Wernher von Braun menace de démissionner

Bien que la transition de l’équipe de Wernher von Braun de l’ABMA (Army Ballistic Missile Agency – Agence des missiles balistiques de l’armée de terre) vers la NASA, en juillet 1960, se soit relativement bien passée, compte tenu de l’ampleur de ce transfert, un problème de taille a vu le jour début 1961.

Le différent concernait les prérogatives du Laboratoire Guidage et Contrôle dirigé par le Dr Walter Häussermann (1914-2010), au sein du Centre Spatial Marshall de Wernher von Braun. Alors que le laboratoire peaufinait le système de guidage et de contrôle de la Saturne 1 ainsi que tous les sous-systèmes avioniques, le quartier général de la NASA envoie une directive totalement inattendue au Marshall. Cette directive émane du Directeur des lanceurs spatiaux, le général Donald R. Ostrander (1914-1972), qui occupa ce poste d’octobre 1959 à août 1961.

Le document ordonne l’arrêt séance tenante du développement final du système de guidage de la Saturne 1, et son remplacement par le système de guidage de l’étage Centaur, qui consiste en une plateforme inertielle Minneapolis-Honeywell et un ordinateur Librascope Digital.

Une directive qui a bien évidemment causé une certaine consternation.

Les travaux sur le système de guidage avaient déjà commencé avant l’intégration de l’équipe de von Braun à la NASA… Le fond du problème et les implications de cette directive vont bien au-delà, puisque cela remet en cause les responsabilités techniques du centre par rapport au QG, et ne constitue ni plus ni moins qu’une ingérence.

Le Dr Walter Häussermann proteste en répondant à Ostrander que le système de guidage de l’étage Centaur n’est pas adapté à la Saturne 1. La réponse du général est sans appel, la directive doit être appliquée. Haueussermann menace de démissionner, Wernher von Braun essai de le raisonner et lui propose de l’accompagner à Washington pour une petite entrevue avec ce général.

Wernher von Braun souhaite rencontrer le général entre quatre yeux, et demande à Häussermann de bien vouloir l’attendre. Au bout de 15 minutes von Braun sort du bureau de Donald Ostrander avec un large sourire : « La directive va être annulée. »

– Comment as-tu fait pour obtenir ce résultat si rapidement ?

La réponse de Wernher von Braun, tout sourire : « Je lui ai dit que si la directive n’est pas annulée, je démissionne ! »

L’ordre fut annulé, et le laboratoire continua le développement du système de guidage de la Saturne I (Plateforme ST-124 et un ordinateur ASC-15 d’IBM)…

Le général Don Ostrander quitta la NASA quelques mois plus tard et retourna à l’Air Force.

(De g. à d.) Hans Maus, Donald Ostrander, Wernher von Braun.

Wernher von Braun écrit à Jacqueline Kennedy

Deux mois après l’assassinat du président Kennedy, et le succès du lancement de Saturne I SA-5, le 29 janvier 1964, la première mission orbitale du programme Apollo, qui a permis de satelliser plus de 17 tonnes, battant ainsi le record détenu par les soviétiques, Wernher von Braun écrit une lettre à la veuve du président… John Kennedy, qui, la veille de son meurtre, avait prononcé un discours à l’occasion de l’inauguration du Aerospace Medical Health Center à la base aérienne Brooks de San Antonio au Texas, qui faisait référence à ce lancement, qu’il attendait avec impatience :

« … Et en décembre, bien que je ne considère pas notre maîtrise de l’espace comme finalisée, loin de là, et bien qu’il me faille reconnaître qu’il y a des domaines où nous sommes encore en retard, au moins dans celui de la puissance des fusées, cette année je l’espère, les Etats-Unis prendront la tête… »

Effectivement ce lancement, qui aura finalement lieu fin janvier 1964, a permis aux américains de battre les soviétiques en leur donnant la capacité de satelliser des charges utiles plus « lourdes ».

Extrêmement affecté par la mort du président Kennedy, (La seule fois où sa secrétaire Bonnie Holmes l’a vu pleurer, c’est lorsqu’ils ont suivi les funérailles à la télévision, dans son bureau, au Centre Spatial Marshall.) il décide après ce vol très important pour le programme spatial américain, d’écrire à la veuve du président Kennedy…

                                                                                   1er février 1964

Chère Madame Kennedy,

Nous sommes ravis après le lancement réussi de SA-5 mercredi dernier, le cinquième lancement consécutif réussi d’une fusée Saturne I, mais le premier ayant permis une mise en orbite. Je tenais à vous dire à quel point nous sommes heureux et reconnaissants que ce test ce soit si bien déroulé. Toutes les personnes impliquées dans ce projet ne savent que trop bien, combien le défunt président attendait avec impatience ce lancement, qui permet enfin à ce pays de prendre la tête, pour ce qui concerne la capacité de satellisation. La confiance qu’il nous avait témoigné, sa foi en notre réussite, nous a énormément encouragé, mais a également placé sur nous une lourde responsabilité. Je vous joins une photo de la fusée SA-5 prise à Cap Kennedy le 16 novembre dernier. La maquette à gauche représente la partie de la fusée qui est actuellement en orbite et tourne autour de la Terre en 94 minutes. L’objet mesure 2m50 et a une masse de 17 tonnes.

