Le pari entre James Webb et George Kistiakowsky

« Début février 1962, l’un des conseillers scientifique du Président des Etats-Unis, George B. Kistiakowsky (1900-1982) a parié 10 dollars avec James Webb (1906-1992), l’Administrateur de la NASA, que John Glenn ne volerait jamais.

Webb a relevé le pari et l’a gagné le 20 février 1962 lorsque John Glenn a tourné trois fois autour de la Terre lors du troisième vol de programme Mercury, Friendship 7, qui a duré 4 heures et 55 minutes.

Messieurs Kistiakowsky et Webb ont signé le billet de 20 dollars utilisé pour le paiement. Ce billet souvenir faisait partie de la collection personnelle de James Webb, il en fit don au Musée de l’Air et de l’Espace de Washington en 1984. »

Cette anecdote est rapportée telle quelle sur le site du musée.

On ne peut être que très étonné par ce pari, tel qu’il est rapporté là, car comment George Kistiakowsky, pourtant très bien informé, a-t-il pu parier début février 1962 que John Glenn ne volerait jamais (would never fly)  ? Après les différents reports de fin janvier et début février n’a-t-il pas plutôt parié que John Glenn ne s’envolerait pas durant le mois de février ?

Quoi qu’il en soit, voici le billet de 20 dollars utilisé pour acquitter son pari de 10 dollars !

Crédit photo : National Air and Space Museum – Washington D.C.

Friendship 7 et les Leprechauns

En ce matin du 20 février 1962, Thomas Joseph O’Malley (1915-2009) qui dirige l’équipe de lancement de la General Dynamics, le constructeur de la fusée Atlas, se trouve dans le blockhaus situé à quelques dizaines de mètres du pas de tir 14, où John Glenn, dans sa capsule Friendship 7, attend le lancement (Mission Mercury-Atlas 6).

Thomas J. O’Malley (1915-2009), John H. Glenn (1921-2016) et Paul C.Donnelly  responsable des tests du vaisseau spatial sur le pas de tir. (1923-2014) – Crédit photo : NASA – 24 janvier 1962

T. J. O’Malley vérifie la check-list et annonce « T-18 secondes, allumage des moteurs » en appuyant sur le bouton noir * de sa console, démarrant ainsi la séquence de mise à feu de la fusée Atlas LV-3B 109-D.

En réponse, son supérieur, Byron MacNabb responsable des opérations du programme Atlas, assis dans le Centre de Contrôle Mercury dit alors : « May the wee ones be with you, Thomas« .

Il s’agit d’un vœu de bonne chance qui fait référence aux leprechauns, sortes de lutins du folklore Irlandais. « Que les petites créatures (leprechauns) soient avec vous Thomas ». (« Si jamais il se fait capturer, le leprechaun peut exaucer trois vœux en échange de sa libération. »)

 ← Byron MacNabb (1910-1997)

En entendant cela O’Malley fait le signe de croix et ajoute : « Que le bon Dieu nous accompagne tout au long du vol » (« Good Lord ride all the way »).

C’est après avoir entendu ces diverses invocations que Scott Carpenter prononce la phrase mythique : « Godspeed John Glenn« 

Anecdotes dans l’anecdote :

  • Thomas O’Malley fera monter le fameux bouton noir sur une plaque en bois, souvenir qu’il conservera précieusement toute sa vie.
  • T.J. O’Malley et Paul Donnelly étaient d’origine irlandaise, Byron MacNabb et John Glenn d’origine écossaise !

Le Leprechaun, créature féérique du folklore irlandais

Godspeed John Glenn

Le dernier astronaute encore en vie du mythique groupe 1, « Les Sept Premiers », nous a quittés à son tour ce jeudi 8 décembre, à pratiquement 95 ans et demi.

Un héros national entré dans la légende de la conquête de l’espace.

Son premier vol spatial, le premier vol orbital américain, a été une « catharsis nationale sans précédent » selon les termes de l’historien Walter McDougall.

Ce premier vol de John Glenn est le troisième vol spatial orbital après celui de Youri Gagarine le 12 avril 1961 et celui de Guerman Titov le 6 août 1961. A la différence des deux premiers qui s’éjectent en parachute (« détail » sur lequel les soviétiques ont menti), John Glenn revient sur Terre dans sa « capsule », il est donc en réalité le premier « astronaute orbital » selon la règle de la Fédération Internationale d’Astronautique qui stipule qu’un pilote doit atterrir dans son vaisseau spatial pour que le vol soit homologué !

Le titre choisi pour évoquer la disparition de John Glenn n’est pas très original c’est le moins que l’on puisse dire. Cette phrase très largement reprise ces deux derniers jours, contient les trois mots parmi les plus mémorables du programme Mercury, elle fut prononcée par Scott Carpenter, la doublure de Glenn pour cette mission, ce matin du 20 février 1962 quelques secondes avant la mise à feu de la fusée Atlas. Bons vœux que John Glenn n’a pas pu entendre, il les découvrira à l’issue du vol en écoutant les enregistrements des conversations.

La formule godspeed est issue du moyen anglais « god spede » (god = dieu – spede vient de speden = réussir)  qui signifie littéralement : « que Dieu fasse que tu réussisses » ou « que Dieu te vienne en aide » selon l’expression consacrée. En anglais moderne speed signifie vitesse.

Voici l’explication de Scott Carpenter sur sa remarque : « Les deux vols Mercury précédents ont été lancés par des Redstone, une petite fusée pas assez puissante pour donner à John la vitesse lui permettant de se propulser sur orbite. Ce dont il avait besoin, et ce que tout le monde attendait de l’Atlas, c’était de la vitesse. Je n’avais pas du tout prémédité cette phrase, elle est sortie comme ça. Il avait besoin de vitesse, il s’appelait John Glenn, c’était une sorte de salut à un ami, une supplique adressée à la puissance supérieure. Godspeed. »

Scott Carpenter et John Glenn