Soyouz 18-1 ou l’anomalie du 5 avril

Les cosmonautes Oleg Manarov et Vasili Lazarev sont « en route » pour rejoindre la station Saliout 4, mais un problème de séparation entre le deuxième et le troisième étage de leur fusée va écourter leur mission.

Les cosmonautes font part du problème aux contrôleurs au sol, et demandent l’autorisation de démarrer la procédure d’interruption de mission, mais ces derniers ne se sont aperçus de rien, la télémétrie ne signale rien d’anormal.

Lorsque les cosmonautes reçoivent enfin l’ordre d’interrompre la mission, ils sont déjà à 192 km d’altitude. Il s’en suit une rentrée dans l’atmosphère épique, au cours de laquelle les cosmonautes encaissent 14 à 15g avec un pic à 21,3 g (en temps « normal » les cosmonautes subissent entre 3 et 4 g).

La capsule Soyouz 18-1 heurte le sol dans les montagnes de la république de l’Altaï, et dévale une longue pente avant d’être miraculeusement arrêtée par des sapins, juste au bord d’un précipice.

Les cosmonautes sont inquiets car ils pensent avoir atterri en Chine. En 1975 les relations sino-soviétiques sont toujours extrêmement tendues, il y a encore des « incidents frontaliers ».

Ils attendent anxieusement à côté de leur capsule, dans la neige et le froid glacial, lorsqu’ environ une heure plus tard, ils sont localisés… 

Mais les deux hommes ne sont pas au bout de leur peine, les sauveteurs non plus ! (https://www.anecdotes-spatiales.com/un-sauvetage-laborieux/)

Lazarev souffrant de contusions internes ne revolera jamais. On refusera même aux deux cosmonautes leur prime de vol spatial, soit 3000 roubles. Ils devront faire appel et remonter jusqu’à Leonid Brejnev lui-même pour être payés. Ce vol est à ce jour le seul et unique vol suborbital habité russe !  Au lieu des soixante jours prévus, il n’a duré que 21 minutes et 27 secondes  !

(Officiellement ce vol n’aura jamais de nom, même si à l’origine les deux cosmonautes ont bien été affectés à la mission Soyouz 18, en URSS on parle de « l’anomalie du 5 avril »  plus rarement « du vol avorté de la capsule 7K-T n° 39 ». En « occident »  on a gardé le nom d’origine Soyouz 18 en lui accolant un 1 ou un A. La mission « officielle  »  Soyouz 18 (Soyouz 18-2 ou 18B en occident) sera lancée 49 jours plus tard, le 24 mai 1975, avec les cosmonautes Pyotr Klimuk et Vitali Sevastyanov !)

Soyouz 18, un sauvetage laborieux

Nous retrouvons nos deux cosmonautes de la mission Soyouz 18, Oleg Makarov et Vasili Lazarev attendant les secours dans la neige et le froid.

Dire qu’une demi-heure auparavant ils avaient décollé de Baïkonour par une magnifique journée de printemps, le thermomètre affichait  25°C.

Les cosmonautes sont sortis de leur capsule, les conditions météo sont abominables, il fait -7°C, le temps est couvert et un vent cinglant leur glace le sang. Une épaisse couche de neige, les entoure, 1,50 m, rendant toute progression extrêmement difficile.

Les deux hommes sont des miraculés, les parachutes en s’accrochant à des sapins, ont empêchés la capsule de plonger dans un précipice profond de plusieurs centaines de mètres.

Ils sont sains et saufs mais sont inquiets pour leur vaisseau spatial, le vent risque de déchirer les voiles ou de créer des tensions qui risquent à la longue de provoquer la rupture des suspentes, et de libérer la capsule qui se fracassera au bas de la corniche.

S’ils détachent les deux parachutes l’effet sera le même, ils décident donc, fort judicieusement, de ne couper qu’un seul parachute, celui qui a le moins de prise au vent. L’engin spatial encore très chaud fait fondre la neige, la capsule menace de glisser vers le précipice, heureusement le parachute tient bon !

Un autre motif d’inquiétude, et pas des moindre, concerne le lieu d’atterrissage, il y a en effet une possibilité qu’ils soient en Chine, et compte tenu des relations exécrables entre les deux pays il y a de quoi être préoccupé !

Quelques temps auparavant deux hélicoptères soviétiques avaient atterri par erreur sur le territoire de la République Populaire de Chine, non loin de la frontière, et leurs pilotes avaient été capturés.

Lazarev décide en conséquence de brûler des documents relatifs à une expérience militaire top secrète qu’il devait réaliser en orbite, une expérience si secrète que lui-même n’en connaissait pas la finalité !

Manarov et Lazarev rampent dans la neige pour la tasser, se construisent un abri et allument un feu, Lazarev étant né en Sibérie cela n’a rien d’inhabituel pour lui !

La nuit n’allant pas tardé à tomber, les cosmonautes enfilent leur combinaison de survie et comme il fait vraiment très froid, ils mettent également leur combinaison de sauvetage étanche Forel (Truite), que l’on utilise habituellement pour les amerrissages forcés.

Au bout d’une demi-heure l’équipe de récupération se manifeste par radio, lorsqu’on leur communique leur position ils sont soulagés, en effet ils ont atterri en territoire soviétique, non loin de la ville Aleisk, sur le versant d’une montagne appelée Teremok 3, à 1 200 mètres d’altitude.

Le relief très escarpé, le vent, les arbres, la neige, rendent le sauvetage très perilleux. On envisage tout d’abord de larguer des parachutistes, y compris des médecins, au-dessus du site, mais Lazarev qui est un parachutiste émérite, déconseille vivement cette option arguant que c’est beaucoup trop dangereux.

Il vaut mieux attendre le lendemain. Ils passent donc une longue nuit sur la montagne.

Le lendemain matin un hélicoptère muni d’une échelle en corde tente vainement de récupérer les deux hommes, mais à cette altitude et compte tenu de la force du vent, le pilote est dans l’incapacité de stabiliser son appareil !  

On « dépose » ensuite un groupe de secours sur une rivière gelée, juste en contrebas de la corniche où sont coincés les deux cosmonautes, les sauveteurs n’ont plus qu’à escalader la montagne jusqu’aux infortunés voyageurs de l’espace.

Malheureusement ce groupe n’est pas constitué d’alpinistes expérimentés, ils provoquent une avalanche sous laquelle ils sont ensevelis !

Il faut maintenant envoyer une équipe de secours au secours de l’équipe de secours !  

En fin de journée un hélicoptère MI-4 qui transporte des géologues réussit à « hélitreuiller » un guide forestier auprès des cosmonautes, ces derniers passent une deuxième nuit à la belle étoile…

Ce n’est que le lendemain, le 7 avril, qu’un hélicoptère piloté par un dénommé Sultan-Galiyev réussit à récupérer l’équipage de Soyouz 18 et le guide !

Logique, non ?

Une délégation américaine se rend à Baïkonour dans le cadre du projet Apollo-Soyouz.

Lorsqu’elle visite le MIK (Montazhno Ispytatchnii Korpus), le hangar où sont assemblés les lanceurs Soyouz (en anglais Soyuz Vehicle Processing Facility), un ingénieur de la NASA, s’étonnant de voir autant de poussière et de sable recouvrir les éléments d’une fusée, demande à son homologue soviétique pourquoi ils ne disposent pas d’une « salle propre » ou « salle blanche« , pour protéger les lanceurs et les capsules lors de l’assemblage.

Réponse de l’ingénieur russe :

« Pourquoi faire ? Lorsque nous emmenons la fusée et l’érigeons sur le pas de tir la poussière tombe toute seule ! »