Charles Leo DeOrsey, l’avocat des sept premiers astronautes

Charles Leo DeOrsey
Charles Leo DeOrsey

Le mercredi 8 avril 1959 Walter T. Bonney, le directeur des relations publiques de la NASA appelle le célèbre avocat de Washington D.C. Charles Leo DeOrsey.

Il l’informe que le lendemain, les sept premiers astronautes du pays vont être présentés au monde. Déjà, de grands organes de presse veulent leur faire signer des contrats d’exclusivité. Ils vont donc avoir besoin d’un bon avocat ! 

DeOrsey réfléchit quelques secondes et donne son accord : « Ok, je vais les aider à signer un contrat équitable ! ».

Charles Leo DeOrsey compte parmi ses nombreux client des célébrités ; comme les acteurs, Arthur Godfrey et Marlène Dietrich, le général 5 étoiles Omar Bradley, le général 4 étoiles et homme politique Curtis LeMay, les journalistes  Edward Murrow et Eric Sevareid…

Charles Leo DeOrsey est très riche. C’est un avocat à succès, une star du barreau, l’une de ses affaires lui a rapporté la somme de un million de dollars (8 millions en USD constants), il a de nombreux intérêts dans l’immobilier, il est notamment copropriétaire de l’hôtel Kenilworth de Miami Beach.

Il détient également des parts dans le club de football américain des « Washington Redskins » qu’il a d’ailleurs dirigé un certain temps, lorsque son président George Preston Marshall est tombé gravement malade.

Lorsque Life offre 490 000 dollars aux astronautes pour l’exclusivité de leurs récits, privés et liés à leurs missions, DeOrsey demande 500 000 dollars !  Life répond : « Mais ils sont sept, on peut diviser 490 000 par 7, mais pas 500 000 ! » Goguenard, DeOrsey répond : « Laissez-moi gérer les problèmes d’arithmétique. Nous voulons un demi million de dollars ! » (500 000 dollars de 1959 = 4 millions de dollars d’aujourd’hui)

L’affaire conclue, Leo DeOrsey pense avoir fini son travail, mais il se prend d’affection pour ces sept astronautes qu’il appellera très vite « mes garçons » et ce coup de cœur sera réciproque. 

Il reste leur avocat pendant six ans, jusqu’à sa mort le vendredi 30 avril 1965 à l’âge de 61 ans après une cinquième crise cardiaque.

Une fois par an les astronautes et leurs épouses allaient dîner tous ensemble à l’Hôtel Rice de Houston avec leur avocat et sa femme Helen.

Les astronautes ne prirent aucune décision, sans en référer d’abord à leur homme de loi, l’appelant à toute heure où qu’ils se trouvent !

Gus Grissom l’appelle un jour pour lui demander s’il pouvait accepter un manteau de vison, qu’une association d’éleveurs de visons voulait offrir à sa femme, DeOrsey le lui déconseille vivement !

Lorsqu’un promoteur immobilier veut offrir une maison à Shepard dans le Maryland, meublée avec piscine, DeOrsey lui demande de refuser !

Quand Slayton et Shepard doivent atterrir d’urgence car leur avion a été touché par la foudre, les empêchant de réaliser leur quota mensuel obligatoire d’heures de vol, et perdent ainsi leur prime de 110 dollars chacun, Leo DeOrsey ne mâche pas ses mots : « Les Etats-Unis dépensent des millions pour vous entraîner et vous obligent à prendre des risques inutiles pour 110 malheureux dollars ! (900 dollars d’aujourd’hui) ». La prime sera payée !

Lorsque les astronautes ont l’opportunité de prendre une participation, à hauteur de 21%, dans un Motel à proximité du Cap Canaveral. DeOrsey leur donne le feu vert : « Achetez !». Ils achètent. Il s’agit d’un contrat d’affaire, mais « le Congrès qui vient de s’octroyer une augmentation de salaire et a voté la construction de nouveaux bureaux pour un montant de 95 millions de dollars, se dit choqué par cette transaction » (dixit DeOrsey)… Il revend rapidement les parts, leur faisant faire accessoirement un substantiel bénéfice, puisqu’il récupère le double de la mise initiale !

On proposera aux astronautes de faire des discours, d’assister à des banquets organisés par telles ou telles sociétés ou associations, moyennant rémunération, des sommes pouvant aller jusqu’à 2 500 dollars la prestation. Toutes ont été déclinées. (2 500 USD de 1961 = 20 000 dollars d’aujourd’hui.)

