Il y a un hic… Contrebande d’alcool à Peenemünde

Les chiffres de la consommation d’alcool éthylique à Peenemünde posaient problème. Il y avait en effet une différence notable entre le stock réel et le stock théorique, que l’évaporation et les déversements accidentels ne pouvaient à eux seuls expliquer.

Le général Dornberger et Wernher von Braun doivent rapidement trouver une solution efficace. Il faut impérativement dissuader le chapardage de cette substance stratégique.

C’est au Dr Martin Schilling que va incomber cette tâche. Le responsable de la « Division Essais » du centre de recherche de Peenemünde, va donc réunir ses collaborateurs à la recherche d’une idée. Parmi plusieurs suggestions, c’est l’ajout d’un colorant rosâtre toxique qui est retenu.  

Il ne faut pas plus d’une semaine pour que des petits malins trouvent la solution. Il suffit de filtrer la mixture avec de la purée de pommes de terre crues, pour neutraliser le colorant et produire par la même du schnaps !

Karl Heimburg, du « Prüfstand VII » * propose alors une alternative : l’adjonction d’un purgatif très puissant.

Le résultat ne se fait pas attendre, et les essais de la A4 qui auraient pu être retardés par manque d’alcool l’ont été par manque de personnel en raison d’un fort taux d’absentéisme.

Sans parler du temps perdu, en raison des nombreuses allées et venues aux toilettes, de ceux qui sont quand même venus travailler. Inutile de préciser qu’à compter de ce jour les vols d’alcool ont très fortement diminués.

Un ingénieur de Peenemünde avait calculé que le plein d’une A4 représentait, alcooliquement parlant, l’équivalent d’environ 66 130 Dry Martinis !

Le moteur de la fusée A4 (Aggregat 4) utilisait 3 710 kg d’un mélange constitué à 70% d’éthanol H3C-CH2OH et à 25% d’eau H2O, en guise de carburant (B-Stoff) et 4 900 Kg d’oxygène liquide pour le comburant (A-Stoff).

Véhicule de transport du B-Stoff (3 000 litres)

* Site d’essai n° 7. Il y en avait 13 à Peenemünde mais seulement 11 ont été utilisés. La station d’essai n°7 était la plus importante, c’est l’endroit d’où la plupart des A4 furent lancées.

Wernher von Braun victime d’un accident de voiture

hanomag-sturm-02Le lundi 12 mars 1945, onze jours avant son trente-troisième anniversaire,  Wernher von Braun et son chauffeur roulent à destination de Berlin à bord d’une Hanomag Sturm. Il a rendez-vous le lendemain au Service des Armements.

Ils ont quitté les environs de Bleicherode vers 2 heures du matin afin de couvrir la distance, environ 290 km, de nuit, pour éviter les raids des avions de chasse alliés. Ils roulent sur la monotone « autobahn » plongée dans l’obscurité.

Wernher von Braun assis à côté du chauffeur somnole. Bientôt le conducteur s’endort également. La voiture qui roule à environ 100 km/h quitte la chaussée, et finit sa course 12 mètres plus bas dans un talus constitué par le ballast d’une voie de chemin de fer, après avoir dévalé une quarantaine de mètres.

Wernher von Braun se réveille lorsqu’il n’entend plus le bruit des pneus sur la chaussée, il a juste le temps de se protéger la tête avant l’impact.

Il arrive tant bien que mal à ouvrir la porte et s’extirper de la voiture. Il appelle le chauffeur mais ce dernier ne répond pas… Il se dirige alors vers lui et le tire hors de la voiture à bonne distance de l’épave, ce faisant il s’aperçoit que son bras gauche ne répond plus, sa main pend au niveau du genou. Peu à peu il ressent une fulgurante douleur au niveau du bras et le goût du sang dans sa bouche… La dernière chose qu’il distingue avant de perdre conscience sont les flammes orange de la voiture en feu !

Hannes Lührsen l’architecte en chef de Peenemünde et Bernhard Tessmann concepteur en chef des installations et bancs d’essais, qui les suivaient, arrivent sur les lieux peu après, et trouvent les deux hommes inconscients, pendant que Lürhsen veille sur les deux hommes et leur prodigue les premiers secours, Tessmann va chercher de l’aide.

Ce n’est qu’une paire d’heures plus tard qu’une ambulance emmène les deux hommes à l’hôpital de Weissenfels.

