Wernher von Braun à la tête du programme spatial habité ?

Une des décisions les plus cruciales, après la réorganisation de la NASA fin 1961, fut la nomination du responsable du Bureau des Vols Spatiaux habités.

L’ « Office of Manned Space Flight * – OMSF », précédemment le « Office of Space Flight Programs », dirigé par Abraham Silverstein, que James Webb l’Administrateur de la NASA fraîchement nommé par John Kennedy en février 1961, voulait remplacer, ce, après un entretien au cours duquel Silverstein avait eu des prétentions de Tsar, selon les propres termes de James Webb.

Un choix d’autant plus crucial que le Directeur du OMSF aurait bien évidemment la lourde charge de diriger et coordonner le programme Apollo !

La Triade ; James Webb, Hugh Dryden, Administrateur Adjoint, et Robert Seamans, Administrateur Associé, tous trois confirmés dans leurs fonctions, les deux premiers par le Président des Etats-Unis et le Sénat à l’unanimité, le dernier par James Webb, ont séparément retenu quatre personnes :

– Bernard Shriever de l’US Air Force, en charge du Air Force Systems Command qui gère plus de 40% du budget de l’Air Force.
– Levering Smith, qui dirigeait les programmes de missiles Polaris et Poseidon à l’US Navy.
– Brainerd Holmes qui au sein de la RCA (Radio Corporation of America) avait dirigé le Ballistic Missile Early Warning System (BMEWS).
– Wernher von Braun, Directeur du Centre Spatial Marshall depuis quelques mois.

Ce dernier avait la préférence de Webb et Seamans. N’avait-il pas été le Directeur Technique du plus grand et du plus moderne centre de recherche du monde, en son temps, à Peenemünde ?

Mais lorsque James Webb demande à Robert Seamans d’en parler à Hugh Dryden, pour savoir ce qu’il en pense, ce dernier répond après un très long silence : « Jim et toi pouvez faire ce que vous voulez, mais je démissionne si on lui confie ce poste ! »

Lorsqu’il a fallu prendre une décision collégiale, c’est finalement Brainerd Holmes qui fut choisi. Il quittera cette fonction au bout de deux ans (le 12 juin 1963) en raison de dissensions avec James Webb. Holmes sera remplacé par Georges Mueller (prononcer Miller) le 1er septembre…

Dryden Webb Seamans

Hugh L. Dryden, James E. Webb, Robert C. Seamans.

La « Triade » dans le bureau de James Webb (Image NASA 66-H-93)

* Dans l’organigramme actuel de la NASA cette entité correspond désormais à « Human Explorations and Operations Directorate».

Lehr und Kunst

Les divers centres de la NASA sont disséminés dans une dizaine d’états pour des raisons éminemment politiques. Il eut été pourtant économiquement plus sensé de regrouper géographiquement certains centres…

Rudolf Hoelker* se souvient qu’à Peenemünde, les ingénieurs et techniciens impliqués dans le développement de la fusée A4, pouvaient tout à loisir assister aux lancements d’essai, dans la mesure où toutes les installations étaient réunies sur le même site. (Bureaux d’études, laboratoires, halls d’assemblage, pas de tir etc…)

« A l’époque les règles de sécurité n’étaient pas très élaborées, ainsi à l’approche du temps X (T-0) ingénieurs et techniciens sortaient pour voir leur création s’élever dans le ciel.

Certains montaient sur les toits pour avoir un point de vue imprenable. Chaque fois l’excitation était à son comble !  Cette relation étroite entre théorie et pratique (Lehr und Kunst) fut l’une des raisons de nos succès et a largement contribué à notre ardeur et enthousiasme au travail… Ce fut une vie si gratifiante ! »

Il se trouve que la formule, en allemand, « Lehr und Kunst » est la devise de l’Institut Polytechnique de Worcester (Worcester Polytechnic Institute), la ville de naissance de Robert Goddard. C’est au WPI qu’il  a obtenu une licence de physique en 1908.

C’est en 1907, que les travaux de Goddard ont pour la première fois retenu l’attention du public, ce, à l’occasion d’un test de fusée à poudre, dans un bruit assourdissant et une épaisse fumée, réalisé dans les sous-sols du bâtiment de Physique. Heureusement, les responsables, bien conscients de la valeur de ses recherches, ne l’ont pas renvoyé !

* Rudolf F. Hoelker (16 mars 1912 – 14 juin 2003) Mathématicien, membre original de la Rocket Team, directeur de la division Astrodynamics and Guidance Theory, au sein du laboratoire aero-astrodynamics du Marshall Space Flight Center dirigé par Ernst Geissler.

Les ingénieurs soviétiques sont jaloux

Grâce à leurs  nombreux « chalutiers » bardés d’antennes, qui « pêchent » dans les eaux internationales au large de Cap Canaveral, et sur la trajectoire des fusées, sans compter quelques sous-marins, les soviétiques observent et sont à l’écoute…

Ainsi lors du deuxième vol d’essai d’une Saturn V, le 4 avril 1968, (SA 502 – Apollo 6) les ingénieurs soviétiques sont médusés. Ils ne peuvent croire à la diversité, au volume et à la précision des données retransmises en direct par télémétrie au centre de lancement.

Ils sont jaloux, selon les propres termes de Boris Chertok*, de constater que chaque ingénieur reçoit les données qui le concernent sur sa console ; et qu’il peut les visionner directement sur son moniteur, confortablement assis dans un fauteuil.

Ainsi par exemple, lors du premier vol de la Saturn V, le 9 novembre 1967, pas moins de 3 552 mesures, sont continuellement relayées en temps réel vers les consoles des ingénieurs du Centre de Contrôle des Lancements. (LCC – Launch Control Center).

En comparaison, en 1943, le nombre de mesures envoyées par télémétrie à partir d’une fusée A4, était de 4.

* Boris Yevseyevich Chertok, « Raketi i lyudi », Mashinostroenie, Moscou, 1994-1999. Autobiographie en 4 volumes de l’un des assistants en chef de Sergueï Koroliov. Traduction en anglais : « Rockets and People » / NASA History Office