Le souvenir de Walter Thiel

thiel

Le 29 octobre 1944, Walter Thiel, qui a trouvé la mort le 18 aout 1943 à l’âge de 33 ans avec sa femme et ses deux enfants, lors du premier bombardement de Peenemünde, reçoit à titre posthume la Croix de Chevalier de la Croix du Mérite de Guerre avec Glaives, (Ritterkreuz des Kriegsverdienstkreuzes mit Schwertern).

Cette distinction n’a été attribuée que 243 fois entre 1939, date de sa création par Adolf Hitler et 1945 (seulement six fois à titre posthume).

Walter Dornberger et Wernher von Braun l’ont reçue le même jour que Walter Thiel.

La remise de cette récompense à fait l’objet d’une cérémonie et d’un dîner le 9 décembre 1944, dans le magnifique château de Varlar situé à six kilomètres de la ville de Coesfeld (en Rhénanie-du-Nord – Westphalie), présidée par Albert Speer, alors ministre de l’Armement et de la Production de guerre.

Les parents de Walter Thiel n’étaient pas présents, puisque Wernher von Braun leur envoya une lettre datée du 13 janvier 1945 dont voici quelques extraits :

« J’étais personnellement présent lors du discours de M. le Ministre du Reich Speer qui a rappelé les extraordinaires accomplissements de votre fils disparu, à l’occasion de la cérémonie de remise de sa décoration. 

Son discours laisse clairement apparaître qu’il mesure pleinement la contribution de Walter à cette technologie unique dans l’Histoire, qui a permis le développement de cette nouvelle arme.

Le Führer lui-même a exprimé sa plus grande reconnaissance… Soyez assurés que les travaux de Walter passeront à la postérité et seront éternellement reconnus. 

Concernant la guerre elle-même, il a créé les bases d’une technologie entièrement nouvelle, dont les différentes possibilités semblent fantastiques pour beaucoup de gens mais dont certaines applications n’ont même pas encore été envisagées.  

… Un vieil adage énonce que l’on ne se rend compte de l’importance d’une personne que lorsqu’on la perd.  Depuis le 18 août 1943 Walter a laissé un grand vide, qui ne pourra jamais être comblé. Je le vis tous les jours, tout comme ses collègues qui continuent son travail, en suivant le chemin qu’il a commencé à tracer, mais sans son discernement et son inventivité. »

Les contributions déterminantes de Walter Thiel au développement de la fusée A4 en particulier et à l’astronautique en général n’ont pas été oubliées.

Un cratère de la Lune, d’environ 32 km de diamètre, au nord ouest de la face cachée, dont les coordonnées sont 40° 42′ N, 134° 30′ W porte son nom depuis 1970, (un cratère qui se trouve à quelques 200 km au sud-est de celui de Robert Esnault-Pelterie situé à 47° 42′ N et 141° 24′ W).

Walter Thiel figure dans la toute première liste (datant de 1976) des personnalités intronisées au célèbre Hall of fame (panthéon) du Musée de l’Histoire Spatiale qui se trouve à Alamogordo au Nouveau-Mexique (The International Space Hall of Fame, The New Mexico Museum of Space History) qui, comme son nom l’indique, honore les grands personnages ayant marqué l’Histoire de l’astronautique.

Il semble que la petite nièce de Walter Thiel, Karen Thiel, travaille actuellement sur une biographie de son illustre parent.

Dr Walter Thiel et son équipe

L’équipe du Dr. Walter Thiel (2ème à partir de la d. avec sa pipe) au polygone de tir n° VII à Peenemünde devant la A4 V3, dont le lancement est intervenu le 16 août 1942 à 12:15 heure locale. (De g à d) : Hans Hueter, Kurt Hainisch, Friedrich Schwarz, (Responsable du banc d’essai), Willi Muenz, Dr. Rudolph Hackh, Helmut Zoike, Dr. Walter Thiel et Dr. Martin Schilling.

La fusée A4, un formidable outil pour la science

C’est à Peenemünde que furent jetées les bases de l’exploration des couches supérieures de l’atmosphère à l’aide de fusées.

