclusion, que le commandant de la mission, Frank Borman, devra lire.

En recevant le fax, Bourgin sait immédiatement qu’il s’agit d’un bon choix, d’autant plus dans le contexte de la guerre froide, et des mouvements sociaux de cette année. Ces mots permettent par ailleurs de donner à la course à l’espace une dimension morale et spirituelle.

Frank Borman est soulagé, le Genèse est un choix remarquable. James Lovell acquiesce : « On ne pourra pas trouver mieux. Ces phrases constituent le texte fondateur de la plupart des religions du monde. »

William Anders quant à lui en avait parlé à son épouse Valerie, ils étaient tombés d’accord sur le fait qu’ils ne devaient en aucun cas évoquer la fête chrétienne, mais quelque chose de plus universel. « La Genèse, c’est tout simplement parfait. »

A la NASA, les rares personnes dans la confidence sont tout aussi emballées.

Il fallait en effet en parler au Capcom présent à ce moment là, l’astronaute Thomas Kenneth « Ken » Mattingly, afin de respecter la solennité de la lecture. Car une fois terminée, il ne faudrait pas que l’on entende quelque remarque que ce soit, excepté un long silence, suivi d’un digne commentaire du commentateur de la NASA, Paul Haney (1928-2009) « The Voice of Mission Control« , également dans la confidence.

C’est ainsi qu’un feuillet, avec les versets I à 10 de la Genèse, ainsi que la phrase de conclusion, fut intégré au plan de vol de la mission Apollo 8.

C’est à la fin de la quatrième retransmission télévisée, qui a duré quelque 23 minutes, que les astronautes d’ Apollo 8 lisent à tour de rôle les dix premiers versets de la Genèse. Qui lira quoi, et dans quel ordre, fut décidé juste avant la retransmission… Les quatre premiers versets, William Anders, les quatre suivants, James Lovell, les deux derniers et la conclusion, Frank Borman.

Au domicile de Joseph Laitin et son épouse, qui ignoraient que Borman avait validé leur idée, c’est la stupéfaction. Simon Bourgin ne leur avait rien dit pour leur faire la surprise.

Joe se retourne abasourdi vers sa femme : « C’est le script que j’ai écrit » lui dit-il .

« Que TU as écrit ? » lui répond-elle en riant.

Chez les Lovell, c’est le silence. « Ils doivent être entre les mains de Dieu » se dit Marilyn.

Susan Borman éclate en sanglots. « C’est tout simplement surréel. »

Au domicile des Anders on n’y croit pas non plus : « Bill est en train de lire la Bible depuis la Lune ! » s’extasie Valerie.

Au centre de contrôle des missions, la plupart des personnes présentes ont les larmes aux yeux…

Près d’un milliard de personnes dans le monde ont entendu la lecture des dix premiers versets de la Genèse, par William Anders, James Lovell et Frank Borman, de la fabuleuse mission Apollo 8.

Après cette poignante et inoubliable retransmission télévisée depuis l’orbite lunaire, beaucoup sont sortis, pour contempler dans le ciel le croissant de Lune, astre autour duquel trois enfants de la Terre viennent de lire des phrases écrites il y a plus de 2 000 ans, par des Hommes tentant d’expliquer la création du Monde…

Et que l’on y croit ou pas, n’a pas la moindre importance !

A plus d’un titre, Apollo 8 a laissé une trace indélébile dans l’histoire de la conquête de l’espace.

Apollo 8 ou le Noël inoubliable de l’année 1968

Nous sommes le mardi 24 décembre 1968, 20 h 57 heure de Houston, (25 décembre 2 h 57 heure de Paris) le vaisseau spatial Apollo 8 effectue sa neuvième et avant-dernière orbite autour de la Lune, trois enfants de la Terre, Frank Borman, William Anders et James Lovell sont à quelque 377 000 km de chez eux, aucun humain ne s’était jamais aventuré aussi loin.


En ce jour très particulier, fêté par une bonne partie de l’humanité, William Anders annonce : « Nous approchons du lever de Soleil au-dessus de la Lune et à toutes les personnes là-bas sur Terre, l’équipage d’Apollo 8 voudrait vous délivrer un message. »

20 h 57 min 56 s : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l’abîme, l’esprit de Dieu tournoyait sur les eaux. Dieu dit : Que la lumière soit et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres. »  [Pause]

20 h 58 min 29 s : James Lovell :  « Dieu appela la lumière « jour » et les ténèbres « nuit ». Il y eut un soir puis il y eut un matin. ce fut le premier jour. Dieu dit : Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux, et il en fut ainsi. Dieu fit le firmament, qui sépara les eaux qui sont sous le firmament d’avec les eaux qui sont au-dessus du firmament, et Dieu appela le firmament « ciel ». Il y eut un soir puis il y eut un matin : ce fut le deuxième jour. »  [Pause]

20 h 59 min 07 s : Frank Borman : « Dieu dit : Que les eaux qui sont sous le ciel s’assemblent en une seule masse et qu’apparaisse le continent, et il en fut ainsi. Dieu appela le continent « terre » et la masse des eaux « mers », et Dieu vit que cela était bon. »
 

« …Et de la part de l’équipage d’Apollo 8, nous terminons en vous souhaitant une bonne nuit, bonne chance et joyeux Noël, que Dieu vous bénisse tous, vous tous sur cette bonne vieille Terre ».