Wernher von Braun se réveille avec le torse et le bras gauche dans le plâtre. Son épaule est brisée et son bras cassé en deux endroits. L’entaille dans sa lèvre supérieure a été suturée.

Quant au chauffeur, il a subi un grave traumatisme crânien, mais lui aussi est vivant !

L’accident ne pouvait arriver au pire moment, celui où il faut organiser rien moins que la survie de son équipe et la sauvegarde des précieux documents de Peenemünde, fruits de 13 ans de recherches !

Le mercredi 21 mars, Wernher von Braun insiste pour qu’on lui enlève son plâtre thoraco-brachial, et qu’on lui en confectionne en autre « plus léger », car il faut absolument qu’il sorte de l’hôpital, il reste tant à faire et les jours sont comptés…

Mi-avril, von Braun, sa secrétaire (et petite amie) Hannelore Bannasch, son frère Magnus, et Kurt Lindner se sont réfugiés à Weilheim en Bavière. Son bras le fait atrocement souffrir, il sait qu’il doit ne doit pas tarder à se faire soigner, sinon il risque l’amputation.

Il se trouve qu’un excellent chirurgien orthopédique, spécialiste de la traumatologie du ski alpin, officie à l’hôpital de Sonthofen situé à quelque 70 km au sud-ouest.

Aux alentours du 21 avril, ce dernier va recasser et réduire correctement les fractures, tout cela sans anesthésie, car pénurie oblige, elle est réservée uniquement aux pathologies les plus graves. Wernher von Braun doit rester alité, l’épaule et le bras en contention, avec l’ordre formel de ne pas bouger.

Alors qu’il est cloué sur son lit d’hôpital, une escadrille de P-47 bombarde les environs. Certains patients sont évacués au sous-sol, mais pas von Braun. Heureusement aucune bombe ne touche l’hôpital. Il est également à la merci de groupuscules fanatiques qui peuvent à tout moment le capturer pour s’en service comme otage ou tout simplement l’exécuter afin qu’il ne tombe pas aux mains de l’ennemi.

Lorsque le général Dornberger arrive à Oberjoch et apprend que von Braun est à Sonthofen il envoie immédiatement une ambulance le récupérer.

vb_dornberger-surrender-widesm

La photo de von Braun avec son bras gauche plâtré, maintenu par une orthèse qui permet la mise en abduction de l’épaule (dans une posture qui rappelle vaguement un demi-salut hitlérien, comme le feront remarquer ironiquement certains commentateurs) est la première photo du directeur technique de Peenemünde après sa reddition aux forces américaines, le 2 mai 1945…

La disparition du Dr Hermann Steuding

La plupart des 400 plus éminents membres de la « Rocket Team » regroupés dans 25 villages du Sud de la Bavière attendent paisiblement l’arrivée des «Amis» (Amerikaner) auxquels ils ont choisi de se rendre. Le brillant mathématicien Hermann Steuding qui dirigeait le département « aérobalistique et dynamique de vol », au sein de la division BSM (Bordausrüstung, Steuerung, Messtechnik – Guidage Contrôle et Télémétrie) d’Ernst Steinhoff à Peenemünde, se pose quant à lui beaucoup de questions.

Après une semaine d’oisiveté, dans le petit village de Böbing, Steuding devient morose et dépressif. Il est préoccupé par l’avenir de l’Allemagne. Célibataire et sexagénaire, il ne peut se faire à l’idée de travailler dans un autre pays, ce serait une trahison !

Un jour, il fait cadeau de son bien le plus précieux, sa règle à calcul, à son meilleur ami et collègue le Dr Rudolf Hölker (16 mars 1912- 14 juin 2003), dynamicien du vol également, et distribue ses autres effets personnels de valeur.

Il prépare un petit sac de voyage avec les quelques vêtements qu’il avait ramené de Bleicherode et quitte le village à pieds.

Rudolf Hölker l’accompagne quelques temps portant le baluchon de son ami, ils marchent ainsi pendant près d’une heure, entre les pins et les sapins, pratiquement sans mot dire.

Soudain Hermann Steuding s’arrête, prend le sac des mains de son ami, et lui dit : « Il est temps que je te dise au revoir » et continu seul son chemin…

Plus personne ne le revit jamais. Ses amis pensent qu’il s’est suicidé, mais sans en avoir jamais eu la preuve. Hermann Steuding s’est tout simplement évaporé dans la nature !