Wernher von Braun porte le nœud papillon du président Eisenhower

Moins d’une semaine après la mise en orbite du premier satellite américain, Explorer 1, le président Eisenhower invite les principaux protagonistes de ce succès, Wernher von Braun, William Pickering (le directeur du JPL) et James van Hallen, à un dîner à la Maison Blanche, afin de célébrer cet événement exceptionnel.

ll s’agit bien entendu d’une «réception à cravate blanche»* en présence de nombreux hôtes de marque.

William Pickering et Wernher von Braun sont descendus à l’hôtel Dupont Plaza de Washington en compagnie de leurs épouses, et ont prévu de partager un taxi pour se rendre au 1600 Pennsylvania Avenue.

Quelques minutes avant l’arrivée du taxi, Wernher von Braun appelle Pickering dans sa chambre :

– « Tu n’aurais pas un nœud papillon blanc en plus par hasard ? »

– «  Avec l’habit que j’ai loué il y en avait qu’un seul ! »

– «  Moi aussi j’ai loué le mien, mais il n’y avait pas ! »

– « Essaie de voir avec le directeur de l’hôtel ! » lui conseille Pickering.

L’aide de camp de Wernher von Braun avait déjà tenté d’appeler les principaux loueurs de vêtements qui à cette heure étaient tous fermés.

Quelques instants plus tard von Braun rappelle Pickering : « Le directeur de l’hôtel n’a été d’aucun secours,  bon, il ne me reste plus qu’à y aller comme ça en espérant qu’on pourra résoudre mon problème là-bas »

Von Braun appelle tout de même le secrétaire de la Maison Blanche, James Hagerty, pour lui faire part de son problème, aucun souci répond ce dernier, un nœud papillon blanc vous attendra à votre arrivée.

Lorsque le taxi s’arrête devant la Maison Blanche, quelqu’un hèle discrètement Wernher von Braun à sa descente, ce dernier disparaît quelques secondes, et revient avec autour du cou un magnifique nœud papillon blanc.

Plus tard, alors que tout le monde se trouve déjà dans l’immense salle à manger, le président, un peu en retard, apparaît enfin.

Eisenhower demande que l’on veuille bien l’excuser pour son arrivée tardive et ajoute: « Je suis confus, nous avons pourtant cherché partout, mais nous n’avons pas pu mettre la main sur mon nœud papillon blanc ! ».

Wernher von Braun est livide !  Eisenhower sera le seul à porter un nœud papillon noir ce soir là !

A-t-il jamais su que c’est Wernher von Braun qui portait le sien ?

* White-Tie Dinner est une réception très formelle pour les occasions exceptionnelles,  le « Black-Tie Dinner » est une réception formelle pour les grandes occasions – pour le premier la tenue de rigueur est le queue-de-pie avec nœud papillon blanc, pour le second c’est le smoking avec nœud papillon noir.

La collaboration entre Wernher von Braun et le magazine Collier’s

Fin 1949 George Gallup organise un sondage. La question est la suivante :

« Quelles sont d’après vous les réalisations scientifiques et techniques qui seront accomplies d’ici l’an 2000 ? » :

  • 88% des personnes répondent que d’ici là on aura trouvé un remède contre le cancer.
  • 63% estiment que les trains et les avions fonctionneront à l’énergie atomique.
  • Seulement 15% pensent que l’Homme marchera sur la Lune dans les 50 prochaines années.

Début 1955 ce dernier chiffre passe à 38%, grâce notamment aux articles publiés dans le magazine hebdomadaire (puis bimensuel à partir d’août 1953) Collier’s entre 1952 et 1954. Cette publication était diffusé à plus de 3 millions d’exemplaires, et comptait par conséquent un lectorat plusieurs fois supérieur. Il est très difficile d’évaluer exactement le nombre de lecteurs d’un magazine, puisqu’un exemplaire peut bien évidemment être lu par plusieurs personnes au sein d’une même famille, dans une salle d’attente, chez le coiffeur etc..

Ces articles de Wernher von Braun, Willy Ley, Fred Whipple, Joseph Kaplan, Heinz Haber, Fritz Haber, Hubertus Strughold, James van Hallen, Oscar Schachter, sans oublier, comment pourrait-on les oublier, les extraordinaires illustrations de Chesley Bonestell, Fred Freeman et Rolf Klep, ont eu une influence majeure sur toute une génération !

Tout commence en 1951 lorsque Willy Ley organise le premier symposium consacré au voyage spatial (Space Travel Symposium) qui se tient au muséum américain d’histoire naturelle du planétarium Hayden à New-York, avec la bénédiction de son directeur Robert Coles.

Ley considère qu’informer et éduquer les américains en matière de spatial sont des objectifs essentiels : « Le temps est venu de faire prendre conscience au public que le voyage spatial est un secteur de la science et de la technologie ».

Des conférences sont animées par des experts reconnus, comme Fred Whipple sur la haute atmosphère, Heinz Haber sur la médecine spatiale, Oscar Schachter sur la législation liée à l’espace…

Wernher von Braun n’assistera pas à ce symposium. (Pas invité ? Pas disponible ?)  Ley et von Braun se connaissent depuis longtemps, lorsqu’ils étaient membres de la VfR (Verein für Raumschiffahrt – Association pour le voyage spatial) à la fin des années 30 pendant la république de Weimar. C’est Willy Ley qui présente Wernher von Braun à Hermann Oberth en 1930… Ils reprennent contact aux Etats-Unis, à New-York, en 1946…

Des invitations sont envoyées tous azimuts; aux institutions liées à l’éducation, la recherche, mais également aux grands groupes de presse spécialisés dans la science.

