Virgil Grissom, Dnoces, Navi, et Regor

Les astronautes Apollo, dont Virgil Grissom, suivaient des cours d’astronomie au planétarium Morehead de l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, ainsi qu’au planétarium du célébrissime observatoire Griffith de Los Angeles.

En effet, pour aller vers la Lune, il fallait impérativement réaligner ou recalibrer la plateforme inertielle du vaisseau spatial ; pour ce faire ils devaient calculer leur position au sextant, comme les marins, en utilisant l’une des 37 étoiles prévues à cet effet, que les astronautes devaient pouvoir rapidement identifier sur la voûte céleste.

Plaquette récapitulative, fixée sur le système de navigation du vaisseau spatial, avec les noms des étoiles et leur numéro à entrer dans l’ordinateur de bord pour calculer la position du vaisseau spatial.

L’astronaute Virgil Grissom, qui doit commander la première mission Apollo, va s’attacher la complicité de Anthony « Tony » Genzano le directeur du planétarium Morehead, une personnalité formidable, réputée pour sa convivialité et son sens de l’humour, pour monter un canular très élaboré, dont malheureusement il ne verra jamais les résultats.

Profitant d’un déplacement en Californie à Downey où se trouve l’usine de North American, le contractant du module de commande et de service, Virgil Grissom, Edward et Roger Chaffee se rendent au planétarium de Griffith Park pour soumettre à son directeur, Clarence Cleminshaw, la liste des 37 étoiles, que ce dernier entérine sans poser de questions. Il s’agit de la liste des étoiles sous leur désignation de Bayer, suivie de leur nom propre.

Cleminshaw écrira même un article intitulé « Les étoiles servant à la navigation » (Navigational Stars) qui paraitra dans le numéro de septembre 1967 du magazine publié par l’observatoire, le « Griffith Observer ».

Les 37 étoiles sont listées, y compris trois étoiles, qui n’avaient pas de nom latin ou arabe facilement mémorisable, auxquelles Grissom donnera les noms de Dnoces, Navi et Regor, qui seront mentionnées sur quatre cartes du ciel, au même titre que Sirius, Aldebaran, Deneb ou Rigel .

Ainsi, de 1968 jusqu’en janvier 1993, équinoxe de référence 1975.0, Dnoces, Navi et Regor apparaitront dans les cartes du ciel et notamment dans ceux du magazine Sky and Telescope.

Malheureusement les noms disparaîtront sur les nouvelles cartes basées sur l’équinoxe de référence 2000.0.

(De g. à d.) Edward White et James McDivitt à l’entraînement au Planétarium Morehead.

Dnoces est en réalité le mot, second, épelé à l’envers [Edward Higgins White II (the second, que l’on traduit en français par deuxième du nom), il se trouve que White est également le deuxième « marcheur spatial » de l’Histoire]

Navi, c’est Ivan épelé à l’envers [Virgil Ivan Grissom]

Regor, c’est Roger épelé à l’envers  [Roger Bruce Chaffee]

Les trois astronautes perdront la vie lors d’un entrainement au sol, le vendredi 27 janvier 1967.

Contrairement à ce que l’on peut lire ici et là, notamment dans le Wikipédia français consacré aux astronautes White et Chaffee, il ne s’agit absolument pas de noms donnés à titre posthume, mais bien d’une blague redoutablement efficace concoctée par Virgil Grissom, qui ne savait pas que ces noms se transformeraient en une sorte de mémorial pour lui et ses deux coéquipiers.

Iota Ursae Majoris (Dnoces), Gamma Cassiopeiae (Navi), Gamma Velorum (Regor), resteront à jamais parmi les étoiles qui ont guidé les astronautes du programme Apollo vers la Lune… (Carte du ciel : Sky and Telescope)

La page S-1 du Guidance and Navigation Dictionary du Module Lunaire d’ Apollo 11

La page S-2 du Guidance and Navigation Dictionary du Module Lunaire d’ Apollo 11

La carte du ciel du LM d’Apollo 16 – Les numéros correspondent aux chiffres qu’il fallait entrer dans l’AGC (Apollo Guidance Computer), l’ordinateur chargé de la navigation. 

Le véritable enjeu stratégique du premier satellite

En octobre 1950, quatre ans après le rapport du Projet RAND, intitulé  « Preliminary Design of An Experimental World Circling Spaceship » [cf anecdote :  Le projet RAND et les premiers satellites ] , un autre chercheur de la Rand Corporation, Paul Kecskemeti,  publie un opuscule qui soulève une autre question fondamentale : « Si nous pouvions lancer un satellite, est-ce que les soviétiques nous laisseraient faire ? »

Kecskemeti pose avec acuité le problème auquel seraient confrontés les Etats-Unis, dans l’éventualité où ils lanceraient le premier satellite, et que ce dernier passe au-dessus de l’URSS…  

Il envisage la possibilité que le Kremlin considère cela comme une forme d’agression, une violation de son espace, et interdise tout survol ultérieur.  On se rappelle que si la grande majorité des pays  autorisait le survol de leur pays par des avions commerciaux, l’URSS l’interdisait formellement.  Quant au survol d’avions espions, c’est bien évidemment assimilé à un acte de guerre…  

Si la convention de Chicago défini clairement la notion d’espace aérien pour les aéronefs (portés par l’air), il n’existait alors aucun texte juridique régissant l’espace extra-atmosphérique !

