A six mois près, New York a échappé aux missiles V2

Voici un article du journaliste Gladwin Hill (16 juin 1914 – 19 septembre 1992) paru dans le New York Times du 14 juin 1945, en première page, évoquant ce qu’il aurait pu advenir si la guerre avait perdurée.

Il s’agit du deuxième article du New York Times évoquant l’usine des V-2 de Mittelwerk et son camp de concentration adjacent, après celui du 4 mai 1945, page 6, rapportant les déclarations de Clare Boothe Luce (10 mars 1903 – 9 octobre 1987) alors représentante du 4e district du Connecticut, qui a passé deux mois en Allemagne, et s’est notamment rendue à Nordhausen et dans les tunnels de l’usine du centre.

« A six mois près, New York a échappé aux missiles V2 » : affirme l’armée.

PARIS, 13 juin – Les allemands avaient prévu de bombarder les États-Unis avec des projectiles auto-guidés V-2, comme ceux qui se sont écrasés sur Londres, et auraient pu commencer en novembre, ont rapporté aujourd’hui des experts du corps de l’ordonnance de l’armée américaine.

Les scientifiques allemands avaient l’intention de mettre en service un missile d’une portée de 5 000 km qu’ils croyaient assez précis et destructeur pour compenser notre maîtrise aérienne, qui fut un facteur déterminant dans la victoire des Alliés.

Cette marge de sécurité de six mois, correspondant au laps de temps entre le Jour de la Victoire et le mois de novembre, a été rendue possible par l’attaque de la RAF de l’usine expérimentale des allemands, à Peenemünde sur la Baltique, il y a deux ans.

Les allemands ont dit que ce dernier avait causé la mort de 800 de leurs principaux experts, et retardé leur travail de six mois !

C’était la troisième fois que les Alliés échappent aux grands plans de destruction nazis que la conquête des Allemands a révélés.

Les allemands avaient un système de bases V-1 dans le nord-ouest de l’Europe, qui aurait détruit Londres s’il n’avait pas été lourdement perturbé par les bombardements américains.

Ils étaient également à quelques mois de parachever un bombardier capable d’attaquer New York depuis l’Europe.

Le commandant William Bromley a affirmé que sur la pure base de travaux théoriques, les allemands ont estimé qu’en deux ans ils auraient pu concevoir un missile capable d’atteindre le Japon depuis les îles britanniques – 24 000 km -.

Les projets allemands ont été révélés lors d’une enquête de cinq mois sur une étonnante usine d’assemblage de fusées, 240 mètres sous terre, dans les montagnes du Kohnstein près de Nordhausen, en Allemagne, qui comptait 12 000 travailleurs esclaves, dont beaucoup venaient de l’odieux camp de concentration de Nordhausen. Leurs actes de sabotage, ainsi qu’une pénurie de matériaux, ont permis de maintenir la production bien en deçà de la capacité mensuelle de 900 V-2, en plus des V1 et des moteurs d’avion.

L’usine, creusée dans le calcaire, était composée de deux grands tunnels, reliés par un réseau de plus petits, le tout desservi par un chemin de fer d’une longueur totale de 40 km.

Les scientifiques allemands qui ont décrit leurs travaux n’avaient pour la plupart qu’entre 25 à 35 ans. Une centaine de V-2 ont été assemblés et sont en train d’être expédiés aux États-Unis. Ils seront étudiés au centre d’essai de l’armée à Aberdeen. »

The New York Times (Traduction Olivier COUDERC)

————————————————————————————————————————–

Un peu d’Histoire dans la petite histoire : Gladwin Hill faisait partie des huit journalistes, correspondants de guerre, surnommé The Writing 69th, spécialement entrainés en 1943 pour participer à des missions de bombardement au sein du VIII Bomber Command au-dessus de l’Allemagne. L’immense Walter Cronkite en faisait également partie.

