Le Club de Presse de la Vitesse de Libération (Escape Velocity Press Club)

Des journalistes qui couvraient le programme spatial américain, et les membres des relations publiques de la NASA avaient créé l’Escape Velocity Press Club un club de presse très privé, que l’on intégrait sur invitation uniquement.

Créé au début du programme Gemini pour circonvenir les lois très surprenantes sur l’alcool, qui ont cours au Texas. Le Club de Presse de la Vitesse de Libération* se réunissait dans les salles de réunion des hôtels de Houston, lors des mission spatiales.

La carte de membre de Fred Cambria, journaliste de CBS, signée par le président du club, James Schefter.

Dans les mois qui ont suivi l’accident d’Apollo 1, sans aucune mission spatiale à couvrir, après la frénésie qui a marqué le programme Gemini, 10 missions en 20 mois ( entre le 23 mars 1965 et le 15 novembre 1966) les journalistes se sont trouvés sans rien à dire, hormis ressasser le tragique accident qui a coûté la vie aux trois astronautes d’Apollo 1.

Le moral de tous est au plus bas. Alan Shepard alors chef du bureau des astronautes, avait déclaré récemment :  « Il est temps d’arrêter de se morfondre. Ça suffit comme ça. Il faut retrouver le moral, et faire en sorte de renvoyer nos culs dans l’espace. »

C’est ainsi que James Schefter, le président du Club, (Journaliste pour le Houston Chronicle et Time-Life, il a couvert le programme spatial de 1963 à 1973) et Robert Button (Chargé des relations publiques de la NASA, affecté au bureau des astronautes) vont voir Shepard, pour lui proposer une idée.

Ils souhaitent organiser un gala en l’honneur du sixième anniversaire de son vol Mercury. il s’agit là du parfait prétexte pour faire la fête. Bien que n’appréciant pas particulièrement la presse, Shepard reconnut immédiatement le bien fondé d’associer son nom, à un événement susceptible de motiver une communauté qui avait clairement le cafard…

Alan Shepard fait un discours (devant lui, un sac de charbon de bois de la marque Royal Oak). Une petite blague à ses dépens…

Le gala se tint le samedi 6 mai 1967 dans la salle de bal de l’Hôtel Nassau Bay, juste en face de l’entrée principale du centre des vols spatiaux habités. Plus de 500 personnes voulurent y assister, alors que la salle ne pouvait en contenir que 300. Les choix furent parfois douloureux…

Jim Schefter fit office de maître de cérémonie. Il y avait notamment Robert Gilruth, le directeur du centre des vols spatiaux habités, Wernher von Braun le directeur du centre spatial Marshall, les six astronautes Mercury, les veuves des astronautes d’Apollo 1 Betty Grissom, Patricia White et Martha Chaffee…

C’est lors de ce gala que fut projeté le film humoristique concocté notamment par Walter Schirra, intitulé : « Astronaut Hero, or, How To Succeed In Business Without Really Flying…Much.« , qui se moquait gentiment de l’invité d’honneur, Alan Shepard.

(De g. à d.) Richard Gordon, Charles Conrad, John Young, Thomas Stafford forment le groupe « The Fearsome Foursome » (Le redoutable quatuor). Parodiant deux chansons de Broadway avec des paroles réécrites à la « gloire » de Shepard…
Betty Grissom debout, à gauche Robert Button, debout également Wernher von Braun, de dos, Paul Haney.
Wernher von Braun, au fond à droite John Glenn.

Ce gala s’avèrera être une parfaite réussite, l’événement social de l’année, de nature à redonner de l’énergie et de l’enthousiasme à tout le monde. Il était temps de se remettre au travail afin d’atteindre l’objectif du président Kennedy… Ce sera chose faite deux ans plus tard !

* La vitesse de libération est la vitesse minimale que doit atteindre un objet pour échapper définitivement à l’attraction gravitationnelle d’un astre et s’en éloigner indéfiniment.

Wernher von Braun écrit à Jacqueline Kennedy

Deux mois après l’assassinat du président Kennedy, et le succès du lancement de Saturne I SA-5, le 29 janvier 1964, la première mission orbitale du programme Apollo, qui a permis de satelliser plus de 17 tonnes, battant ainsi le record détenu par les soviétiques, Wernher von Braun écrit une lettre à la veuve du président… John Kennedy, qui, la veille de son meurtre, avait prononcé un discours à l’occasion de l’inauguration du Aerospace Medical Health Center à la base aérienne Brooks de San Antonio au Texas, qui faisait référence à ce lancement, qu’il attendait avec impatience :

« … Et en décembre, bien que je ne considère pas notre maîtrise de l’espace comme finalisée, loin de là, et bien qu’il me faille reconnaître qu’il y a des domaines où nous sommes encore en retard, au moins dans celui de la puissance des fusées, cette année je l’espère, les Etats-Unis prendront la tête… »

Effectivement ce lancement, qui aura finalement lieu fin janvier 1964, a permis aux américains de battre les soviétiques en leur donnant la capacité de satelliser des charges utiles plus « lourdes ».

