Gordon Cooper, non je ne veux pas y aller

Quelques temps avant le tout premier vol Mercury, Jack King, (Public Affairs Officer) avait autorisé la presse à venir filmer une reconstitution des derniers instants avant le vol, c’est-à-dire le moment où l’astronaute prend l’ascenseur pour accéder à la capsule.

Le film devait passer à la télé le jour du premier vol. Pas de direct, car le jour J, les journalistes ne seraient pas autorisés à accéder au pas de tir.

Etaient présents, Bill Douglas, médecin, Joe Schmitt, responsable des combinaisons spatiales, l’astronaute Gordon Cooper en combinaison, et Guenter Wendt.

Tous les quatre quittent le Hangar S et montent dans un van de la NASA, direction le pad…

« Voilà ce que nous allons faire » dit Cooper.
Bill Douglas, Joe Schmitt et Guenter Wendt se regardent éberlués lorsque Gordon Cooper leur annonce ce qu’il veut faire !

Guenter Wendt : « Tu vas tous nous faire virer ! »
Cooper : « Qu’est-ce qu’il y a Guenter ? Tu as les chocottes ? »
Guenter Wendt : « Allons-y ! »

Ils descendent du van, accueillis par de nombreux photographes et cameramen.

Jack King, ouvre fièrement la marche, et Gordon Cooper dans sa combinaison immaculée, portant sa « valise d’oxygène », joue son rôle d’intrépide astronaute.

Tous sont déjà entrés dans l’ascenseur, lorsque Cooper se fige, regarde la fusée Redstone de haut en bas, comme s’il la voyait pour la première fois, s’accroche à la porte, et hurle : «Nooon… Non, je ne veux pas y aller ! ».

Guenter Wendt et les autres l’attrapent comme ils peuvent, font mine de le forcer à monter dans l’ascenseur, et claquent le rideau métallique !

Alors qu’ils sont tous hilares, ils entendent la voix hystérique de Jack King : «Eteignez toutes les caméras, plus de photos ! »

Dans le numéro d’ « Aviation Week & Space Technology » paru quelques jours plus tard, les journalistes du magazine ont demandé le renvoi de Joe Schmitt et Guenter Wendt, et ont proposé que Gordon Cooper et Bill Douglas soient dégradés, tous les deux étaient encore militaires.

A compter de ce jour, chaque fois que Guenter Wendt et Gordon Cooper se voyaient, ils s’interpellaient par : « soldat de cinquième classe ».

Pour ses vols MA-9 et  GT-5, lorsqu’il est entré dans la « White Room », Gordon Cooper s’est mis au garde à vous devant Guenter Wendt, et en le saluant, s’est présenté en disant : « Soldat de cinquième classe au rapport. »

Gemini V Cooper salut Guenter Wendt

Gordon Cooper est mort le 4 octobre 2004.

 » Who’s the best pilot ? « 

Mister Cool

Lors de la mission Gemini 5, en août 1965, qui a duré 7 jours, 22 heures et 55 minutes, Gordon Cooper a une fois de plus confirmé sa réputation de « Mister Cool ».

Pendant le décollage son rythme cardiaque n’a pas dépassé les 135 battements par minute, 10 de moins que Conrad, dont c’était il est vrai le premier vol spatial (deuxième vol de Cooper), et bien inférieur à celui de quelques uns des contrôleurs de vol équipés d’électrocardiogrammes.

Lorsqu’au cinquième jour, le CapCom annonce fièrement qu’ils viennent de battre le record soviétique de 119 heures de présence consécutive dans l’espace détenu par Valeri Bikovski (Vostok 5 – juin 1963), Cooper marmonne: « Ben, c’est pas trop tôt ! »

(A noter qu’à ce jour Valeri Bikovski détient toujours le record de durée d’un vol spatial en solitaire.)