Le 8 juillet 1942, Wernher von Braun, Ernst Steinhoff, Reinhold Strobel (spécialiste en balistique) et Gerhard Reisig qui avait équipé les petites fusées A3 et A5 pour mesurer température et pression, rencontrent le Dr Erich Regener et ses collègues Alfred Ehmert et Erwin Schopper au centre de recherche pour la physique de la stratosphère à Friedrichshafen. [Forschungsstelle für Physik der Stratosphäre fondé et dirigé par Regener  (1881-1955)].

Il était crucial pour l’équipe de Peenemünde de connaître la composition de la haute atmosphère (notamment la température, la pression et la densité) pour déterminer le comportement des fusées et calculer au mieux les trajectoires balistiques.

Dès le 11 juillet 1942, le centre de recherche de l’armée de terre de Peenemünde, commande formellement l’étude d’un équipement composé d’un barographe à quartz, d’un thermographe à fil, d’un spectrographe à rayons ultraviolets, et d’un appareil pour le prélèvement d’échantillons d’air, pour un montant de 25 000 Reichsmark (en 1941 le taux de change officiel  s’établissait à 1 Reichsmark pour 2,5 USD). Von Braun nomme Helmut Weiss comme « interface logistique » entre Peenemünde et l’équipe de Regener, et Gerhard Reisig pour aider cette dernière.

Erich Regener était l’un des plus grands spécialistes au monde de la haute atmosphère de la Terre.

A la suite de cette demande il réalisa un appareillage connu sous le nom de « tonneau de Regener », c’est-à-dire un container englobant tous les instruments énumérés plus haut, qui devait prendre la place de la charge utile, placée dans le nez de la fusée A4, pour être éjecté à l’apogée de la trajectoire, environ 80 km.

Regener et son fils Victor avaient envoyé des ballons sondes à des altitudes de 30 km. Ils ont même imaginé un canon à hydrogène, Wasserstoffkanone, qui permettait d’envoyer à partir d’un ballon ayant atteint cette hauteur, une charge utile à 50 km d’altitude. Un parachute imaginé par Regener, dont le déploiement était assuré par le gonflage de poches par du gaz comprimé, devait permettre sa récupération. Un émetteur incorporé facilitait la localisation au sol de l’ensemble.

« L’Institut de Recherches de la télémétrie radio » de Munich avait lui aussi songé à exploiter ces tirs scientifiques de A4 pour réunir des renseignements concernant la modification de la charge électrostatique du corps de la fusée, lors de son passage à travers les nuages cirrus. Il s’agissait là d’un problème d’une importance capitale pour la mise au point d’un détonateur électrique de proximité, destiné aux fusées antiaériennes.

Malheureusement les retards liés à la mise au point de la fusée A4 et du « tonneau » et bien évidemment la fin de la guerre, ne permirent pas d’utiliser cette fusée pour explorer les hautes altitudes, du moins pas en Allemagne. En 1944 on effectua bien des mesures de température et de pression au niveau du nez de la fusée, fondamentales pour l’observation des phénomènes au moment de la rentrée dans les couches plus denses de l’atmosphère, mais rien de plus.

Ce n’est qu’après la guerre que la A4 fut utilisée aux Etats-Unis dans le cadre d’un programme grandiose d’exploration de la stratosphère, de l’ionosphère et de l’exosphère.

Dès février 1945, Arthur C. Clarke propose d’utiliser la A4 pour des recherches sur l’ionosphère.

Dans ce cadre, la première photo de la Terre depuis l’espace fut prise le 24 octobre 1946 grâce à une A4 (V2 #13) ayant atteint 105 km d’altitude (photo ci-dessous). Le record d’altitude de la précédente photo de la Terre datait de 1937 à bord du ballon Explorer II qui avait atteint 22 km.  En 1950, Clyde Holliday, l’ingénieur ayant adapté sur la A4 la caméra 35 mm, qui prenait un cliché toutes les 90 secondes, écrivit un article dans le Geographic Magazine : « Les photos de la V2 nous montrèrent pour la première fois à quoi ressemblerait la Terre à des visiteurs venant d’une autre planète dans leur vaisseau spatial »

Première photo de l'espace

Puis, le 26 juillet 1948, des photos prises par une caméra à bord d’une fusée A4 ayant atteint l’altitude de 96,5 km permirent de réaliser un panorama de la surface de la Terre couvrant une superficie de plus d’un million de km2. (Cliquer sur la photo pour l’agrandir)

Panorama A4

Au total, 223 expériences scientifiques furent réalisées. 38 pour la mesure des rayons cosmiques, 32 pour des observations solaires, 26 pour étudier l’ionosphère, 25 pour mesurer la température de l’atmosphère, 25 pour mesurer la pression atmosphérique, 19 pour établir la composition de l’atmosphère.

