De la finalité des vols spatiaux habités

Au début de la guerre froide, le critère d’attractivité, selon les décideurs politiques aux États-Unis et en Union Soviétique, était lié à des programmes scientifiques et technologiques de grande ampleur. Ainsi, les démonstrations de prouesses scientifiques et technologiques sont devenues des actions clefs pour affirmer le prestige national et associer les valeurs et les symboles perçus de la science et de la technologie – la rationalité, le progrès – avec l’image de l’idéologie politique de chaque nation. Les records aéronautiques par exemple, sont alors extrêmement médiatisés.

C’est donc tout naturellement qu’en 1957, après les réactions mondiales liées au lancement de Spoutnik, dont l’ampleur a d’ailleurs surpris les russes, les hommes politiques tant aux Etats-Unis qu’en Union Soviétique ont vu dans la conquête spatiale le moyen le plus visible, le plus spectaculaire, pour attester leur suprématie.

En pleine guerre froide, les réalisations spatiales civiles, bien plus que les armes ou les conflits militaires, ont servi comme de très efficaces vecteurs pour démontrer ses capacités technologiques, sa puissance, et surtout, l’efficacité de son système politique.

Les deux superpuissances investiront massivement dans le domaine du spatial habité, une escalade qui aboutira au programme Apollo, qui permettra à douze américains de marcher sur la Lune entre 1969 et 1972, à ce jour, l’apogée de 60 ans de conquête spatiale…

Peu après le lancement de Spoutnik, Arthur Larson, le directeur de l’agence d’information des Etats-Unis (United States Information Agency ou USIA qui a existé de 1953 à 1999 – Outil de diplomatie publique, de propagande.) encouragea vivement le président Dwight Eisenhower à prendre fait et cause pour l’exploration spatiale, afin d’améliorer l’image de l’opinion publique étrangère vis à vis des Etats-Unis, non pas pour la connaissance scientifique en elle- même, mais pour l’impact disproportionné que la prééminence dans l’espace semble avoir sur le ressenti de puissance d’une nation, qui permet d’accroître très significativement son pouvoir de négociation.

La NASA, l’USIA, et le Département d’Etat, ont vendu cette image des Etats-Unis au grand public, notamment, entre autres, en encourageant un programme spatial habité très élaboré et très dispendieux, avec de nombreuses expositions sur le thème de l’espace, des tournées mondiales d’astronautes et de capsules spatiales, et bien sûr, en diffusant en direct les différentes missions spatiales à la télévision et surtout sur les radios que l’on pouvait capter dans le monde entier.  Aux Etats-Unis il a fallu mettre en place une rhétorique élaborée, car dans un pays démocratique le politique est tributaire de l’opinion publique ; vox populi, vox dei. Un problème que n’ont pas eu les dirigeants soviétiques.

L’origine du programme spatial habité étant avant tout politique, après la guerre froide il a fallu trouver une justification économique et scientifique, et là, tout s’est bigrement compliqué.

Depuis Eisenhower, aucun des onze présidents des Etats-Unis qui se sont succédés à ce jour, n’a mis fin au programme spatial habité. Avec le programme Apollo, l’espace est devenu dans l’imaginaire américain la nouvelle frontière, un leitmotiv habillement distillé par les responsables politiques depuis Kennedy, se substituant à l’Ouest mythique.

Plus philosophiquement, l’espace habité est le début de l’expansion humaine dans le système solaire et au-delà. Il s’agit même d’une étape dans l’évolution pour certains, qui n’ont pas hésité à comparer les premiers pas de l’Homme sur la Lune avec ceux des premiers arthropodes qui ont « sorti la tête de l’eau ».

Thomas Stafford et John Young, quand l’improbable devient réalité

En 1949, dans le cadre de ses quatre années d’études passées à l’Académie Navale d’Annapolis (de 1948, l’année où son père est décédé d’un cancer, à 1952), Thomas Stafford effectue une mission sur l’USS Missouri (BB-63), un cuirassé de classe Iowa, en même temps qu’un autre Aspirant, un certain John Young.

Pour la petite Histoire, c’est sur l’USS Missouri, en service de 1944 à 1998, qu’ont été signés les actes de capitulation du Japon en 1945.

Stafford et Young sont affectés sur la même tourelle double de 127 mm. A 19 ans, et seulement une semaine d’écart, ils s’entendent très bien. (Stafford est né le 17 septembre 1930 et Young le 24 septembre 1930).

Thomas Stafford se souvient : « Nous aurions été pliés de rire, si quelqu’un nous avait dit alors, qu’un jour nous serions astronautes, et que nous volerions autour de la Lune ensemble. »

La chevauchée fantastique de John Llewellyn

John Llewellyn, le contrôleur de vol de la tranchée (c’est lui qui a donné ce surnom à la première rangée), le « retro »(retrofire officer) de légende, ancien de la mythique 1re Division des Marines, se couche exténué par des heures de simulations éprouvantes.

Le lendemain il se réveille et s’aperçoit qu’il est très en retard, une panne classique d’oreiller.

Il s’habille en vitesse, prend sa Triumph TR3, et fonce pied au plancher vers le Centre de Contrôle des Missions. Lorsqu’il arrive sur le parking, impossible de trouver une place, il fait le tour une fois, deux fois, puis n’y tenant plus, remonte l’allée, traverse la pelouse, franchit une bordure, et se gare juste à côté de l’entrée du bâtiment 30.  Montrant son badge à l’entrée, il se précipite vers la salle de contrôle et s’installe à sa console en grommelant.

A l’extérieur, les agents de sécurité entourent la voiture et recherchent son propriétaire.

Les directeurs de vol, Glynn Lunney et John Hodges, lassés de ses frasques à répétition (il avait notamment failli en venir aux mains avec Alan Shepard) décident de lui confisquer le laissez-passer pour sa voiture. John Llewellyn demande alors à Eugene Kranz, son partenaire de judo, d’intercéder en sa faveur. John Hodge reste ferme et avec son accent britannique lui répond : « Gene, le temps est venu de donner une bonne leçon à Llewellyn. Faire le trajet de l’entrée principale jusqu’ici à pied, ramollira un peu cette tête de mule. »

La distance à parcourir avoisinant le kilomètre et demi, John Llewellyn eut une idée. Une alternative non prévue par le règlement, en ce deuxième semestre de 1965.

C’est ainsi que le lendemain, il gare sa voiture et son van (remorque pour chevaux) sur le parking de l’hôtel Nassau Bay, face à l’entrée principale du centre spatial. Montant sur son cheval, tenant sa serviette en cuir d’une main, il présente son badge aux gardes médusés, c’est au galop qu’il parcourt le chemin jusqu’au bâtiment du centre de contrôle.

Un véritable  « Space Cow-boy »…

Pendant la semaine qu’a duré la suspension, on savait quand Llewelyn était présent. Son cheval était attaché aux râteliers à vélos, ou à un panneau de signalisation indiquant « stationnement interdit » !

Accoudés sur la console : (de g. à d.) Philip Shaffer (1936-2007) et John Llewellyn (1931-2012). 16 avril 1970.