Au centre de contrôle des missions près de Houston, rares sont les contrôleurs de vol, et les nombreuses personnes présentes, qui n’ont pas les larmes aux yeux…

Le 5 mai 1969, l’US Postal Service émet ce timbre qui sera imprimé à 187 165 000 exemplaires.

La version de la Bible utilisée par les astronautes est celle du roi Jacques 1er d’Angleterre. (King James version)

William Anders

1.In the beginning God created the heaven and the earth.

2. And the earth was without form, and void; and darkness was upon the face of the deep. And the Spirit of God moved upon the face of the waters.

3. And God said, Let there be light: and there was light. 

4. And God saw the light, that it was good: and God divided the light from the darkness. 

James Lovell

5. And God called the light Day, and the darkness he called Night. And the evening and the morning were the first day.

6. And God said, Let there be a firmament in the midst of the waters, and let it divide the waters from the waters. 

7. And God made the firmament, and divided the waters which were under the firmament from the waters which were above the firmament: and it was so. 

8.And God called the firmament Heaven. And the evening and the morning were the second day.

Frank Borman

9. And God said, Let the waters under the heaven be gathered together unto one place, and let the dry land appear: and it was so. 

10. And God called the dry land Earth; and the gathering together of the waters called he Seas: and God saw that it was good. 

Un gros gâteau en l’honneur des astronautes d’Apollo 8

Pour respecter une coutume qui remonte aux premières missions spatiales habitées, les spécialistes culinaires (Culinary Specialist – CS) de la boulangerie-pâtisserie du porte-avions USS Yorktown, le navire de récupération principal, ont préparé un gâteau en l’honneur du retour sur Terre des astronautes d’Apollo 8, Frank Borman, James Lovell et William Anders.

La gâteau sera dégusté lors de la « splashdown party » qui va se dérouler le soir même du 27 décembre 1968, dans le hangar du porte-avions.

Le gâteau de 213 cm de long (7 pieds) et 91,5 cm de large (3 pieds) pèse 245 kg, il est le résultat de la superposition, juxtaposition, de 60 petits gâteaux…

C’est Marlin Buirge qui a imaginé cette œuvre, comme un livre d’Histoire ouvert… La toute première fois que des Hommes ont volé autour de la Lune…

Moitié chocolat, moitié chocolat blanc, le gâteau pèse en réalité 205 kg, mais il est recouvert de 40 kg de glaçage. (Composé notamment de 5 kg de matière grasse végétale hydrogénée, 8 kg de beurre, 26 kg de sucre en poudre, 9 cuillerées à café de vanille pure…)

Le gâteau est décoré (inscriptions, drapeaux américains…) par Steven Greisteit et Clifton Calhoun.

De g. à d. Clifton Calhoun, Marlin Buirge, Steven Greistheit.
Sur le livre ouvert on peut lire à gauche : First Manned Lunar Mission (Première mission lunaire habitée) et à droite : Yorktown Recovers Apollo Eight (Yorktown récupère Apollo Huit) juste dessous la date, 27 décember 1968. Crédit :https://www.navysite.de/cruisebooks/cv10-68/020.htm

Pour confectionner le gâteau lui-même il a fallu par exemple la bagatelle de 58 kg de farine, 26 kg de sucre, 10 kg de matière grasse végétale hydrogénée, 15 litres d’huile, 23 litres de lait, 264 œufs, 3 litres de vinaigre. 

Les 60 parties qui constituent le gâteau ont été cuites le jour de Noël par Samuel Clements.

La réflexion sur la forme du gâteau a commencé début décembre, mais son apparence définitive n’a été arrêtée que le 18 décembre, jour où la flotte de récupération a appareillé pour se rendre sur la zone d’amerrissage. Compte tenu de sa taille et de son poids, l’assemblage et la décoration du gâteau ont été réalisés à proximité d’un monte-charge, destiné normalement à acheminer bombes et missiles dans le hangar principal, où aura lieu la cérémonie en l’honneur des trois astronautes.

Tout le personnel du porte-avions (1 650) surnommé la « Fighting Lady » (littéralement la « Dame Combattante »), y compris la presse et les équipes de radio et télévision, a été convié à la dégustation du gâteau…  La découpe au sabre a commencé à 19 h 30, à 22 h 00 il ne reste plus rien des 245 kg de gâteau…

Frank Borman tenant le sabre qui servira aux astronautes à couper le gâteau.

Si l’on ajoute les journalistes et techniciens au personnel du porte-avions, ainsi que les membres de la NASA, et si tout le monde a bien eu un morceau du gâteau, chaque part devait faire environ 140 grammes…