De gauche à droite : Non identifié, Paul Manning, Hal Leyshon, Andy Rooney, Gladwin Hill, Homer Bigart, Walter Cronkite (debout), Jack Milady, Jack Redding. Photo : circa 1965. Sur cette photo ne figurent pas William Wade et Denton Scott. Source : https://www.greenharbor.com/wr69/wr69.html (en gras les membres de The Writing 69thRobert Post sera le seul membre du groupe tué en mission.)

Finalement il n’y aura qu’une mission, qui a eu lieu le 26 février 1943. Il s’agit de la première mission de B-17 équipés de radar H2X. L’objectif primaire, une usine Focke-Wulf à Brème ayant été abandonné en raison d’un plafond très bas, c’est l’objectif secondaire qui fut choisi, une base de sous-marins à Wilhelmshaven [la ville de naissance de Klaus Riedel (2 août 1907 – 4 août 1944) proche collaborateur de Wernher von Braun].

Robert Post, (18 septembre 1910 – 26 février 1943) le correspondant du The New York Times sera tué lors de cette mission, lorsque le B-24 Liberator dans lequel il se trouve est abattu par le pilote de chasse allemand Heinz Knoke (24 mars 1921 – 18 mai 1993) et explose en vol, vers 1 000 mètres d’altitude. Il n’y aura que deux survivants, sur les 10 personnes à bord, ils ont eu le temps de sauter en parachute avant la déflagration. Un membre d’équipage saute mais son parachute est en feu.

Les deux seuls survivants sont le sous-lieutenant Wayne Gotke, le navigateur, et le sergent Jim Mifflin qui opérait les mitrailleuses d’une tourelle sphérique anti-aérienne (ball turret).

The Missileer, la première publication périodique dans l’espace

The Missileer est un journal de l’US Air Force Eastern Test Range (antérieurement Long Range Proving Ground et qui deviendra 45th Space Wing), qui a paru du 6 février 1950 au 28 septembre 2012. Une publication uniquement à destination des personnels militaires et civils de la base aérienne Patrick, et des installations de lancement du Cap Canaveral.

Tout d’abord à périodicité bimensuelle, puis hebdomadaire, paraissant les vendredis. La prépondérance de l’internet pour la diffusion de l’information, a sonné le glas de ce journal après 62 ans et huit mois d’existence. Il comptait en moyenne 8 pages.

Un exemplaire de The Missileer, a été placé avec la charge utile, à l’occasion du premier lancement d’une Titan III-C, qui a eu lieu le 18 juin 1965, du LC-40, et fut un succès.

De g. à d. John Harris (Martin Company – Constructeur de la fusée.) ; Commandant Edwin Speaker, chef des opérations Titan III ; Bob Robinson et Jack Hull (Martin Company) ; le Sergent Hugh Phillips et le lieutenant Ray Cauwet de l’équipe éditoriale de The Missileer ; le Lieutenant Mike Spradlin des opérations Titan III.

Ce faisant, The Missileer a pu se targuer d’être la première publication périodique en orbite autour de la Terre.

Pendant trois ans, jusqu’au 12 juillet 1968, au-dessus ou sous le titre du journal, on pouvait lire « First In Space », et ce n’était pas un jeu de mot !

Une semaine plus tard, dans l’édition du 19 juillet, le titre a été « relooké » et cette mention n’apparaît plus…

J’irai uriner sur la tombe de Rocco Petrone

Rocco Petrone (31 mars 1926 – 24 août 2006), qui fut notamment le troisième directeur du centre spatial Marshall, du 27 janvier 1973 au 15 mars 1974, est très certainement la personne la plus détestée par les « anciens » de ce centre.

En treize mois et demi, celui qui fut surnommé « l’homme de main » ou « le tueur à gages » commandité par le quartier général de la NASA, va notamment « éliminer » la plupart des derniers membres de la Rocket Team de von Braun.