Extrêmement affecté par la mort du président Kennedy, (La seule fois où sa secrétaire Bonnie Holmes l’a vu pleurer, c’est lorsqu’ils ont suivi les funérailles à la télévision, dans son bureau, au Centre Spatial Marshall.) il décide après ce vol très important pour le programme spatial américain, d’écrire à la veuve du président Kennedy…

                                                                                   1er février 1964

Chère Madame Kennedy,

Nous sommes ravis après le lancement réussi de SA-5 mercredi dernier, le cinquième lancement consécutif réussi d’une fusée Saturne I, mais le premier ayant permis une mise en orbite. Je tenais à vous dire à quel point nous sommes heureux et reconnaissants que ce test ce soit si bien déroulé. Toutes les personnes impliquées dans ce projet ne savent que trop bien, combien le défunt président attendait avec impatience ce lancement, qui permet enfin à ce pays de prendre la tête, pour ce qui concerne la capacité de satellisation. La confiance qu’il nous avait témoigné, sa foi en notre réussite, nous a énormément encouragé, mais a également placé sur nous une lourde responsabilité. Je vous joins une photo de la fusée SA-5 prise à Cap Kennedy le 16 novembre dernier. La maquette à gauche représente la partie de la fusée qui est actuellement en orbite et tourne autour de la Terre en 94 minutes. L’objet mesure 2m50 et a une masse de 17 tonnes.

Vous avez été submergée de messages de condoléances du monde entier après la mort tragique de votre époux bien aimé. Comme beaucoup, la nouvelle dramatique de Dallas a été un terrible coup personnel pour moi. Nous ne pouvons trouver un meilleur moyen d’honorer la mémoire du président que de faire notre possible pour que son rêve et sa volonté deviennent réalité, de faire en sorte que « l’amérique apprenne à naviguer sur le nouvel océan de l’espace, et soit en première position. »

Avec mes sincères condoléances et toute ma sympathie,

Wernher von Braun

Quelques jours plus tard, il reçoit une réponse de Jacqueline Kennedy, également écrite à la main, sur son papier à lettre personnel.

                                                                                    11 février 1964

Cher Dr von Braun,

Je vous remercie infiniment pour votre lettre, à propos de la Saturne, et mon mari.

Quel monde merveilleux, ce fut pendant quelques années, avec des hommes tels que vous pour exhaucer les rêves qu’il avait pour ce pays. Avec un président qui vous admirait et vous comprenait, afin qu’ensemble vous changiez la manière dont le monde perçoit l’amérique, et nous rende à nouveau fiers. S’il vous plait, accordez-moi une faveur, de temps à autres, lorsque vous annoncerez de nouveaux succès spectaculaires, dites quelque chose sur le président Kennedy et comment son action a permis d’inverser la tendance, comme cela, les gens n’oublieront pas.

J’espère que je ne suis pas la seule à penser de la sorte, c’est ma seule consolation, qu’au moins on lui a donné le temps de faire de grandes choses sur cette Terre, qui parait désormais un endroit si triste et si vide sans lui.

Il aurait pu accomplir encore tellement de choses, mais il ne faut pas y penser.

Je vous remercie infiniment pour votre missive.

Cordialement,

Jacqueline Kennedy

De g. à d. : Maquette de la Saturne I SA-5 – Robert Seamans – Wernher von Braun – John Kennedy, à Cap Canaveral le 16 novembre 1963. Six jours avant son assassinat.

Le Super Guppy, un gros poisson volant

Pour transporter de gros éléments de la fusée Saturn V, une société californienne, Aero-Space Lines, Inc. a modifié un vieux Boeing B-377 Stratocruiser et a surnommé cet avion « ballonné » Pregnant Guppy (Guppy enceinte).

Lorsque trois ans plus tard, un appareil plus grand est mis en service, permettant d’acheminer un étage entier de la Saturn V, le S-IVB, l’avion est tout naturellement appelé Very Pregnant Guppy, (Guppy enceinte jusqu’aux yeux)

Mais pas très longtemps, car les responsables demandèrent un nom plus convenable, c’est ainsi qu’il devint le Super Guppy.

Le Guppy est un petit poisson tropical d’eau douce dont la femelle gravide ressemble à ça… Bien vu !

Anecdote dans l’anecdote : Wernher von Braun a piloté le Super Guppy !