Le Congrès et la hiérarchie militaire étaient particulièrement suspicieux et gardaient un œil vigilant sur les astronautes. Mais comme l’a souvent rappelé Leo DeOrsey :  « S’ils n’avaient été intéressés que par l’argent ils auraient démissionné après une première mission et auraient pu s’enrichir très facilement. »

« L’affaire » qui a fait le plus de bruit est celle concernant la proposition d’une association de constructeurs de maisons de Houston qui, ayant appris que la NASA allait transférer ses astronautes dans un nouveau centre spatial dans la banlieue de Houston, voulut offrir une maison à chacun des sept astronautes.  DeOrsay contacta le service juridique de la NASA qui ne vit rien d’illégal dans ce don dans la mesure où il n’y avait aucune contrepartie. Un véritable tollé médiatique s’en suivit où tout et n’importe quoi fut raconté, finalement l’offre dut être refusée !

Les astronautes écouteront tous les conseils de leur avocat !  Shepard devint millionnaire en investissant dans la banque et le pétrole, DeOrsey négocia un contrat avec Royal Crown Cola pour John Glenn, qui lui rapporta 50 000 dollars par an pendant cinq ans (400 000 dollars d’aujourd’hui)… Grissom et Cooper ont fait construire un chalet-hôtel dans une station de ski non loin de Colorado Springs. Tous les astronautes feront de judicieux placements grâce à leur avocat.

En 1963, un nouveau contrat est signé entre le magazine Life, la Field Enterprises Educationnal Corp. et les astronautes qui sont désormais au nombre de 16. Chacun touchera 16 250 dollars par an (130 000 dollars d’aujourd’hui) pendant quatre ans avec une option de reconduction pour 4 ans supplémentaires…

Charles Leo DeOrsey négociera un bonus pour les astronautes… Une assurance vie pour chacun d’entre eux d’un montant de 100 000 dollars ! (800 000 dollars d’aujourd’hui)

Il fut souvent critiqué, accusé de faire de l’argent sur le dos des astronautes… Ce que les gens ne savaient pas, c’est que pendant ces six ans il a travaillé gratuitement, et même à perte puisqu’il en fut de ses deniers, environ 30 000 dollars… (240 000 dollars d’aujourd’hui).  Mais c’était pour protéger « ses garçons ».

Sur son bureau, la seule somme d’argent qu’il ne reçut jamais de « ses garçons », une dime de dollar américain, offerte par les « sept premiers », qui avait fait quelques tours autour de la Terre !  Une pièce de 10 cents qui n’avait pas de prix pour lui !

Lors des funérailles de Charles Leo DeOrsay, le 5 mai 1965 à l’église « Blessed Sacrament » de Chevy Chase dans le Maryland, ce sont les sept premiers astronautes qui portent son cercueil… La dernière photo où ils apparaissent tous ensemble !

Funérailles Leo DeOrsey

Du premier plan, dans le sens des aiguilles d’une montre : Scott Carpenter, Virgil Grissom, Donald Slayton, Gordon Cooper (on n’aperçoit que sa tête au-dessus de l’épaule droite de Carpenter), Alan Shepard, Walter Schirra, et John Glenn à ce jour le seul encore en vie.

 

Alexeï Leonov rencontre Wernher von Braun

C’est lors du XVIe Congrès International d’Astronautique, qui s’est déroulé en Grèce du 12 au 18 septembre 1965, qu’ Alexeï Leonov rencontre pour la première fois « l’un des cerveaux du programme spatial américain » (dixit Leonov)  Wernher von Braun.

Un soir, AlexeïLeonov et  Pavel Beliaïev dînent à la même table que von Braun et son épouse. 

Le premier « marcheur dans l’espace » ne peut s’empêcher de lui poser cette question : « Comment est-il possible, alors que l’Amérique se vante d’avoir une telle avance technologique sur nous, que l’Union Soviétique ait été la première à lancer un Spoutnik, la première à envoyer un homme dans l’espace, la première à permettre à un homme d’effectuer une sortie dans l’espace ? »

La réponse de von Braun qui rend hommage à Sergueï Korolev :  « Technologiquement nous avions la capacité de faire toutes ces choses, mais, peut-être, n’avions-nous pas la même détermination que votre Constructeur Principal. »

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Leonid SEDOV – Pavel BELIAIEV – Alexeï LEONOV – Wernher von BRAUN  – 13 septembre 1965

La lettre d’adieu de Youri Gagarine

Deux jours avant sa mission à très haut risque, Youri Gagarine écrit une lettre à sa femme Valentina et ses deux filles, Elena, 2 ans et Galina qui n’a que 34 jours.