18 vols de fusées A4 ont permis de réaliser des photos de la Terre.

Des expériences ont également permis de réaliser des études biologiques, d’observer des météorites, de mesurer le champ magnétique de la Terre etc..

Sur les 8 A4 munies d’un deuxième étage WAC Corporal, l’une a atteint l’altitude de 387 km le 24 février 1949.

John Glenn et Guerman Titov débattent à la télé

Le dimanche 6 mai 1962, la chaîne de télévision NBC diffuse un numéro spécial de son émission hebdomadaire « The Nation’s Future » enregistrée le vendredi précédent, dont le thème est : les défis liés à l’espace (The Challenge of Outer Space).

Les invités, au nombre de deux, débattent dans un premier temps, puis sont soumis aux questions du public équitablement répartis entre les « pour » et les « contres ».

Ce soir là, il y avait exceptionnellement quatre invités : le Dr Hugh Dryden, administrateur adjoint de la NASA, John Glenn, le premier américain à avoir effectué une mission spatiale orbitale, (20 février 1962)… Mais également le soviétique Guerman Titov qui a effectué le deuxième vol orbital de l’Histoire (6 août 1961) et Anatoly Blagonravov, scientifique russe qui a représenté l’Union Soviétique lors des pourparlers de l’utilisation pacifique de l’espace qui se sont tenus aux nations unis.

Blagonravov a travaillé en étroite collaboration avec Hugh Dryden pour promouvoir la coopération internationale dans l’espace et sera déterminant pour la signature des accords qui ont mené à la mission conjointe Apollo Soyouz…

La délégation soviétique est aux Etats-Unis du 29 avril au 12 mai 1962, dans le cadre du troisième symposium international des sciences spatiales, qui se tient en même temps que la cinquième réunion plénière du Cospar (Committee on Space Research).

Le présentateur/médiateur de l’émission est le journaliste Edwin Newman. Il a fallu six mois de tractations à la coproductrice de l’émission, Lucy Jarvis, pour que les autorités soviétiques donnent leur accord.

Glenn-Titov1
John Glenn, Gherman Titov, Lucy Jarvis, Edwin Newman

Pour l’anecdote, les russes ont refusé de participer à l’émission sans contrepartie financière, payable d’avance. La même somme a été proposée à Glenn et Dryden qui ont refusé.

Avec diplomatie mais fermeté John Glenn a évoqué la question de la fiabilité du programme spatial russe. Amorçant habilement la question en évoquant les problèmes rencontrés lors de sa mission il s’étonne que personne n’ait jamais entendu parler de ratés dans le programme spatial soviétique, alors que les américains n’ont jamais rien caché.

Titov a nié tout accident mortel lié au programme spatial habité. Ce à quoi Glenn a répondu que partager les problèmes rencontrés, même ceux qui ne sont pas des échecs complets, permettrait à chaque partie de tirer un bénéfice certain de l’expérience de l’autre.

Titov affirme que son vol s’est déroulé sans anicroche mais acquiesce sur le fait que les problèmes devraient être partagés.

Lorsqu’un journaliste du public lui demande combien il y a eu d’échecs, Titov répond qu’il y en a peut-être eu, mais que lui n’est concerné que par le vaisseau spatial et que pour savoir, il faudrait demander aux experts qui s’occupent des fusées… De toute évidence Titov n’était pas autorisé à révéler quoi que ce soit « d’intéressant ». 

John Glenn a su mettre en exergue, un point incontestable, le fait que les américains œuvrent au grand jour, alors que les soviétiques travaillent dans le plus grand secret.

En dépit des sourires et de l’humour de façade, personne n’a été dupe des subtiles manœuvres politiques sous-jacentes.

Glenn-Titov4
Glenn-Titov9
Glenn-Titov8
Glenn-Titov2
Glenn-Titov6
John Glenn, Edwin Newman, Gherman Titov