Le « badge Cooper »

Voici une traduction, par votre serviteur, de fameux mémorandum de James Webb concernant l’affaire du premier badge de mission… (Une lecture entre les lignes laisse entrevoir pas mal de choses !)

14 août  1965

MEMORANDUM pour:  Mr. Donald K. Slayton, MSC, Houston, Texas

Comme convenu à Houston, la question des badges ou écussons d’identification que Cooper et Conrad souhaitent porter pour Gemini 5 a été longuement examinée.  Gilruth, Mueller, Dryden, Seamans et moi-même avons donné notre accord assorti des conditions suivantes :

  1. Pour GT-5 et les futures missions Gemini, cette identification devra être portée au niveau droit du torse, juste sous le nom de l’astronaute, ledit badge ne devra pas être plus grand que le logo de la NASA porté à gauche. Désormais  ce badge sera désigné par le terme générique de « badge Cooper ». Si un tel « badge Cooper » ne devait plus être porté, les mentions « Gemini 6 » ou « Gemini 7 » seront ajoutés sous le nom de l’astronaute.
  2. Pour GT-5 le « badge Cooper » sera celui qui a été proposé, exception faite que sa taille devra être en accord avec le paragraphe 1 ci-dessus ; à moins qu’il soit impossible d’en refaire faire à temps, et il doit être porté sur la combinaison à l’endroit précisé ci-dessus.
  3. Pour les vols subséquents, le commandant de la mission ou le pilote seront autorisés à concevoir ou faire concevoir un « badge Cooper » pour leur vol, qui devra être validé au préalable par le Directeur du Centre des Vaisseaux Spatiaux Habités et par l’administrateur adjoint pour les vols spatiaux. Jusqu’à plus ample informé, l’administrateur adjoint en charge des vols spatiaux habités, avant  accord définitif, soumettra le badge à l’Administrateur pour approbation.
  4. Des règles pour les vols suivants seront édictées par le Directeur du Centre des Vaisseaux Spatiaux Habités

 Bien que  la décision prise ci-avant l’ait été en raison de l’insistance personnelle de Cooper à mon égard, je dois avouer que j’ai une certaine inquiétude, liée  au fait que cette requête m’ait été présentée si tardivement  et que les sujets les plus urgents et les plus importants concernant  le programme Gemini semblent être liés à une telle considération morale présentée au tout dernier moment. Je crois qu’il est de votre responsabilité d’éviter cela à l’avenir.

Lorsque nous devons faire face à des sujets qui affectent la façon dont les pays étrangers et les autres nationalités peuvent  percevoir  nos faits et gestes, nous ne pouvons pas laisser à l’équipage seul la responsabilité de ces décisions. Nous devons faire abstraction de leur velléité d’individualité. Dans le cas qui nous occupe, le Dr Gilruth et moi-même avons de très fortes réticences concernant la devise « huit jours ou c’est le fiasco ». Je souhaiterais en conséquence qu’elle soit supprimée. Si le vol ne dure pas 8 jours, nombreux sont ceux qui diront que c’est un échec. Qui plus est, indépendamment du fait que la mission dure 8 jours ou non, la manière dont cette phrase sera traduite dans  certains pays étrangers est potentiellement susceptible de porter atteinte à l’image des Etats-Unis.

Comme je l’ai expliqué à Cooper, il est réellement dans mes intentions d’être à l’écoute des desiderata, même personnels, de chacun des sept premiers astronautes.  A chacun d’eux, comme à ceux qui furent de vrais pionniers, nous nous efforcerons de prêter une oreille bienveillante et attentive, quelle que soit la demande, et nous leur laisserons  toujours le bénéfice du moindre doute. Je pense toutefois, qu’ils doivent, ainsi que tous les astronautes, apprendre à avoir le même respect envers les hauts responsables de cette agence, qui sont tenus d’avoir, sur ce type de sujet, une vision beaucoup plus globale que la leur.

James E. Webb
Administrateur