Le vendredi 12 octobre, le jour de Christophe Colomb (depuis 1971 la « découverte » de l’Amérique est commémorée le deuxième lundi du mois d’octobre), plus de 200 personnes assistent à ce symposium, dont des journalistes du magazine Collier’s, qui est alors l’une des publications les plus lues aux Etats-Unis.

Les journalistes font leur rapport à leur rédacteur en chef John Gordon Manning (1917-2006), très intrigué. Du coup, il décide d’envoyer Cornelius Ryan, son adjoint, sceptique et tout aussi peu informé que lui sur les questions spatiales, ainsi que l’artiste Chesley Bonestell, au symposium sur la physique et la médecine de la haute atmosphère (Symposium on the Physics and Medicine of the Upper Atmosphere).

Ce symposium se déroule à San Antonio au Texas, du 6 au 9 novembre 1951, sous l’égide de la fondation Lovelace, et de l’école de médecine aérospatiale de l’US Air Force, où travaille Heinz Haber. Cette fois, Wernher von Braun est présent, mais pas Willy Ley.

C’est à San Antonio que les différents protagonistes se rencontrent et sympathisent. Le charismatique Wernher von Braun, persuade Cornelius Ryan du bien fondé du voyage spatial. C’est ainsi que démarre une fructueuse collaboration.

La parution du premier article dans Collier’s est précédé par une importante campagne publicitaire. Des encarts sont accrochés dans les vitrines des agences American Express de New-York et de Philadelphie, des dossiers de presse sont distribués aux radios, aux journaux, aux lycées, aux universités.

Il s’agit d’une campagne médiatique très bien orchestrée par Seth H. Moseley le directeur de la publicité chez Collier’s, dont le nom de code est Operation Underground

Wernher von Braun et Cornelius Ryan vont écumer les plateaux télé, ils passent notamment dans l’émission Camel News Caravan sur NBC présentée par John Cameron Swayze (1906-1995), vue par environ 5,5 millions d’américains, dans Today, toujours sur NBC présenté par Dave Garroway (1913-1982), vu par 2,5 millions de téléspectateurs, dans le Garry Moore Show sur CBS avec 1 million de téléspectateurs. Garry Moore (1915-1993)…

(De d. à g.) Rolf Klep, Willy Ley, Heinz Haber, Wernher von Braun, Fred L. Whipple, Chesley Bonestell.

(De g. à d.) Willy Ley, Fred L. Whipple, Wernher von Braun, Chesley Bonestell, Rolf Klep, Fred Freeman, Cornelius Ryan.

Le premier numéro de la série consacré à la conquête de l’espace parait le 22 mars 1952, en réalité il est distribué dans les kiosques une semaine avant, et le dernier le 30 avril 1954.

22 mars 1952 – Man Will Conquer Space Soon !

Collectif, What are we Waiting For ? (p. 22-23)

Dr. Wernher von Braun, Crossing the Last Frontier (p. 24-29, 72, 74)

Willy Ley, A Station in Space (p. 30-31)

Dr. Fred L. Whipple, The Heavens Open (p. 32-33)

Dr. Joseph Kaplan, This Side of Infinity (p. 34)

Dr. Heinz Haber, Can We Survive In Space ? (p. 35, 65-67)

Oscar Schachter, Who Owns the Universe ? (p. 36, 70-71)

Space Quiz Around the Editor’s Desk (p. 38-39)

18 octobre 1952 – Man on the Moon (1)

Collectif, Man on the Moon ? (p. 51)

Dr. Wernher von Braun, The Journey (p. 52-58, 60)

Willy Ley, Inside the Moon Ship (p. 56)

25 octobre 1952 – Man on the Moon (2)

Dr. Fred Whipple et Dr. Wernher von Braun, The Exploration (p. 38-40, 44-48)

Willy Ley, Inside the Lunar Base (p. 46)

28 février 1953 – Man’s Survival in Space (1)

Collectif, Man’s Survival in Space (p. 40-41)

Collectif, Picking the Men (p. 42-48)

7 mars 1953 – Man’s Survival in Space (2)

Collectif, Testing the Men (p. 56-63)

14 mars 1953 – Man’s Survival in Space (3)

Collectif, Emergency ! (p. 38-44)

27 juin 1953 – The Baby Space Station: First Step in the Conquest of Space

Dr. Wernher von Braun et Cornelius Ryan, Baby Space Station (p. 33-35, 40)

30 avril 1954 – Can We Get to Mars? / Is There Life on Mars?

Dr. Fred L. Whipple, Is There Life on Mars ? (p. 21)

Dr. Wernher von Braun et Cornelius Ryan, Can We Get to Mars ? (p. 22-29)

Wernher von Braun avait bien compris que pour envoyer un homme dans l’espace il ne fallait pas seulement convaincre les scientifiques, les industriels et les politiques mais également et surtout… le contribuable !

Après 20 ans dans le giron de l’armée, d’abord en Allemagne puis aux Etats-Unis, von Braun le plus grand expert en fusées du monde, peut enfin s’affranchir de ce carcan, et par le biais d’un magazine grand public ayant une audience nationale, de plus de deux millions de lecteurs, informer le grand public de sa vision, de son plan pour explorer l’espace.

Après la presse écrite, Wernher von Braun collabore en 1954 avec Walter Elias Disney, qui souhaite produire des émissions consacrées à la conquête de l’espace, dans le cadre de son émission hebdomadaire Disneyland, qui seront diffusées sur la chaîne ABC, et qui bien évidemment, auront un impact encore plus important… Mais ça c’est une autre histoire, que l’on peut retrouver ici.

Ci-dessous une compilation des articles. (Le chargement peut prendre plusieurs minutes selon le débit de votre connexion internet.)

Collier’s