John Young, seul en orbite autour de la Lune

Lorsque le jeudi 22 mai 1969, à 19:00:57 (GMT) le module lunaire (LM) dont l’indicatif est Snoopy, dans lequel se trouvent Thomas Stafford et Eugene Cernan,  se sépare du module de commande et de service (CSM), Charlie Brown, John Young se retrouve tout seul. Il devient ainsi le premier humain à voler en solo autour de la Lune.

Le module de commande Apollo 10 « Charlie Brown » avec John Young à bord.

35 minutes après la séparation, lorsque toutes les vérifications ont été faites et de petits problèmes résolus, les deux vaisseaux spatiaux s’éloignent. Le LM se met alors sur une orbite très proche de 112,8 par 15,7 km, (le CSM restant sur une orbite quasi circulaire à quelque 111 km d’altitude, ce qui équivaut à 60 milles marins).

Le périsélène exact, mesuré à 21:29:43 (GMT) très précises, est de 14,4 km, à quelques degrés du site d’atterrissage prévu pour Apollo 11, qu’ils survolent à deux reprises.  Le LM ne peut pas descendre plus bas, car 13-14 km est l’altitude limite, en-deça il faut commencer la descente propulsée.

Alors que les deux vaisseaux spatiaux s’éloignent l’un de l’autre, on assiste à ces échanges :

Eugene Cernan (pilote du LM) : « John, tu es le premier véhicule spatial photographié par un autre en orbite autour de la Lune. Qu’est ce que tu en penses ?

John Young (pilote du CSM) : « Je pense que c’est bien. »

Quelques minutes plus tard :

John Young : « Vous ne saurez jamais comment cet engin (parlant du module de commande) est spacieux lorsqu’il n’y a plus qu’une personne à l’intérieur. »

Rires de Thomas Stafford, le commandant de la mission.

Eugene Cernan : « Tu ne sauras jamais à quel point il parait minuscule lorsque tu es aussi loin que nous le sommes. »

Rires de Thomas Stafford

Deux minutes plus tard :

Eugene Cernan : « A bientôt, John, (suite inaudible, friture). »

John Young : « Bien reçu. »

Eugene Cernan : « Amuse-toi bien pendant notre absence, bébé. »

Thomas Stafford : « Oui, j’espère que tu ne te sentiras pas trop seul là-bas, John. »

Eugene Cernan :  « Et n’accepte aucune mise à jour pour la TEI. » (Trans-Earth Injection – Injection Trans-Terrestre)

[Cernan fait allusion à l’allumage du moteur SPS (Service Propulsion System) du module de service qui permet de modifier la course du vaisseau spatial et le ramener sur une trajectoire qui croisera celle de la Terre. Il plaisante sur le fait que Young n’attende pas le retour des deux astronautes, et reparte sans eux. ]

Rires de Stafford

John Young : « Ne vous en faites pas, jusqu’à ce que vous reveniez, je ne prendrai plus aucune note sur le PAD. »

[Le PAD (Preliminary Advisory Data – Données Consultatives Préalables) est un classeur contenant des fiches pré-imprimées sur lesquelles les astronautes inscrivent régulièrement les données nécessaire (vélocité, position etc.) pour effectuer une manœuvre, elles sont communiquées par le centre de contrôle quelques temps avant ladite manœuvre, (changement d’orbite, correction mi-course etc.). Une procédure qui permet de pallier une perte des communications avec la Terre à l’instant t.]

Malgré les dangers encourus, lors de cette mission à très haut risque, les astronautes plaisantent, pour relâcher un peu la tension…

L’équipage d’Apollo X. (De g. à d.) Eugene A. Cernan (1934-2017) – Thomas P. Stafford (1930) – John W. Young (1930-2018) – Crédit Photo : Ralph MORSE / LIFE

John Young peut enfin manger un sandwich dans l’espace

C’est lors de la vingtième mission spatiale habitée américaine, Apollo 10, du 18 au 26 mai 1969, que les astronautes Thomas Stafford, John Young et Eugene Cernan purent pour la première fois se confectionner de vrais sandwichs, enfin, presque. 

Ils avaient en effet dans leurs provisions, des tranches de pain blanc et de pain de seigle, spécialement conditionnées, ainsi que des tubes de pâtes à tartiner au poulet-salade et jambon-salade.

C’est ainsi qu’au deuxième jour de la mission, à exactement 028:19:36 (Temps écoulé depuis le décollage) on assiste à la conversation suivante :

028:19:36 Eugene Cernan: Reçu. Hé, Charlie, nous étions là-haut en train de manger un nouveau plat, un peu tard comme d’habitude, et tu sais quoi ? Il s’agissait d’un sandwich poulet salade.

028:19:48 CapCom Charles Duke: Ah, et quel goût ça a ?

028:19:52 Cernan: Tu me crois si je te dis comme un sandwich poulet salade ?

028:19:56 Duke: Eh, c’est super !

028:19:57 Cernan: Une première.

028:19:58 Duke: On dirait un vrai repas de gourmet

028:20:03 Duke: Nous allons noter ce commentaire : « le poulet est bon »

028:20:05 Stafford: C’est un sacré progrès

028:20:07 Duke: Bien reçu. D’accord nous notons votre appréciation : « Le sandwich poulet salade a bon goût. »

028:20:14 Cernan: Tu as remarqué que je n’ai pas dit : « Bon sandwich au bœuf salé. »

028:20:17 Duke: Oui j’ai bien saisi. Nous allions justement vous poser la question.

028:20:24 Cernan: Ce n’est pas la peine.

En effet, le sandwich au bœuf salé fait référence à cette autre anecdote, qui date de la septième mission spatiale habitée américaine, Gemini 3 (23 mars 1965) !

On notera que le principal concerné, John Young, est resté  « étrangement » silencieux lors de cet échange !

Anecdote dans l’anecdote : John Young pourra « légalement » déguster du corned beef (boeuf salé) lors de la première mission de la navette spatiale du 12 au 14 avril 1981…  16 ans après Gemini 3… Certainement un clin d’œil !  En espérant qu’il y avait de la moutarde et des cornichons !

Quand l’improbable devient réalité

En 1949, dans le cadre de ses quatre années d’études passées à l’Académie Navale d’Annapolis (de 1948, l’année où son père est décédé d’un cancer, à 1952), Thomas Stafford effectue une mission sur l’USS Missouri (BB-63), un cuirassé de classe Iowa, [en service de 1944 à 1998, sur lequel ont été signés les actes de capitulation du Japon en 1945], en même temps qu’un autre Aspirant, un certain John Young. Ils sont affectés sur la même tourelle double de 127 mm. A 19 ans, Stafford et Young, qui n’ont qu’une semaine d’écart, s’entendent très bien. (Stafford est né le 17 septembre 1930 et Young le 24 septembre 1930).

Thomas Stafford se souvient : « Nous aurions été pliés de rire, si quelqu’un nous avait dit alors, qu’un jour nous serions astronautes, et que nous volerions autour de la Lune ensemble. »