Paul Kecskemeti préconise l’envoie d’un petit satellite scientifique, civil, inoffensif, en orbite équatoriale, que l’on ne ferait pas passer au-dessus de l’union soviétique, juste pour créer un précédent et faire appliquer de facto la libre circulation dans l’espace extra atmosphérique. Il s’agit en quelque sorte de transposer au domaine spatial ce que les eaux internationales sont à la navigation maritime.

Mais le moyen le plus sûr pour que ce principe entre en vigueur, est bien évidemment que l’URSS lance un satellite en premier… 

Bien que le gouvernement américain soit hautement conscient de la valeur propagandiste d’être le premier pays à envoyer un objet dans l’espace, en orbite autour de la Terre, cette considération ne sera absolument pas prioritaire aux yeux de la CIA, de l’armée et du Président Eisenhower qui tiendront compte des recommandations de Paul Kecskemeti le moment venu…  

Et pour cause, l’URSS étant l’un des pays les plus fermés de la planète, avec un culte du secret poussé à son paroxysme, les Etats-Unis avaient beaucoup plus à perdre en lançant le premier satellite, avec le risque que l’URSS interdise la libre circulation dans l’espace, que laisser les soviétiques réaliser cette première mais leur permettre en retour, à plus ou moins court terme, de mettre en service des satellites de reconnaissance et de renseignement, cruciaux pour la sécurité du pays.

A choisir entre la gloriole et le pragmatisme, les Etats-Unis ont préféré la deuxième solution.

Techniquement parlant, les américains auraient pu lancer un satellite dès le 20 septembre 1956, s’ils avaient autorisé Wernher von Braun et son équipe à le faire…  Mais laisser le célèbre Wernher Von Braun qui travaille pour l’armée, lancer le premier satellite de l’Histoire, eut été, stratégiquement parlant, une grave erreur, piège dans lequel les américains ne sont pas tombés !

Bien que le lancement de Spoutnik 1, ait dans un premier temps fortement terni l’image des Etats-Unis, il a permis d’établir la libre circulation dans l’espace ce qui était l’objectif principal de l’administration Eisenhower. Un président qui a quitté ses fonctions au plus bas dans les sondages, mais que les historiens, au regard de documents récemment rendus publics, classent désormais dans le Top 10 des meilleurs présidents des Etats-Unis de l’Histoire.

Passée l’euphorie, les soviétiques prirent la pleine mesure  de leur « méprise »  et tenteront de faire reconsidérer la libre circulation au-dessus de leur territoire par l’ONU, mais leurs protestations et tentatives resteront vaines !

 

John F. Kennedy farouchement opposé au vol spatial

Le « Locke-Ober » est l’un des plus anciens et plus célèbres restaurants de Boston, réputé pour ses fruits de mer, notamment ses huîtres et ses clams, dans lequel le gouverneur du Massachusetts, John Kennedy et son frère Robert  avaient leurs habitudes.

Ils restaient souvent jusqu’à la fermeture de l’établissement et avaient sympathisé avec le maître des lieux, que tout le monde appelait Freddy. Ce dernier, passionné par les fusées et l’espace, leur présente un soir un autre client régulier, Charles Stark Draperdu MIT, espérant que ce dernier arrive à les convaincre du bien-fondé et de l’utilité du programme spatial…  

Peine perdue, lors des discussions qu’ils eurent ensemble, les deux frères Kennedy ont régulièrement rejeté tous ses arguments.

Draper affirma plus tard que personne n’aurait pu convaincre John Kennedy, alors sénateur,  que les fusées et encore moins les vols spatiaux n’étaient pas un monstrueux gaspillage d’argent. Kennedy étant le gouverneur d’un état où les firmes aérospatiales brillent par leur absence, il ne pouvait en être autrement !

Hugh Sidey, le correspondant à la Maison-Blanche du magazine Time, un expert avisé en matière de présidents des Etats-Unis, fit remarquer que de tous les problèmes auquel John Kennedy dût faire face à son arrivée à la Maison Blanche, celui qu’il maîtrisait le moins était le spatial. Il n’avait aucune connaissance ni expérience en la matière.

Il est amusant de constater, que c’est justement John F. Kennedy, le plus réfractaire à un programme spatial d’envergure, qui a lancé la course à la Lune, et comment les circonstances peuvent très rapidement faire évoluer les perspectives et les priorités !

* Charles Stark Draper est un physicien qui a créé le célébrissime « Instrumentation Laboratory » du MIT (Massachusetts Institute of Technology). Il est considéré comme le « père » de la navigation inertielle aux Etats-Unis (sachant que la fusée A4/V2 utilisait déjà un système de guidage inertiel) et c’est sous sa direction que fut conçu l’AGC (Apollo Guidance Computer), crucial pour la réussite du programme Apollo.