Explorer 1 – Huntsville brûle une effigie de Charles Wilson

Le succès de la mise en orbite du premier satellite américain, Explorer 1 , le 1er février 1958,  120 jours après Spoutnik 1, et 57 jours après le fiasco de Vanguard TV3, déclenche une vague de fierté et de satisfaction à travers tous les Etats-Unis.

Le Président Eisenhower apprend la nouvelle alors qu’il se trouve en vacances à Augusta en Géorgie, il ne s’est pas couché, il a attendu jusqu’aux premières heures du matin : « C’est magnifique » répète-t-il trois fois, « Je me sens beaucoup mieux maintenant » confie-t-il à son secrétaire.

Lorsque la mise en orbite du satellite est confirmée, les autorités américaines annoncent que les résultats scientifiques, glanés par Explorer 1, seront transmis au siège de l’Année Géophysique Internationale (AGI) à Bruxelles. Peu après, mais peut-être est-ce une coïncidence, les soviétiques, qui n’avaient alors encore rien transmis de ce qu’ils avaient pu apprendre grâce aux Spoutnik 1 et 2, font savoir que les informations ont été envoyées par courrier au siège de l’AGI…

C’est bien sûr à Huntsville, que les festivités sont les plus jubilatoires… La « Rocket City », dont la population a pratiquement été multipliée par quatre, au cours des sept dernières années, après l’arrivée de Wernher von Braun et son équipe au Redstone Arsenal, au sein de l’Agence des Missiles Balistiques de l’Armée de Terre ( Army Ballistic Missile Agency) dirigée par le général John Medaris, célèbre avec gratitude le succès de la fusée Jupiter C (appelée également Juno).

Le maire de Huntsville, Robert Searcy,  lance personnellement un appel sur les ondes pour demander à tous ces concitoyens de célébrer cet événement en descendant dans la rue.  Concerts de klaxons, pétards, sirènes de police, toute la population de Huntsville est en liesse !

Von braun,Searcy, Medaris 1959 site

Les habitants n’oublient pas le rôle joué par l’ancien secrétaire de la Défense, Charles Erwin Wilson (1890-1961), qui avait limité la portée des fusées de l’armée de Terre à 300 km, empêchant Wernher von Braun et son équipe de lancer un satellite dès 1956. C’est également lui qui est officiellement responsable de l’attribution du projet de satellite artificiel, dans le cadre de l’AGI, à la Navy (Projet Vanguard) !

Rancunière, la population de Huntsville brûlera une effigie de Charles Wilson sur Courthouse Square !

Effigie de Charles Wilson site

Wernher von Braun et le X-15

En 1959, Wernher von Braun et quelques anciens de Peenemünde dont Friedrich von Saurma et Joachim Küttner, se rendent dans le désert, non loin de la base aérienne d’Edwards, pour assister à un vol du fabuleux X-15 piloté par Scott Crossfield.

Pilote émérite, Wernher von Braun eut l’occasion de prendre place dans le cockpit du premier avion spatial de l’Histoire, pour apprécier l’ergonomie du tableau de bord, et se rendre compte du champ de vision du pilote une fois la verrière refermée.

WVB dans cockpit du X-15
WvB dans le X-15

Wernher von Braun et William Francis Raborn

Lors d’un dîner-conférence qui s’est tenu à Williamsburg (Virginie) en 1965, Thomas L. Hugues, le Directeur du bureau de l’Intelligence et de la Recherche* est assis à côté de Wernher von Braun. Les deux hommes discutent lorsque leur conversation est interrompue par des bruits venant de l’estrade. Une harpiste s’installe sur scène, suivie par une personne qu’ils semblent reconnaître. Von Braun demande : « Est-ce bien la personne que je crois ? »
– Oui, j’ai bien peur qu’il s’agisse de notre nouveau directeur du renseignement**, l’amiral Raborn !
– Va-t-il pousser la chansonnette ?
– J’ai bien peur que oui !
L’interprétation très virile de deux chansons, « Danny Boy » et « When Irish Eyes are Smiling », qui sont des « hymnes » pour les irlando-américains, provoqua une remarque pleine de malice de Wernher Von Braun : « Comme l’a dit Goethe ; Amérique, tu es mieux lotie ! »

Von Braun fait référence à ce petit poème de Johann Wolfgang von Goethe (1749-1832) :

Amerika, du hast es besser
Als unser Kontinent, der alte,
Hast keine verfallenen Schlösser
Und keine Basalte.
Dich stört nicht im Innern,
Zu lebendiger Zeit,
Unnützes Erinnern
Und vergeblicher Streit.
Benutzt die Gegenwart mit Glück!
Und wenn nun Eure Kinder dichten,
Bewahre sie ein gut Geschick
Vor Ritter, Räuber und Gespenstergeschichten.

Que l’on peut traduire par :

Amérique, tu es mieux lotie
Que notre vieux continent,
Tu n’as pas de châteaux délabrés
Et pas de dépôts de basalte
Ton présent n’est pas gâché
Par d’inutiles souvenirs
Et de vains conflits
Profite du présent avec bonne fortune
Et si tes enfants écrivent de la poésie
Qu’un sort favorable veuille bien les garder d’écrire
Des Histoires de chevaliers, de gueux, et de fantômes.

* en anglais : Director of the Bureau of Intelligence and Research, et depuis 1986, Assistant Secretary of State for Intelligence and Research.

** en anglais : Director of Central Intelligence , DCI. William Raborn (1905-1990) est nommé DCI par le Président Johnson le 28 juin 1965. Il démissionne le 30 juin 1966.