Vous avez été submergée de messages de condoléances du monde entier après la mort tragique de votre époux bien aimé. Comme beaucoup, la nouvelle dramatique de Dallas a été un terrible coup personnel pour moi. Nous ne pouvons trouver un meilleur moyen d’honorer la mémoire du président que de faire notre possible pour que son rêve et sa volonté deviennent réalité, de faire en sorte que « l’amérique apprenne à naviguer sur le nouvel océan de l’espace, et soit en première position. »

Avec mes sincères condoléances et toute ma sympathie,

Wernher von Braun

Quelques jours plus tard, il reçoit une réponse de Jacqueline Kennedy, également écrite à la main, sur son papier à lettre personnel.

                                                                                    11 février 1964

Cher Dr von Braun,

Je vous remercie infiniment pour votre lettre, à propos de la Saturne, et mon mari.

Quel monde merveilleux, ce fut pendant quelques années, avec des hommes tels que vous pour exhaucer les rêves qu’il avait pour ce pays. Avec un président qui vous admirait et vous comprenait, afin qu’ensemble vous changiez la manière dont le monde perçoit l’amérique, et nous rende à nouveau fiers. S’il vous plait, accordez-moi une faveur, de temps à autres, lorsque vous annoncerez de nouveaux succès spectaculaires, dites quelque chose sur le président Kennedy et comment son action a permis d’inverser la tendance, comme cela, les gens n’oublieront pas.

J’espère que je ne suis pas la seule à penser de la sorte, c’est ma seule consolation, qu’au moins on lui a donné le temps de faire de grandes choses sur cette Terre, qui parait désormais un endroit si triste et si vide sans lui.

Il aurait pu accomplir encore tellement de choses, mais il ne faut pas y penser.

Je vous remercie infiniment pour votre missive.

Cordialement,

Jacqueline Kennedy

De g. à d. : Maquette de la Saturne I SA-5 – Robert Seamans – Wernher von Braun – John Kennedy, à Cap Canaveral le 16 novembre 1963. Six jours avant son assassinat.

Willy Brandt assiste au lancement d’Apollo 13

Willy Brandt (1913-1992), le chancelier de la république fédérale d’Allemagne, qui sera l’homme de l’année 1970 du magazine Time, et recevra le prix Nobel de la paix en 1971, est en visite officielle aux Etats-Unis du 4 au 11 avril 1970.

C’est la veille du décollage d’Apollo 13, auquel il doit assister, que se déroule le dîner officiel à la Maison-Blanche, en présence des principaux représentants de chacun des deux pays.

Le président Richard Nixon (1913-1994) a tenu à ce que Wernher von Braun et son épouse fassent partie des convives.

La réception à la Maison-Blanche commence à 20 heures. Lors du discours de bienvenue Richard Nixon déclare notamment : « Nous sommes particulièrement heureux, parce que demain, vous allez assister au lancement d’Apollo 13. Nous sommes également très honorés ce soir par la présence du Dr Wernher von Braun, qui nous rappelle la dette que nous avons envers ceux qui nous ont aidé dans nos projets spatiaux, et qui ont des origines allemandes. »

Le président précise également qu’il a appelé les astronautes James Lovell et ses collègues d’Apollo 13, au moment où ils dînaient. (L’appel a duré 5 minutes, de 19:34 à 19:39.) « Je leur ai souhaité bonne chance et leur ait confirmé que le Chancelier assisterai au décollage. Et qu’on annonçait un bien meilleur temps que l’année dernière, lorsque j’y ai moi-même assisté. »

Le dîner se termine à 23:20, lorsque le couple Nixon prend congé du couple Brandt, sous le portique Nord.

Le lendemain, Wernher von Braun fait le voyage à destination du Centre Spatial Kennedy, dans un avion présidentiel, en compagnie du chancelier Brandt. Pendant le vol, il lui explique en détail le déroulement de la mission.

Assis au centre, le chancelier de la république fédérale d’Allemagne Willy Brandt, à sa gauche, debout Wernher von Braun, à sa droite, assis, le vice-président des Etats-Unis, Spiro Agnew. (http://www.alamy.com/)

Le président Nixon a également téléphoné à l’astronaute Kenneth Mattingly, pour l’assurer de son soutien après son remplacement à la dernière minute (trois jours avant) par Jack Swigert. Les médecins craignaient qu’il ne soit porteur du virus de la rougeole, contracté par Charles Duke (de l’équipage remplaçant), qui avait côtoyé l’enfant d’un ami qui l’avait attrapé.

Pour l’anecdote, Nixon essaya de le joindre a plusieurs reprises la journée du 10 pour finalement ne l’avoir au bout du fil que le 11 à 11:47 très exactement, leur conversation dure moins de deux minutes.

Kurt Debus le directeur du centre spatial Kennedy offre à Willy Brandt un casque blanc – NASA Launch Control Center’s firing room
Au centre avec les lunettes noires, Wernher von Braun, devant lui le chancelier Willy Brandt, dans la tribune VIP du Centre Spatial Kennedy. (http://www.alamy.com/)
Willy Brandt serre la main du vice-président américain Spiro Agnew (1918-1996). A la gauche de Willy Brandt sa deuxième épouse, Rut (1920-2006). (http://www.alamy.com/)

La mission Apollo 13 ne soulève pas l’enthousiasme des foules, 100 000 touristes, comparé au million ayant assisté au lancement d’Apollo 11, et seulement 700 journalistes, bien moins que les 2 000 présents le 16 juillet 1969… Mais cela changera deux jours plus tard…