Youri Gagarine et sa femme Valentina

Sa femme ne prendra connaissance de cette missive que sept ans plus tard, après la mort de son mari, survenue le 27 mars 1968 à l’âge de 34 ans dans le crash de son Mig-15 UTI, un accident dont la cause n’a jamais été clairement établie.

Ce poignant témoignage de Youri Gagarine a été publié pour la première fois par le journaliste russe spécialisé dans le spatial, Anton Pervushin, dans son livre « 108 minutes qui ont changé le monde », qui commémore le 50ème anniversaire du premier vol spatial de l’Histoire.

Je vous propose une traduction en français de cette lettre d’adieu, faite à partir d’une traduction en anglais.

Mes chères, mes tendres, mes bien aimées  Valetchka, Lenotchka et Galotchka,

J’ai décidé de vous écrire ces quelques lignes pour vous faire partager la joie et le bonheur que j’ai ressenti aujourd’hui. Aujourd’hui même la commission d’Etat a décidé de m’envoyer, le premier, dans l’Espace. Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureux, Valioucha,  je tiens à partager ce bonheur avec toi. On a fait confiance à un homme simple comme moi pour qu’il accomplisse une tâche d’importance nationale : ouvrir la route de l’espace !

Peut-on rêver mieux ? C’est historique, une ère nouvelle qui commence !

Le lancement  est prévu pour après-demain. Au même moment, vous vaquerez à vos occupations habituelles. C’est une gigantesque tâche qui repose sur mes épaules. Avant, j’aimerais passer un petit moment avec vous, pour vous parler. Hélas vous êtes loin. Et pourtant je vous sens toujours à mes côtés.

J’ai une totale confiance dans le matériel. Il n’y aura pas de défaillance. Mais il arrive qu’on se brise la nuque simplement en tombant par terre. Ici non plus je ne suis pas à l’abri d’un incident, même si je n’y crois pas. S’il arrivait quoi que ce soit, je vous demande à vous toutes et surtout à toi Valioucha, de ne pas mourir de chagrin. Car la vie est ainsi faite, et nul n’est à l’abri de se faire écraser par une voiture.

Prends bien soin de nos fillettes, aime les comme je les aime. Ne les élève pas comme des petites fifilles à leur maman, mais comme de vraies personnes qui sauront affronter toutes les embûches que la vie mettra sur leur chemin. Rends les dignes de la nouvelle société, le communisme, l’Etat t’aidera.

Pour ce qui est de ta vie personnelle, suis ce que ton cœur te dit, fie-toi à ton jugement.Tu n’as aucune obligation envers moi et de toute façon je ne me sens pas le droit de te demander quoi que ce soit. Ma lettre prend un ton un peu lugubre, alors que je ne suis pas triste du tout. J’espère que tu ne liras jamais cette lettre, et j’espère ne jamais devoir à avoir honte pour cet instant de faiblesse. Mais si d’aventure il m’arrivait quelque chose, tu dois absolument tout savoir. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai vécu honnêtement et loyalement,  j’ai voulu servir les Hommes, même si ce service a été des plus modestes. 

Dans mon enfance je me souviens d’avoir lu ces mots de Valery Tchkalov (NdT : un célèbre pilote d’essai): «  tant qu’à être, mieux vaut être le premier. » Je m’efforce de l’être et je le serai jusqu’au bout. Ce que je veux, Valetchka, c’est dédier ce vol aux hommes de la nouvelle société, le communisme, dont nous sommes sur le point de faire partie, à notre patrie, à notre science. J’espère que d’ici quelques jours nous serons à nouveau réunis et que nous serons heureux. Valetchka, s’il te plaît, n’oublie pas mes parents, et si possible, aide les. Transmets-leur toute mon affection, et demande-leur de me pardonner pour ne pas les avoir tenus au courant, même si je n’étais pas autorisé à les informer.

Voilà, je crois que c’est tout. Au revoir mes chéries. Je vous embrasse très fort et vous fais de gros bisous.

Votre papa et Youra.    10 avril 1961.

A noter : le 10 avril est le jour anniversaire de sa fille aînée, Elena,  mais curieusement  il n’y fait aucune allusion !