Il n’en restera que 34 après le départ en retraite du Dr Eberhard Rees (28 avril 1908 – 2 avril 1998), le deuxième directeur du centre, du 1er mars 1970 au 19 janvier 1973.

Rocco Petrone, Eberhard Rees, Wernher von Braun. NASA.

Werner Dahm (16 février 1917 – 17 janvier 2008) et Georg von Tiesenhausen (18 mai 1914 – 3 juin 2018) resteront au Marshall mais verront leur salaire diminué.

Rocco Petrone va également réorganiser le centre, qui n’aura désormais plus aucune capacité de production intrinsèque (« in house »).

Pour ses bons et loyaux services il sera nommé administrateur associé de la NASA (hiérarchiquement le numéro 3), il quitte l’agence spatiale un an plus tard en avril 1975.

Celui qui fut le plus grand centre spatial en termes de budget et de personnel va payer le plus lourd tribut lors des réductions d’effectifs, à lui seul le Marshall va supporter 81 % du total des plans sociaux post-Apollo concernant les fonctionnaires (civil servants).

Dès 1967 les RIF (Reduction in Force) successifs ont considérablement réduit le personnel employé à plein temps par le centre. En huit ans, entre 1968 et 1975 les effectifs permanents du centre spatial Marshall ont été réduits de 43,14%.

A lui seul, en treize mois et demi, Rocco Petrone les a diminué de 25,8%. Beaucoup de ceux qui sont restés ont par ailleurs connu une diminution de leur grade ou de leur échelon [Aux Etats-Unis, pour les fonctionnaires on parle de General Schedule (GS), il en existe 15, avec pour chacun 10 échelons (step)] et donc une significative réduction de salaire, avec des déclassements de trois ou quatre grades parfois !

En 1967 il y avait 7 177 employés permanents (hors contractants), en 1975 il n’en reste plus que 4 081. Actuellement le centre emploie environ 2 600 personnes (fonctionnaires).

A deux reprises la NASA a envisagé la fermeture définitive du centre spatial Marshall, en 1975 sous James Fletcher (1919-1991) qui fut l’administrateur de l’agence spatiale américaine du 27 avril 1971 au 1er mai 1977, et en 1977 sous Robert Frosch (22 mai 1928 – 30 décembre 2020), administrateur du 21 juin 1977 au 20 janvier 1981.

C’est ainsi que l’historien américain Roger Launius dans son excellent ouvrage Apollo’s Legacy, Perspectives on the Moon Landings rapporte ce témoignage d’un ancien du centre spatial Marshall qui a déclaré avoir longtemps attendu la mort de Rocco Petrone, survenue enfin en 2006, pour aller pisser sur sa tombe, mais il s’est rendu compte qu’attendre son tour, pour ce dernier geste de mépris, prendrait trop de temps…

Anecdote dans l’anecdote : Dans ce même ouvrage Roger Launius relate que Rocco Petrone (alors directeur des opérations de lancement – Director of Launch Operations) était assis à côté de Donald Slayton dans le blockhaus du complexe de lancement 34 lorsque le feu a éclaté dans le vaisseau spatial Apollo 1. Rocco Petrone aurait accusé Joseph Shea, le directeur du vaisseau spatial, (Apollo Spacecraft Manager) d’avoir été à l’origine de la mort des trois astronautes et lui aurait dit : « Tu es dangereux, tu es responsable de l’incendie. Quand tu mourras, je viendrai pisser sur ta tombe. »

Anecdote dans l’anecdote : En visitant la ville de Saint-Malo, Jean-Paul Sartre (1905-1980) a pissé sur la tombe de François-René de Chateaubriand (1768-1848) pour marquer son mépris lorsqu’il vit ce tombeau « si ridiculement pompeux dans sa fausse simplicité ».  [In Dans La Force de l’âge, publié en 1960 par Simone de Beauvoir (1908-1986)]. Tombeau classé monument historique en 1954.